L'interface ville/port : espace-système en mutation. L'exemple de Nantes
DEUXIEME PARTIE : Quel avenir pour l'interface ville/port ?
2.1. L'urbanisation de l'interface ville/port et ses modalités
Les réactions actuelles visent dans leur ensemble à une réorganisation de l'interface et à son adaptation aux exigences urbaines. Il est en effet dans l'intérêt de la ville d'investir l'interface dans laquelle elle trouve des potentialités de développement évidentes. Cette volonté de "conquête" s'accorde assez bien avec un certain désintérêt et désistement portuaire vis-à-vis de cet espace qui apparaît comme une charge le détournant de sa mission économique. Ainsi, une partie de l''interface est clairement destinée à être urbanisée, l'objectif est d'ailleurs clairement affiché par la ville à propos de l'île Sainte-Anne. Cependant si l'intention finale (l'urbanisation) est connue, il reste à définir les modalités de sa réalisation. L'approche est maintenant moins spontanée et plus réfléchie de la part de la ville qui va être amenée à répondre à de fortes contraintes liées aux caractéristiques de l'interface mais aussi à développer des schémas répondant de manière optimale à ses exigences de fonctionnement et à sa volonté de développement. Tout ceci constitue autant de problèmes à résoudre, de défis à gagner, d'enjeux auxquels il faut répondre. L'avenir n'est pas clairement envisageable puisque les analyses sont à mener et les décisions restent à prendre. Cependant, il semble que la ville ait un éventail de possibilités assez limité, car d'une part le territoire, pour pouvoir être intégré, nécessite certains traitements préalables incontournables, d'autre part les processus économiques auxquels est soumise la ville appelle à un type relativement déterminé de composition urbaine.
2.1.1. Investir et transformer l'espace
La volonté de la ville est d'urbaniser progressivement l'interface ville/port. Ce mouvement de "reconquête" passe préalablement par l'instauration d'un cadre propice à l'implantation et au développement de nouvelles fonctions urbaines. Il faut tout d'abord créer les conditions de la recomposition, intégrer les contraintes et les pesanteurs liées à la nature du territoire en les transformant pour les rendre compatibles avec une opération de réaménagement, en faisant de cet espace un "morceau de ville" facilement assimilable. La ville va devoir faire face à l'inertie du territoire, c'est-à-dire aux différentes permanences foncières, fonctionnelles ou culturelles. Elle doit gérer le décalage du site par rapport aux nouveaux usages qu'elle veut déployer. Cette action va souligner le primat du facteur temps et du facteur financier dans les processus de transformation de l'espace [32]. En effet, la recomposition est un exercice qui se prévoit sur une longue période et requiert un investissement financier important. Elle constitue une sorte de défi pour la ville portuaire mais sa lenteur d'action peut motiver une réflexion indispensable pour savoir quelle forme de composition est souhaitable et possible. Cette réflexion préalable est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit de remodeler l'espace et donc de lui imposer, ainsi qu'à la ville, une certaine "pesanteur" qui se doit d'être viable à court et moyen terme et gérable à long terme.
2.1.1.1. Avoir le droit et les moyens d'agir
Les espaces portuaires délaissés, bien que n'abritant plus d'activités, restent sous la gestion des autorités portuaires et sont donc soumis à un régime foncier particulier, celui de la domanialité publique qui se caractérise par l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité. Les terrains ne peuvent donc théoriquement ni être vendus, ni loués mais seulement concédés à titre précaire (Autorisation d'Occupation Temporaire). Cette situation apparaît inadaptée pour résoudre le problèmes des friches portuaires. En effet, ce statut tend à maintenir le territoire dans un état qui n'est plus viable, et à empêcher ou freiner une transformation. La précarité de toute occupation et l'impossibilité de prendre des garanties repoussent les investisseurs. Néanmoins, des améliorations ont été apportées notamment avec la loi n°94-631 du 25 juillet 1994 qui permet la constitution de droits réels sur le domaine public pour une durée de 70 ans aux détenteurs d'une A.O.T.
Mais le blocage se situe également au niveau de la compétence pour la gestion du territoire. En effet, l'Etat est seul compétent pour intervenir sur les espaces portuaires, droit qu'il concède aux autorités portuaires. Si la ville veut intervenir pour créer sur les espaces délaissés des fonctions plus adaptées, un transfert de gestion doit être prévu. Cette procédure constitue une lourdeur administrative qui requiert du temps. Elle nécessite une bonne coordination entre les services urbains et portuaires, qui ont parfois du mal à s'entendre sur les conditions du transfert. Les ports sont généralement prudents avant de céder leur patrimoine foncier et exigent des compensations financières souvent conséquentes. La difficulté de l'estimation des terrains et les charges financières peuvent parfois générer des situations de blocages qui retardent les opérations de recomposition.
A Nantes, les autorités urbaines et portuaires s'orientent vers cette procédure, même si celle-ci reste progressive et prudente. Pour l'instant, les négociations se cantonnent aux berges du bras de la Madeleine, une cession étant à terme envisagée en vue de faciliter une ouverture urbaine sur le fleuve et d'établir un lien avec les incursions réalisées sur la Prairie-au-Duc. Si la ville et le port sont d'accord sur le fond, les conditions restent à négocier notamment à cause de la dégradation des quais (cf. § 2.1.1.2.), que la ville se refuse à prendre en charge seule. En attendant, la ville a signée en octobre 1996 une A.O.T. pour une durée de trois ans sur les anciens chantiers navals (au-delà des 30 premiers mètres à partir du fleuve), qui pourraient ensuite être transformée en vente [33]. Pour les quais et les terre-pleins (30 mètres de large), un transfert de gestion semble être envisagé. L'estimation se baserait sur les revenus dont bénéficie le port actuellement grâce à la location de ses hangars. Le transfert se ferait "au denier 20" c'est-à-dire que la ville paierait un dédommagement au port correspondant à vingt fois le loyer annuel actuel, soit :
- quai Fernand Crouan > loyer annuel : 0 F - transfert : 0 F
- quai de la Fosse > loyer annuel : quelques dizaines de milliers de F - transfert : environ 1 M.F.
- quai des Antilles > loyer annuel : environ 1 M.F. - transfert : environ 20 M.F.
Un tel transfert de gestion pourrait se matérialiser par un échange de terrain sur la Z.A.C. Cheviré, où le Port souhaite développer des équipements. Cependant, le problème consiste à estimer à quelle surface correspond le montant du transfert.
Dans les recherches sur le réaménagement des espaces portuaires délaissés, les contraintes juridiques sont souvent mises en avant comme le facteur principal de blocage concourant à l'inaction et à l'apparition de friches. C'est en effet une des raisons, bien qu'à Nantes le D.P.M. soit minoritaire dans l'interface, une grande partie des terrains ayant un statut de droit commun. Cette situation n'a pourtant pas empêché la formation de friches et l'absence d'intervention. Ainsi, il semble qu'à Nantes, le blocage majeur se situe à d'autres niveaux, et découle plutôt de la conjugaison d'une présence industrielle et portuaire toujours importante, d'une focalisation sur un passé "glorieux" que symbolise le site des anciens chantiers navals et, surtout, du manque de moyens financiers.
En effet, quelles que soient les options adoptées, le coût du réaménagement sera très important. Dans ce contexte, un trop grand souci d'économie peut représenter un risque, puisqu'il tendrait à choisir les solutions les plus faciles et les plus rentables, qui ne sont pas forcément les plus cohérentes. Ainsi, il apparaît primordial de ne pas accélérer les interventions mais de prendre son temps pour se donner les moyens d'agir intelligemment, en fonction de ses capacités d'investissements. A cette fin, il est important que la ville sache anticiper les dépenses afin de pouvoir y faire face, donc qu'elle analyse le territoire pour connaître et gérer à l'amont les contraintes qui pourraient peser sur une urbanisation.
Outre le phénomène de délaissement, le problème pour la ville réside dans le fait que l'interface abrite toujours des secteurs actifs importants, dont la présence ne cadre pas forcément avec ses projets. Par exemple, l'étude Perrault envisage un développement de l'île Sainte-Anne à partir de l'intérieur, or cet espace est actuellement occupé et utilisé par la gare de fret. La ville va donc devoir négocier un départ de l'activité et une acquisition des terrains. Une telle nécessité peut représenter une charge financière importante puisque, d'une part, un départ va nécessiter une compensation, d'autre part, parce que la ville est là encore en position de demande, donc de faiblesse par rapport à la S.N.C.F. qui, comme le port, va chercher à rentabiliser un patrimoine foncier stratégique et va donc dicter certaines conditions. Même si certaines activités industrielles ont la possibilité de s'insérer dans un tissu urbain au prix de quelques efforts (Béghin-Say, A.C.B.), d'autres apparaissent plus problématiques (S.N.E., Aciers Chaillous...). Dans le cadre d'une urbanisation, elles seraient donc appelées à disparaître, mais elles n'ont pas la capacité financière, ni même la volonté de déménager. En effet, même si à terme ces implantations ne sont plus viables, les industries n'envisagent pas un départ. Au contraire, elles se maintiennent et continuent à investir sur le site, puisque la future urbanisation leur garantit une valorisation des terrains. A terme, elles sont donc sûres de pouvoir négocier un départ en obtenant une compensation conséquente. Ainsi, une projection de la ville sur l'interface, bien qu'encore largement fictive, semble induire un processus prématuré de surenchère, où les nombreux acteurs en place vont chercher à rentabiliser leur patrimoine foncier, étant sûr à terme de trouver un acquéreur.
De plus, à cette première charge financière déjà importante, s'ajoutent les coûts de remise en état des sites (reconstitution d'un sol vierge, dépollution, réhabilitation) qui sont parfois prohibitifs, comme c'est par exemple le cas pour les berges, puis les coûts du réaménagement effectif (infrastructures, équipements), sans compter les nombreuses études préalables. Au total, la somme est donc conséquente. Le problème est que dans un premier temps, c'est principalement la ville qui va devoir prendre en charge les coûts d'acquisition, puisqu'elle ne pourra se reposer sur le secteur privé que lorsqu'une une dynamique de reconquête sera enclenchée et qu'il apparaîtra rentable d'investir sur le site. Face à une telle charge, les aides apparaissent indispensables, notamment pour les réhabilitations des bâtiments, qui peuvent engendrer des coûts supplémentaires contraires à une logique de rentabilité immédiate qui tendrait à préférer la destruction. Ces aides peuvent émaner d'autres collectivités locales (Département, Région), mais surtout des fonds structurels européens, notamment l'Objectif 2 du F.E.D.E.R., qui peuvent financer jusqu'à 40% des travaux et représente donc un apport substantiel et convoité.
Le coût énorme du réaménagement apparaît donc problématique, d'autant que la Ville de Nantes a une capacité d'investissement modeste (environ 300 MF/an) par rapport aux grandes métropoles et doit, de plus, supporter une lourde dette (3,19 milliards de francs en 1997). La municipalité affirme que l'époque des lourds investissements comme la Cité des Congrès [34] est révolue. Les gros projets seront maintenant portés par le District qui "participe aux grandes opérations qui ouvriront le XXIe siècle [35]". En effet, l'aménagement de "l'île de Nantes" va prochainement lui être délégué, en collaboration avec l'A.U.R.A.N. [36] chargée de mettre en place une réflexion. Ainsi, il semble que le réaménagement soit plus précisément défini et débute sérieusement d'ici deux ou trois ans, avec la mise en service, prévue pour la fin 1999, de la Cité Judiciaire et de la Bourse du Travail, d'autant que le maire de Nantes, qui est aussi président du District, se doit d'entreprendre concrètement une action avant la fin de son mandat en 2001. Il reste à savoir si un tel délai est suffisant pour réunir les moyens de répondre aux enjeux mais aussi pour mener une réflexion approfondie autour de l'exercice de réaménagement.
2.1.1.2. Le fleuve : une interface irréductible ?
A Nantes, malgré de constants efforts, la Loire n'a jamais été maîtrisée et a toujours posé des problèmes. Pendant longtemps la ville s'en est en partie détourné, le fleuve étant mis à l'écart et les berges dévolues à l'activité portuaire, aux industries et à la circulation automobile. Aujourd'hui, la tendance semble s'inverser sous l'effet, d'une part, d'un certain délaissement industriel et portuaire et, d'autre part, d'un regain d'intérêt généralisé des villes vis-à-vis de l'eau qui apparaît comme un élément privilégié de mise en valeur du cadre urbain. Ainsi, la volonté d'investir l'interface est aussi l'occasion pour la ville de redéfinir son rapport au fleuve, en l'intégrant dans la composition urbaine. Cependant, cette reconnaissance tardive de la Loire comme élément urbain à part entière pose des problèmes. Le modelage du site en fonction de la seule activité portuaire, conjugué à un arrêt de l'entretien là où celle-ci est partie, ont des répercussions qui cadrent mal avec une valorisation urbaine. A Nantes, le fleuve demande aujourd'hui à être "recomposé" en fonction des exigences urbaines, mais cette nécessité entre en contradiction avec une vocation portuaire tout aussi nécessaire. Sur ce volet essentiel du réaménagement que constitue l'usage du fleuve, la difficulté consiste là encore à concilier ville et port.
Depuis longtemps, le fleuve a été aménagé quasi-exclusivement tout au long de l'estuaire pour répondre aux besoins des navires. Aujourd'hui, les dragages répétés et de plus en plus profonds ont des répercussions directement perceptibles à Nantes : baisse du niveau d'étiage (la ligne d'eau d'étiage s'étant abaissée au droit de Nantes d'environ 3,5 mètres depuis le début du siècle [37]), accroissement du marnage, augmentation de la salinité, remontée du bouchon vaseux. Parallèlement, l'absence d'entretien des installations portuaires obsolètes a entraîné un envasement à certains endroits. Ainsi, la Loire à Nantes est boueuse, polluée [38], les bras sont maigres à marée basse; ce qui constituent autant de nuisances peu propices à une valorisation du milieu urbain. Ces caractéristiques ont aussi eu pour effet de déstabiliser les quais, notamment ceux qui sont aujourd'hui laissés à l'abandon. Les pieux en bois soutenant les anciens quais verticaux pourrissent, le béton des estacades est érodé et fissuré. Dans de telles conditions, les risques d'effondrement sont réels [39] et représentent un danger incompatible avec une fréquentation des quais par la population.
Cette question de l'état du fleuve et des berges, qui constitue un enjeu environnemental majeur, est un sujet très polémique à Nantes. Une remise en état et une gestion du fleuve apparaissent indispensables mais représentent un investissement considérable. Le principal problème est de savoir qui va devoir payer. Le port est souvent accusé d'être à l'origine de cette situation. En effet, il a de tous temps modifié et aménagé le cours de la Loire pour assurer l'accès des navires. Mais il ne peut être tenu aujourd'hui pour seul responsable, notamment parce que la ville a pendant longtemps encouragé et bénéficié de ces efforts. Cependant aujourd'hui, le port et la ville ont pris leur distance et fonctionnent sur des territoires, et selon des organisations, de plus en plus autonomes. Les répercussions du modelage portuaire de la Loire sont donc aujourd'hui beaucoup moins acceptées par une ville qui se sent beaucoup moins concernée par le succès du port. De ce découplage naît donc une sorte de relation concurrente qui s'appliquent sur les espaces encore partagés, ayant aussi bien une vocation urbaine que portuaire. Cette tendance induit directement des blocages qui pèsent sur le réaménagement de l'interface ville/port mais aussi sur une prise en charge du fleuve dans son ensemble.
Cette question du fleuve est intéressante puisqu'elle souligne que la ville et le port, malgré des divergences, font partie d'un même ensemble et qu'ils ont des destins toujours associés, même si cette relation s'exprime aujourd'hui de manière plus globale et immatérielle. Seulement cette réalité est assez peu intégrée par la ville et par le port qui tendent à fonctionner aujourd'hui plus comme des "étrangers", voire comme des concurrents, en raisonnant à leur simple échelle de compétence et peu en terme de système global et d'interrelations multiples. Seulement de telles attitudes montrent leurs limites quand il s'agit de gérer les interfaces. Ainsi à Nantes, le contact ville/port se manifeste de manière concrète mais est inadapté car non géré. Par exemple, le fleuve représente un élément commun pour lequel les intérêts de la ville et du port sont sensiblement convergents, l'état actuel étant dommageable à la fois pour la ville qui ne peut profiter des potentialités du fleuve et pour le port qui doit sans cesse stabiliser les quais encore actifs et draguer pour remédier à l'envasement [40]. Pourtant aucune action de fond n'a pour l'instant été entreprise, sans doute parce qu'elle doit nécessairement être commune. En effet, contrairement à l'interface ville/port, l'approche ne peut être ici séparée, la Loire est indivisible, il ne peut y avoir une Loire portuaire et une Loire urbaine. Si l'urbanisation de l'interface est une réaction logique cadrant avec un contexte de découplage ville/port, où chacun reste cantonné sur son territoire de compétence, une telle recette peut difficilement être appliquée pour le fleuve, espace-interface irréductible qui nécessite forcément un traitement associant la ville et le port. La ville, dans sa volonté de reconquête, "bute" donc sur la question du fleuve qu'elle n'est pas apte à résoudre seule.
Pour l'instant, les deux parties se contentent d'actions ponctuelles et provisoires (enrochements, renforcement des quais...), faute d'être capables de mener une action globale conjointe, qui semble difficile à mettre en place du fait de la lourdeur des investissements et de l'absence d'une structure d'intervention adaptée. En attendant, de multiples études sont réalisées sur le sujet qui toutes insistent sur la nécessité d'une modification du régime de la Loire associée à une consolidation des quais. Ce problème, toujours reporté, pèse véritablement aujourd'hui dans le processus de réaménagement, notamment sur un possible transfert de gestion des espaces portuaires délaissés. Sur les quais, si le port ne peut être jugé seul responsable de la situation, il serait pourtant juridiquement responsable si un incident intervenait en cas d'écroulement. Un transfert de gestion signifierait que la ville accepte de prendre en charge cette responsabilité. Bien sûr, elle exige des garanties et n'entend pas soulager le port d'un tel poids sans compensation. Ainsi, il semble qu'une consolidation partagée des quais soit inclut dans le transfert : la ville et le port payant 20 M.F. chacun (environ 25.000 F/m de quai) pour assurer un minimum de sécurité.
Mais si cette action commune est appréciable, elle ne règle que provisoirement la question des quais et, en acceptant un tel transfert de gestion, la ville prendrait un véritable risque, car une telle attitude urbaine est peut-être précipitée. Si, à court-terme, elle cadre avec une volonté assez empressée d'urbaniser l'interface, à long terme, elle décharge le port de participer au traitement de fond des quais. En effet, la consolidation envisagée n'est que palliative, une restructuration complète est à terme nécessaire, mais requiert un investissement financier considérable. Une restauration complète est estimé à environ 350.000 f/m de quai. Une autre possibilité serait de détruire les estacades en ciment armé et de revenir à l’aplomb des anciens quais maçonnés pour un coût presque deux fois moindre. C'est une des solutions proposées par l'étude sur l'eau à Nantes réalisée par Michel Cantal-Dupart pour la Mairie de Nantes, qui prévoyait de découper ces mêmes quais en gradins pour faciliter l'accès à l'eau. Plus catégorique, une autre étude envisage la disparition des quais : "Vu l'état de ces quais qui ne présentent pas a priori un intérêt historique majeur, leur réhabilitation ne s'impose pas. Si un programme d'urbanisation de l'île Sainte-Anne devait voir le jour, le mieux serait de raser tous ces quais et de les remplacer par des rives "naturelles" du type de celles existant en amont de l'Hôtel de Région ". Le débat n'en est qu'à ses débuts, mais au cas où la ville agirait seule, elle risque fort, devant l'énormité des dépenses, d'être dépassée et de ne pas vraiment avoir le choix. Mais pour l'instant, la ville concentre ses efforts sur une réappropriation de l'eau et non sur une recomposition, et prévoit ainsi la destruction des quatre hangars et le modeste aménagement d'une promenade sur le quai de la Fosse (2,8 M.F.). De toute façon, une action profonde ne pourra être envisagé avant d'avoir résolu le problème lié au fleuve.
En effet, avant de traiter les quais, il faudrait préalablement remédier à la principale cause de leur dégradation. Il est donc nécessaire de réaménager aussi la Loire, en envisageant une modification de son régime et une dépollution nécessaires à une valorisation urbaine. Dans cette optique, la construction d'un ouvrage de déconnexion hydraulique en aval de Nantes devient de plus en plus sérieusement envisagée et permettrait de contrôler le niveau de l'eau de la Loire à Nantes, de la faire passer dans un régime fluvial et d'empêcher la remontée du bouchon vaseux. Seulement un tel projet suscite bien des doutes et des polémiques et devra clairement démontrer son utilité et son efficacité avant d'être réalisé. Si tel est le cas, la construction pourrait être envisagée d'ici une dizaine d'années et serait de l'ordre du milliard de francs (ce qui implique donc des aides extérieures). L'ouvrage pourrait s'implanter un peu en aval de Nantes au niveau d'un des trajets actuels suivis par les bacs de Loire, tout en permettant aux navires d'accéder aux terminaux portuaires de Nantes à marée haute. Néanmoins deux principales interrogations apparaissent : d'une part, les effets induits sur l'environnement notamment au niveau du colmatage, d'autre part les répercussions sur le plan portuaire. Certes l'accès ne devrait pas poser de problèmes, la quasi-totalité des navires accèdent à Nantes à marée haute et ils pourront continuer à le faire. Mais si la tendance d'évolution de l'aménagement portuaire continue selon le même schéma (cf. figure n°7), les espaces portuaires nantais risque d'être à terme délaissés. Dans ce contexte, l'ouvrage ne risquerait-il pas d'accélérer, voire de provoquer une rupture entre la ville et le port ? Si tel était le cas, il matérialiserait alors une division entre une Loire urbaine et une Loire portuaire et aurait donc réussi à briser l'irréductibilité de l'espace-interface que constitue le fleuve.
2.1.1.3. Statuer sur les friches
Outre le cas particulier que constituent les quais et le fleuve, par la lourdeur et la complexité de leur traitement, l'interface ville/port est composée de nombreuses autres friches qui constituent autant de traces de l'ancienne vocation du territoire. Dans le cadre d'une urbanisation, la question est de savoir ce qu'il faut conserver ou détruire, sur quels critères, et pour quels usages ?
La notion de patrimoine est aujourd'hui très répandue et a tendance à désigner tous les biens hérités du passé. L'extension assez récente du champ patrimonial aux domaines industriel et portuaire découle directement des mutations économiques et techniques qui ont tendu à rendre rapidement une grande partie des anciennes installations obsolètes et à entrainer leur abandon. Ce sont aujourd'hui des éléments du passé qui appellent à être détruits ou à être transformés et intégrés dans une nouvelle organisation. La question de la conservation soulève aujourd'hui de nombreuses interrogations puisqu'il s'agit d'éléments quasi-contemporains dont l'esthétique et l'intérêt patrimonial peuvent être discutables. De plus, quel sens et quelle utilité peuvent-ils avoir dans la cadre d'une urbanisation ? A Nantes, ces questions sont fermement discutés car elles concernent des éléments issus d'un passé récent et souvent vécu, auxquels restent attachés des souvenirs. Le réaménagement, qui tend à un effacement de ce passé, est donc soumis à des pressions en faveur d'une intégration et d'une valorisation de l'histoire et de la vocation du site. Il apparaît en effet nécessaire de conserver certaines traces qui vont matérialiser une mémoire et symboliser une culture, une histoire et une identité. Mais, la conservation coûte cher et peut, de plus, entrer en contradiction avec une recomposition urbaine résolument tournée vers l'avenir.
Ainsi, il s'agit aujourd'hui de choisir parmi les friches, celles qui vont être élevées au rang de patrimoine. Cet exercice peut apparaître problématique puisque la valeur historique, symbolique ou esthétique d'une friche repose en grande partie sur des critères subjectifs difficiles à évaluer et soumis à débat. A Nantes, de nombreuses associations prônent la conservation et sensibilisent l'opinion autour de ces questions. Mais, si la ville est consciente de ces attentes, celles-ci ne sont pas forcément compatibles avec sa volonté de recomposer profondément le territoire, ni avec ses moyens. Dans ce contexte, les critères financiers et les potentialités économiques vont le plus souvent déterminer les choix : d'une part, les coûts de restauration ne doivent pas être prohibitifs, d'autre part, une reconversion doit être possible, puisque s'il y a conservation, encore faut-il que la friche puisse trouver une nouvelle utilité cadrant avec l'opération urbaine.
Pour l'instant, seules deux composantes de l'interface sont inscrits au P.O.S. comme patrimoine nantais : le bâtiment de direction des anciens chantiers Dubigeon (reconverti) et la Gare de l'Etat (reconversion prévue pour 1999). Il s'agit là de friches "bâtiments" qui par leur nature s'apparentent plus à un patrimoine bâti classique, leur forme et leur dimension les rendant assez faciles à reconvertir et à intégrer dans un tissu urbain. De telles traces apparaissent cependant insuffisantes et limitées pour représenter l'histoire et la vocation du site. Il est aussi nécessaire, mais beaucoup plus problématique et coûteux, de reconvertir de véritables formes industrielles et portuaires, qui ont souvent l'inconvénient d'être fortement marquées par leur fonction, démesurées par rapport à l'échelle urbaine et constituées de matériaux spécifiques (architecture métallique). C'est le cas notamment des friches "outils" comme les grues ou les cales, dont le fort modelage fonctionnel rend difficile l'émergence d'une nouvelle utilité. Avec la disparition de l'activité, les cales et les grues ne signifient plus rien, mais elles représentent pourtant des formes symboliques remarquables et constituent des héritages intéressants. Pour autant, la ville peut-elle se permettre de prendre en charge des coûts de réparation et de gestion importants pour une utilité discutée ?
Pour l'instant, la ville, dans sa politique patrimoniale, déploie sa méthode d'incursions, en commençant parce qui est le plus évident et le moins coûteux. Cependant, ce mouvement s'applique au coup par coup, sans réflexion globale au sujet des friches et de leur possible conservation. En effet, le sort d'une friche est généralement étudié et discuté quand une réalisation ponctuelle est projettée pour la remplacer. Une telle approche se traduit logiquement par une certaine tendance au déblaiement : les anciens chantiers navals pour d'hypothétiques projets, l'usine d'engrais Delafoy pour la Cité Judiciaire, les quatre hangars du quai de la Fosse pour l'aménagement d'une promenade. Ces destructions interviennent sans véritables études préalables sur l'intérêt des friches, hormis l'avis de l'Architecte des Bâtiments de France, quand celui-ci s'impose. De telles décisions et interventions, plus improvisées que véritablement réfléchies, suscitent donc à chaque fois le mécontentement des associations, qui au lieu de s'investir dans la valorisation d'un patrimoine qui aurait été clairement discuté, défini et accepté, jouent de plus en plus un rôle de défenseur et de contestataire face à la ville et à ses projets régulièrement annoncés et presque toujours fièvreusement critiqués.
Une transformation de l'interface est donc nécessaire pour envisager une urbanisation. Seulement, la réflexion semble insuffisante à ce sujet, la ville abordant plus le réaménagement en terme de "conquête" qu'en terme de remodelage. En effet, elle organise aujourd'hui ses incursions pour aboutir à terme à un schéma cohérent. Cet exercice consiste à réfléchir sur une future projection en terme de composition urbaine. Or, le problème se situe moins au niveau de l'organisation que de l'intervention. Il ne s'agit pas uniquement de "remplir" un territoire mais surtout de le transformer. Cette transformation, et par conséquent le modelage actuel du territoire, représente une difficulté majeure. L'interface dans son état actuel "pèse" sur l'urbanisation, elle représente des contraintes (friches, industries, port) mais également des potentialités (patrimoine, environnement, identité). Le réaménagement est donc fortement lié au territoire. Celui-ci ne va pas déterminer l'avenir, mais l'exercice de recomposition va devoir s'appuyer sur lui, comme un support d'où il faut partir pour imaginer et créer de nouveaux modes d'usages, définir des objectifs et des méthodes claires intégrant aussi bien le territoire et ses caractéristiques que les moyens et les objectifs urbains.
2.1.2. Un "morceau de ville" à composer
Le réaménagement de l'interface ville/port, en permettant à la ville de remodeler une grande partie de son territoire, lui donne l'opportunité de se redéfinir. Par ce biais, c'est pour elle l'occasion d'imaginer tout en la contrôlant une large recomposition en fonction de schémas d'aménagement répondant de manière adéquate aux exigences actuelles de fonctionnement et de développement. Ainsi, la ville va être amenée à s'interroger sur les formes de réaménagement qu'elle veut et qu'elle peut mettre en oeuvre en fonction de ses propres caractéristiques (site, contexte socio-économique, moyens disponibles...) et en fonction des enjeux (économiques, urbanistiques, environnementaux) auxquels elle est confrontée. L'objectif est à terme de trouver une stratégie adéquate afin d'optimiser au mieux l'espace en fonction de l'existant et d'une forte volonté de transformation et de développement.
Le contexte économique actuel dit "post-industriel" ou "post-fordien", axé sur les services et les échanges, fait des villes des espaces productifs privilégiés, à travers une concentration des flux et une polarisation des activités et des richesses (métropolisation). Parallèlement, chaque ville s'inscrit dans des réseaux globaux où elle est directement mise en concurrence avec ses semblables (mondialisation). Ainsi, pour assurer leur développement, les villes doivent chercher à attirer, concentrer et dynamiser le maximum de flux afin de se positionner solidement à une échelle régionale, nationale, européenne ou internationale. La ville de Nantes, forte de son agglomération et en s'alliant avec Saint-Nazaire, a l'ambition de devenir la métropole du Grand-Ouest de la France et de se positionner à l'échellon européen. Afin de pouvoir prétendre à un tel titre, elle va donc s'efforcer de polariser un maximum d'équipements et de fonctions supérieures rares tout en assurant la promotion d'une image forte et attractive pour être suffisament captive. Le réaménagement de l'interface ville/port apparaît alors comme l'occasion de concrétiser cette nouvelle dimension et il va donc entrer dans une logique de développement métropolitain influençant directement la composition urbaine.
2.1.2.1. Inscription et développement
Préalablement au développement de l'interface, il va être nécessaire de voir et de définir la place qu'elle peut prendre dans l'organisation urbaine et le rôle qu'elle peut y jouer. La composition urbaine doit certes s'efforcer d'inscrire le territoire dans le fonctionnement existant, mais elle doit aussi le dépasser, apporter des changements visant à une rédéfinition globale de la ville cadrant avec les enjeux du développement. Ainsi à Nantes, le réaménagement semble être un moyen à la fois pour renforcer la ville, organiser l'agglomération et insuffler une dimension métropolitaine.
Il s'agit tout d'abord de remédier à la désorganisation du système et à ses conséquences directes sur la ville (perte d'emplois, de population, de rentrées fiscales, image négative), mais aussi d'inscrire l'interface dans une organisation urbaine qui dépasse largement le territoire communal. Les évolutions du développement urbain, des logiques d'implantations et des mobilités ont entrainé un éclatement et une dilatation du système urbain devenu aujourd'hui complexe et plus difficilement gérable. Actuellement, l'un des principaux enjeux est de trouver des cohérences et d'organiser l'aire urbaine, afin de mieux la gérer et d'améliorer son fonctionnement [42].
L'interface ville/port occupe globalement une position centrale par rapport à l'agglomération nantaise. Sa recomposition apparaît comme l'occasion, d'une part, de recentrer et de polariser l'agglomération pour contrebalancer un certain éclatement et dispersion des flux, d'autre part, de faire émerger une nouvelle centralité correspondant mieux aux nouvelles dimensions urbaines, le centre-ville actuel n'étant plus adapté pour jouer ce rôle à l'échelle de l'agglomération. La principale interrogation est de savoir sous quelle forme la centralité relative de l'interface doit s'exprimer. Celle-ci entre pour l'instant en opposition avec la situation relativement périphérique de l'interface par rapport à la centralité actuelle. Or, il n'est pas possible de dilater démesurément le centre, ni d'en décréter un second, ni de faire de l'interface un quartier d'habitat péricentral qui ne répondrait pas aux enjeux. Il reste donc à imaginer une nouvelle forme de centralité moins rigide et moins dense, reflétant plus la dimension et la diversité de l'agglomération. C'est dans ce sens que la ville a introduit la notion de "coeur d'agglo". Elle consisterait à constituer un coeur, et non plus un centre, pour l'agglomération incluant le quartier Madeleine-Champ-de Mars et toute l'île de Nantes (Beaulieu, République, Ile Sainte-Anne), en complémentarité avec le centre historique. Il s'agirait d'éparpiller des éléments de centralité mais de manière organisée dans des zones préétablies, qui devraient réunir à la fois les avantages d'une implantation périphérique (accès, espace, prix...) et d'une position centrale (environnement, équipements, aire de clientèle...). Le réaménagement devrait donc tendre à faire émerger des pôles de développement, directement articulés au centre-ville mais gardant leur spécificité, intégrés dans un environnement urbain mixte associant habitat, loisirs et échanges. Une telle composition pourrait permettre de concilier une certaine centralité et une ouverture à la fois sur le centre-ville et l'agglomération que cristalliseraient certains foyers, tout en conservant globalement une spécificité et une échelle se rapprochant des quartiers péricentraux.
Un aménagement de ce type est actuellement en cours de réalisation dans le quartier Madeleine-Champ de Mars, ancien quartier industriel isolé par la voie ferrée et qui entre dans la stratégie "coeur d'agglo". Une Z.A.C. a été créée et de gros équipements ont été réalisés pour servir de points d'accroche. Le quartier s'articule au centre-ville et au reste de l'agglomération par l'intermédiaire d'un axe tertiaire sur la deuxième ligne de pont et du tramway sur la première ligne. Ces deux pôles focalisent l'essentiel des activités et facilitent une recomposition progressive du tissu urbain de l'intérieur dans lequel sont construits divers logements aussi bien sociaux, étudiants que de standing. Il semble qu'une méthode plus ou moins similaire soit envisagée pour l'île Sainte-Anne avec la constitution d'une troisième ligne de pont et d'un axe transversal le long de l'île de Nantes. Il reste à savoir comment elle pourra être mise en oeuvre et si elle est viable pour traiter un territoire beaucoup plus grand, soumis à de fortes pressions et à de lourdes contraintes et fortement marqué par sa vocation industrielle et portuaire.
2.1.2.2. Promotion urbaine
Alors qu'il était d'usage de séparer le cadre de vie et le développement économique, leur interdépendance est aujourd'hui reconnue. L'environnement urbain est un facteur de développement qui prend une place grandissante dans les stratégies économiques. Pour attirer des activités et des hommes, donc des flux et des richesses, la ville se doit d'être agréable, moderne, belle, intelligente, en un mot attractive. L'aménagement urbain devient donc un moyen de promotion au service du développement et doit ainsi répondre aux demandes sociales et économiques actuelles. Le réaménagement va donc tendre à la mise en place d'un cadre accompagnant et stimulant le phénomène de métropolisation, suivant un schéma dit urban-leisure economy (cf. figure n°9).
2.1.1. Investir et transformer l'espace
La volonté de la ville est d'urbaniser progressivement l'interface ville/port. Ce mouvement de "reconquête" passe préalablement par l'instauration d'un cadre propice à l'implantation et au développement de nouvelles fonctions urbaines. Il faut tout d'abord créer les conditions de la recomposition, intégrer les contraintes et les pesanteurs liées à la nature du territoire en les transformant pour les rendre compatibles avec une opération de réaménagement, en faisant de cet espace un "morceau de ville" facilement assimilable. La ville va devoir faire face à l'inertie du territoire, c'est-à-dire aux différentes permanences foncières, fonctionnelles ou culturelles. Elle doit gérer le décalage du site par rapport aux nouveaux usages qu'elle veut déployer. Cette action va souligner le primat du facteur temps et du facteur financier dans les processus de transformation de l'espace [32]. En effet, la recomposition est un exercice qui se prévoit sur une longue période et requiert un investissement financier important. Elle constitue une sorte de défi pour la ville portuaire mais sa lenteur d'action peut motiver une réflexion indispensable pour savoir quelle forme de composition est souhaitable et possible. Cette réflexion préalable est d'autant plus nécessaire qu'il s'agit de remodeler l'espace et donc de lui imposer, ainsi qu'à la ville, une certaine "pesanteur" qui se doit d'être viable à court et moyen terme et gérable à long terme.
2.1.1.1. Avoir le droit et les moyens d'agir
Les espaces portuaires délaissés, bien que n'abritant plus d'activités, restent sous la gestion des autorités portuaires et sont donc soumis à un régime foncier particulier, celui de la domanialité publique qui se caractérise par l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité. Les terrains ne peuvent donc théoriquement ni être vendus, ni loués mais seulement concédés à titre précaire (Autorisation d'Occupation Temporaire). Cette situation apparaît inadaptée pour résoudre le problèmes des friches portuaires. En effet, ce statut tend à maintenir le territoire dans un état qui n'est plus viable, et à empêcher ou freiner une transformation. La précarité de toute occupation et l'impossibilité de prendre des garanties repoussent les investisseurs. Néanmoins, des améliorations ont été apportées notamment avec la loi n°94-631 du 25 juillet 1994 qui permet la constitution de droits réels sur le domaine public pour une durée de 70 ans aux détenteurs d'une A.O.T.
Mais le blocage se situe également au niveau de la compétence pour la gestion du territoire. En effet, l'Etat est seul compétent pour intervenir sur les espaces portuaires, droit qu'il concède aux autorités portuaires. Si la ville veut intervenir pour créer sur les espaces délaissés des fonctions plus adaptées, un transfert de gestion doit être prévu. Cette procédure constitue une lourdeur administrative qui requiert du temps. Elle nécessite une bonne coordination entre les services urbains et portuaires, qui ont parfois du mal à s'entendre sur les conditions du transfert. Les ports sont généralement prudents avant de céder leur patrimoine foncier et exigent des compensations financières souvent conséquentes. La difficulté de l'estimation des terrains et les charges financières peuvent parfois générer des situations de blocages qui retardent les opérations de recomposition.
A Nantes, les autorités urbaines et portuaires s'orientent vers cette procédure, même si celle-ci reste progressive et prudente. Pour l'instant, les négociations se cantonnent aux berges du bras de la Madeleine, une cession étant à terme envisagée en vue de faciliter une ouverture urbaine sur le fleuve et d'établir un lien avec les incursions réalisées sur la Prairie-au-Duc. Si la ville et le port sont d'accord sur le fond, les conditions restent à négocier notamment à cause de la dégradation des quais (cf. § 2.1.1.2.), que la ville se refuse à prendre en charge seule. En attendant, la ville a signée en octobre 1996 une A.O.T. pour une durée de trois ans sur les anciens chantiers navals (au-delà des 30 premiers mètres à partir du fleuve), qui pourraient ensuite être transformée en vente [33]. Pour les quais et les terre-pleins (30 mètres de large), un transfert de gestion semble être envisagé. L'estimation se baserait sur les revenus dont bénéficie le port actuellement grâce à la location de ses hangars. Le transfert se ferait "au denier 20" c'est-à-dire que la ville paierait un dédommagement au port correspondant à vingt fois le loyer annuel actuel, soit :
- quai Fernand Crouan > loyer annuel : 0 F - transfert : 0 F
- quai de la Fosse > loyer annuel : quelques dizaines de milliers de F - transfert : environ 1 M.F.
- quai des Antilles > loyer annuel : environ 1 M.F. - transfert : environ 20 M.F.
Un tel transfert de gestion pourrait se matérialiser par un échange de terrain sur la Z.A.C. Cheviré, où le Port souhaite développer des équipements. Cependant, le problème consiste à estimer à quelle surface correspond le montant du transfert.
Dans les recherches sur le réaménagement des espaces portuaires délaissés, les contraintes juridiques sont souvent mises en avant comme le facteur principal de blocage concourant à l'inaction et à l'apparition de friches. C'est en effet une des raisons, bien qu'à Nantes le D.P.M. soit minoritaire dans l'interface, une grande partie des terrains ayant un statut de droit commun. Cette situation n'a pourtant pas empêché la formation de friches et l'absence d'intervention. Ainsi, il semble qu'à Nantes, le blocage majeur se situe à d'autres niveaux, et découle plutôt de la conjugaison d'une présence industrielle et portuaire toujours importante, d'une focalisation sur un passé "glorieux" que symbolise le site des anciens chantiers navals et, surtout, du manque de moyens financiers.
En effet, quelles que soient les options adoptées, le coût du réaménagement sera très important. Dans ce contexte, un trop grand souci d'économie peut représenter un risque, puisqu'il tendrait à choisir les solutions les plus faciles et les plus rentables, qui ne sont pas forcément les plus cohérentes. Ainsi, il apparaît primordial de ne pas accélérer les interventions mais de prendre son temps pour se donner les moyens d'agir intelligemment, en fonction de ses capacités d'investissements. A cette fin, il est important que la ville sache anticiper les dépenses afin de pouvoir y faire face, donc qu'elle analyse le territoire pour connaître et gérer à l'amont les contraintes qui pourraient peser sur une urbanisation.
Outre le phénomène de délaissement, le problème pour la ville réside dans le fait que l'interface abrite toujours des secteurs actifs importants, dont la présence ne cadre pas forcément avec ses projets. Par exemple, l'étude Perrault envisage un développement de l'île Sainte-Anne à partir de l'intérieur, or cet espace est actuellement occupé et utilisé par la gare de fret. La ville va donc devoir négocier un départ de l'activité et une acquisition des terrains. Une telle nécessité peut représenter une charge financière importante puisque, d'une part, un départ va nécessiter une compensation, d'autre part, parce que la ville est là encore en position de demande, donc de faiblesse par rapport à la S.N.C.F. qui, comme le port, va chercher à rentabiliser un patrimoine foncier stratégique et va donc dicter certaines conditions. Même si certaines activités industrielles ont la possibilité de s'insérer dans un tissu urbain au prix de quelques efforts (Béghin-Say, A.C.B.), d'autres apparaissent plus problématiques (S.N.E., Aciers Chaillous...). Dans le cadre d'une urbanisation, elles seraient donc appelées à disparaître, mais elles n'ont pas la capacité financière, ni même la volonté de déménager. En effet, même si à terme ces implantations ne sont plus viables, les industries n'envisagent pas un départ. Au contraire, elles se maintiennent et continuent à investir sur le site, puisque la future urbanisation leur garantit une valorisation des terrains. A terme, elles sont donc sûres de pouvoir négocier un départ en obtenant une compensation conséquente. Ainsi, une projection de la ville sur l'interface, bien qu'encore largement fictive, semble induire un processus prématuré de surenchère, où les nombreux acteurs en place vont chercher à rentabiliser leur patrimoine foncier, étant sûr à terme de trouver un acquéreur.
De plus, à cette première charge financière déjà importante, s'ajoutent les coûts de remise en état des sites (reconstitution d'un sol vierge, dépollution, réhabilitation) qui sont parfois prohibitifs, comme c'est par exemple le cas pour les berges, puis les coûts du réaménagement effectif (infrastructures, équipements), sans compter les nombreuses études préalables. Au total, la somme est donc conséquente. Le problème est que dans un premier temps, c'est principalement la ville qui va devoir prendre en charge les coûts d'acquisition, puisqu'elle ne pourra se reposer sur le secteur privé que lorsqu'une une dynamique de reconquête sera enclenchée et qu'il apparaîtra rentable d'investir sur le site. Face à une telle charge, les aides apparaissent indispensables, notamment pour les réhabilitations des bâtiments, qui peuvent engendrer des coûts supplémentaires contraires à une logique de rentabilité immédiate qui tendrait à préférer la destruction. Ces aides peuvent émaner d'autres collectivités locales (Département, Région), mais surtout des fonds structurels européens, notamment l'Objectif 2 du F.E.D.E.R., qui peuvent financer jusqu'à 40% des travaux et représente donc un apport substantiel et convoité.
Le coût énorme du réaménagement apparaît donc problématique, d'autant que la Ville de Nantes a une capacité d'investissement modeste (environ 300 MF/an) par rapport aux grandes métropoles et doit, de plus, supporter une lourde dette (3,19 milliards de francs en 1997). La municipalité affirme que l'époque des lourds investissements comme la Cité des Congrès [34] est révolue. Les gros projets seront maintenant portés par le District qui "participe aux grandes opérations qui ouvriront le XXIe siècle [35]". En effet, l'aménagement de "l'île de Nantes" va prochainement lui être délégué, en collaboration avec l'A.U.R.A.N. [36] chargée de mettre en place une réflexion. Ainsi, il semble que le réaménagement soit plus précisément défini et débute sérieusement d'ici deux ou trois ans, avec la mise en service, prévue pour la fin 1999, de la Cité Judiciaire et de la Bourse du Travail, d'autant que le maire de Nantes, qui est aussi président du District, se doit d'entreprendre concrètement une action avant la fin de son mandat en 2001. Il reste à savoir si un tel délai est suffisant pour réunir les moyens de répondre aux enjeux mais aussi pour mener une réflexion approfondie autour de l'exercice de réaménagement.
2.1.1.2. Le fleuve : une interface irréductible ?
A Nantes, malgré de constants efforts, la Loire n'a jamais été maîtrisée et a toujours posé des problèmes. Pendant longtemps la ville s'en est en partie détourné, le fleuve étant mis à l'écart et les berges dévolues à l'activité portuaire, aux industries et à la circulation automobile. Aujourd'hui, la tendance semble s'inverser sous l'effet, d'une part, d'un certain délaissement industriel et portuaire et, d'autre part, d'un regain d'intérêt généralisé des villes vis-à-vis de l'eau qui apparaît comme un élément privilégié de mise en valeur du cadre urbain. Ainsi, la volonté d'investir l'interface est aussi l'occasion pour la ville de redéfinir son rapport au fleuve, en l'intégrant dans la composition urbaine. Cependant, cette reconnaissance tardive de la Loire comme élément urbain à part entière pose des problèmes. Le modelage du site en fonction de la seule activité portuaire, conjugué à un arrêt de l'entretien là où celle-ci est partie, ont des répercussions qui cadrent mal avec une valorisation urbaine. A Nantes, le fleuve demande aujourd'hui à être "recomposé" en fonction des exigences urbaines, mais cette nécessité entre en contradiction avec une vocation portuaire tout aussi nécessaire. Sur ce volet essentiel du réaménagement que constitue l'usage du fleuve, la difficulté consiste là encore à concilier ville et port.
Depuis longtemps, le fleuve a été aménagé quasi-exclusivement tout au long de l'estuaire pour répondre aux besoins des navires. Aujourd'hui, les dragages répétés et de plus en plus profonds ont des répercussions directement perceptibles à Nantes : baisse du niveau d'étiage (la ligne d'eau d'étiage s'étant abaissée au droit de Nantes d'environ 3,5 mètres depuis le début du siècle [37]), accroissement du marnage, augmentation de la salinité, remontée du bouchon vaseux. Parallèlement, l'absence d'entretien des installations portuaires obsolètes a entraîné un envasement à certains endroits. Ainsi, la Loire à Nantes est boueuse, polluée [38], les bras sont maigres à marée basse; ce qui constituent autant de nuisances peu propices à une valorisation du milieu urbain. Ces caractéristiques ont aussi eu pour effet de déstabiliser les quais, notamment ceux qui sont aujourd'hui laissés à l'abandon. Les pieux en bois soutenant les anciens quais verticaux pourrissent, le béton des estacades est érodé et fissuré. Dans de telles conditions, les risques d'effondrement sont réels [39] et représentent un danger incompatible avec une fréquentation des quais par la population.
Cette question de l'état du fleuve et des berges, qui constitue un enjeu environnemental majeur, est un sujet très polémique à Nantes. Une remise en état et une gestion du fleuve apparaissent indispensables mais représentent un investissement considérable. Le principal problème est de savoir qui va devoir payer. Le port est souvent accusé d'être à l'origine de cette situation. En effet, il a de tous temps modifié et aménagé le cours de la Loire pour assurer l'accès des navires. Mais il ne peut être tenu aujourd'hui pour seul responsable, notamment parce que la ville a pendant longtemps encouragé et bénéficié de ces efforts. Cependant aujourd'hui, le port et la ville ont pris leur distance et fonctionnent sur des territoires, et selon des organisations, de plus en plus autonomes. Les répercussions du modelage portuaire de la Loire sont donc aujourd'hui beaucoup moins acceptées par une ville qui se sent beaucoup moins concernée par le succès du port. De ce découplage naît donc une sorte de relation concurrente qui s'appliquent sur les espaces encore partagés, ayant aussi bien une vocation urbaine que portuaire. Cette tendance induit directement des blocages qui pèsent sur le réaménagement de l'interface ville/port mais aussi sur une prise en charge du fleuve dans son ensemble.
Cette question du fleuve est intéressante puisqu'elle souligne que la ville et le port, malgré des divergences, font partie d'un même ensemble et qu'ils ont des destins toujours associés, même si cette relation s'exprime aujourd'hui de manière plus globale et immatérielle. Seulement cette réalité est assez peu intégrée par la ville et par le port qui tendent à fonctionner aujourd'hui plus comme des "étrangers", voire comme des concurrents, en raisonnant à leur simple échelle de compétence et peu en terme de système global et d'interrelations multiples. Seulement de telles attitudes montrent leurs limites quand il s'agit de gérer les interfaces. Ainsi à Nantes, le contact ville/port se manifeste de manière concrète mais est inadapté car non géré. Par exemple, le fleuve représente un élément commun pour lequel les intérêts de la ville et du port sont sensiblement convergents, l'état actuel étant dommageable à la fois pour la ville qui ne peut profiter des potentialités du fleuve et pour le port qui doit sans cesse stabiliser les quais encore actifs et draguer pour remédier à l'envasement [40]. Pourtant aucune action de fond n'a pour l'instant été entreprise, sans doute parce qu'elle doit nécessairement être commune. En effet, contrairement à l'interface ville/port, l'approche ne peut être ici séparée, la Loire est indivisible, il ne peut y avoir une Loire portuaire et une Loire urbaine. Si l'urbanisation de l'interface est une réaction logique cadrant avec un contexte de découplage ville/port, où chacun reste cantonné sur son territoire de compétence, une telle recette peut difficilement être appliquée pour le fleuve, espace-interface irréductible qui nécessite forcément un traitement associant la ville et le port. La ville, dans sa volonté de reconquête, "bute" donc sur la question du fleuve qu'elle n'est pas apte à résoudre seule.
Pour l'instant, les deux parties se contentent d'actions ponctuelles et provisoires (enrochements, renforcement des quais...), faute d'être capables de mener une action globale conjointe, qui semble difficile à mettre en place du fait de la lourdeur des investissements et de l'absence d'une structure d'intervention adaptée. En attendant, de multiples études sont réalisées sur le sujet qui toutes insistent sur la nécessité d'une modification du régime de la Loire associée à une consolidation des quais. Ce problème, toujours reporté, pèse véritablement aujourd'hui dans le processus de réaménagement, notamment sur un possible transfert de gestion des espaces portuaires délaissés. Sur les quais, si le port ne peut être jugé seul responsable de la situation, il serait pourtant juridiquement responsable si un incident intervenait en cas d'écroulement. Un transfert de gestion signifierait que la ville accepte de prendre en charge cette responsabilité. Bien sûr, elle exige des garanties et n'entend pas soulager le port d'un tel poids sans compensation. Ainsi, il semble qu'une consolidation partagée des quais soit inclut dans le transfert : la ville et le port payant 20 M.F. chacun (environ 25.000 F/m de quai) pour assurer un minimum de sécurité.
Mais si cette action commune est appréciable, elle ne règle que provisoirement la question des quais et, en acceptant un tel transfert de gestion, la ville prendrait un véritable risque, car une telle attitude urbaine est peut-être précipitée. Si, à court-terme, elle cadre avec une volonté assez empressée d'urbaniser l'interface, à long terme, elle décharge le port de participer au traitement de fond des quais. En effet, la consolidation envisagée n'est que palliative, une restructuration complète est à terme nécessaire, mais requiert un investissement financier considérable. Une restauration complète est estimé à environ 350.000 f/m de quai. Une autre possibilité serait de détruire les estacades en ciment armé et de revenir à l’aplomb des anciens quais maçonnés pour un coût presque deux fois moindre. C'est une des solutions proposées par l'étude sur l'eau à Nantes réalisée par Michel Cantal-Dupart pour la Mairie de Nantes, qui prévoyait de découper ces mêmes quais en gradins pour faciliter l'accès à l'eau. Plus catégorique, une autre étude envisage la disparition des quais : "Vu l'état de ces quais qui ne présentent pas a priori un intérêt historique majeur, leur réhabilitation ne s'impose pas. Si un programme d'urbanisation de l'île Sainte-Anne devait voir le jour, le mieux serait de raser tous ces quais et de les remplacer par des rives "naturelles" du type de celles existant en amont de l'Hôtel de Région ". Le débat n'en est qu'à ses débuts, mais au cas où la ville agirait seule, elle risque fort, devant l'énormité des dépenses, d'être dépassée et de ne pas vraiment avoir le choix. Mais pour l'instant, la ville concentre ses efforts sur une réappropriation de l'eau et non sur une recomposition, et prévoit ainsi la destruction des quatre hangars et le modeste aménagement d'une promenade sur le quai de la Fosse (2,8 M.F.). De toute façon, une action profonde ne pourra être envisagé avant d'avoir résolu le problème lié au fleuve.
En effet, avant de traiter les quais, il faudrait préalablement remédier à la principale cause de leur dégradation. Il est donc nécessaire de réaménager aussi la Loire, en envisageant une modification de son régime et une dépollution nécessaires à une valorisation urbaine. Dans cette optique, la construction d'un ouvrage de déconnexion hydraulique en aval de Nantes devient de plus en plus sérieusement envisagée et permettrait de contrôler le niveau de l'eau de la Loire à Nantes, de la faire passer dans un régime fluvial et d'empêcher la remontée du bouchon vaseux. Seulement un tel projet suscite bien des doutes et des polémiques et devra clairement démontrer son utilité et son efficacité avant d'être réalisé. Si tel est le cas, la construction pourrait être envisagée d'ici une dizaine d'années et serait de l'ordre du milliard de francs (ce qui implique donc des aides extérieures). L'ouvrage pourrait s'implanter un peu en aval de Nantes au niveau d'un des trajets actuels suivis par les bacs de Loire, tout en permettant aux navires d'accéder aux terminaux portuaires de Nantes à marée haute. Néanmoins deux principales interrogations apparaissent : d'une part, les effets induits sur l'environnement notamment au niveau du colmatage, d'autre part les répercussions sur le plan portuaire. Certes l'accès ne devrait pas poser de problèmes, la quasi-totalité des navires accèdent à Nantes à marée haute et ils pourront continuer à le faire. Mais si la tendance d'évolution de l'aménagement portuaire continue selon le même schéma (cf. figure n°7), les espaces portuaires nantais risque d'être à terme délaissés. Dans ce contexte, l'ouvrage ne risquerait-il pas d'accélérer, voire de provoquer une rupture entre la ville et le port ? Si tel était le cas, il matérialiserait alors une division entre une Loire urbaine et une Loire portuaire et aurait donc réussi à briser l'irréductibilité de l'espace-interface que constitue le fleuve.
2.1.1.3. Statuer sur les friches
Outre le cas particulier que constituent les quais et le fleuve, par la lourdeur et la complexité de leur traitement, l'interface ville/port est composée de nombreuses autres friches qui constituent autant de traces de l'ancienne vocation du territoire. Dans le cadre d'une urbanisation, la question est de savoir ce qu'il faut conserver ou détruire, sur quels critères, et pour quels usages ?
La notion de patrimoine est aujourd'hui très répandue et a tendance à désigner tous les biens hérités du passé. L'extension assez récente du champ patrimonial aux domaines industriel et portuaire découle directement des mutations économiques et techniques qui ont tendu à rendre rapidement une grande partie des anciennes installations obsolètes et à entrainer leur abandon. Ce sont aujourd'hui des éléments du passé qui appellent à être détruits ou à être transformés et intégrés dans une nouvelle organisation. La question de la conservation soulève aujourd'hui de nombreuses interrogations puisqu'il s'agit d'éléments quasi-contemporains dont l'esthétique et l'intérêt patrimonial peuvent être discutables. De plus, quel sens et quelle utilité peuvent-ils avoir dans la cadre d'une urbanisation ? A Nantes, ces questions sont fermement discutés car elles concernent des éléments issus d'un passé récent et souvent vécu, auxquels restent attachés des souvenirs. Le réaménagement, qui tend à un effacement de ce passé, est donc soumis à des pressions en faveur d'une intégration et d'une valorisation de l'histoire et de la vocation du site. Il apparaît en effet nécessaire de conserver certaines traces qui vont matérialiser une mémoire et symboliser une culture, une histoire et une identité. Mais, la conservation coûte cher et peut, de plus, entrer en contradiction avec une recomposition urbaine résolument tournée vers l'avenir.
Ainsi, il s'agit aujourd'hui de choisir parmi les friches, celles qui vont être élevées au rang de patrimoine. Cet exercice peut apparaître problématique puisque la valeur historique, symbolique ou esthétique d'une friche repose en grande partie sur des critères subjectifs difficiles à évaluer et soumis à débat. A Nantes, de nombreuses associations prônent la conservation et sensibilisent l'opinion autour de ces questions. Mais, si la ville est consciente de ces attentes, celles-ci ne sont pas forcément compatibles avec sa volonté de recomposer profondément le territoire, ni avec ses moyens. Dans ce contexte, les critères financiers et les potentialités économiques vont le plus souvent déterminer les choix : d'une part, les coûts de restauration ne doivent pas être prohibitifs, d'autre part, une reconversion doit être possible, puisque s'il y a conservation, encore faut-il que la friche puisse trouver une nouvelle utilité cadrant avec l'opération urbaine.
Pour l'instant, seules deux composantes de l'interface sont inscrits au P.O.S. comme patrimoine nantais : le bâtiment de direction des anciens chantiers Dubigeon (reconverti) et la Gare de l'Etat (reconversion prévue pour 1999). Il s'agit là de friches "bâtiments" qui par leur nature s'apparentent plus à un patrimoine bâti classique, leur forme et leur dimension les rendant assez faciles à reconvertir et à intégrer dans un tissu urbain. De telles traces apparaissent cependant insuffisantes et limitées pour représenter l'histoire et la vocation du site. Il est aussi nécessaire, mais beaucoup plus problématique et coûteux, de reconvertir de véritables formes industrielles et portuaires, qui ont souvent l'inconvénient d'être fortement marquées par leur fonction, démesurées par rapport à l'échelle urbaine et constituées de matériaux spécifiques (architecture métallique). C'est le cas notamment des friches "outils" comme les grues ou les cales, dont le fort modelage fonctionnel rend difficile l'émergence d'une nouvelle utilité. Avec la disparition de l'activité, les cales et les grues ne signifient plus rien, mais elles représentent pourtant des formes symboliques remarquables et constituent des héritages intéressants. Pour autant, la ville peut-elle se permettre de prendre en charge des coûts de réparation et de gestion importants pour une utilité discutée ?
Pour l'instant, la ville, dans sa politique patrimoniale, déploie sa méthode d'incursions, en commençant parce qui est le plus évident et le moins coûteux. Cependant, ce mouvement s'applique au coup par coup, sans réflexion globale au sujet des friches et de leur possible conservation. En effet, le sort d'une friche est généralement étudié et discuté quand une réalisation ponctuelle est projettée pour la remplacer. Une telle approche se traduit logiquement par une certaine tendance au déblaiement : les anciens chantiers navals pour d'hypothétiques projets, l'usine d'engrais Delafoy pour la Cité Judiciaire, les quatre hangars du quai de la Fosse pour l'aménagement d'une promenade. Ces destructions interviennent sans véritables études préalables sur l'intérêt des friches, hormis l'avis de l'Architecte des Bâtiments de France, quand celui-ci s'impose. De telles décisions et interventions, plus improvisées que véritablement réfléchies, suscitent donc à chaque fois le mécontentement des associations, qui au lieu de s'investir dans la valorisation d'un patrimoine qui aurait été clairement discuté, défini et accepté, jouent de plus en plus un rôle de défenseur et de contestataire face à la ville et à ses projets régulièrement annoncés et presque toujours fièvreusement critiqués.
Une transformation de l'interface est donc nécessaire pour envisager une urbanisation. Seulement, la réflexion semble insuffisante à ce sujet, la ville abordant plus le réaménagement en terme de "conquête" qu'en terme de remodelage. En effet, elle organise aujourd'hui ses incursions pour aboutir à terme à un schéma cohérent. Cet exercice consiste à réfléchir sur une future projection en terme de composition urbaine. Or, le problème se situe moins au niveau de l'organisation que de l'intervention. Il ne s'agit pas uniquement de "remplir" un territoire mais surtout de le transformer. Cette transformation, et par conséquent le modelage actuel du territoire, représente une difficulté majeure. L'interface dans son état actuel "pèse" sur l'urbanisation, elle représente des contraintes (friches, industries, port) mais également des potentialités (patrimoine, environnement, identité). Le réaménagement est donc fortement lié au territoire. Celui-ci ne va pas déterminer l'avenir, mais l'exercice de recomposition va devoir s'appuyer sur lui, comme un support d'où il faut partir pour imaginer et créer de nouveaux modes d'usages, définir des objectifs et des méthodes claires intégrant aussi bien le territoire et ses caractéristiques que les moyens et les objectifs urbains.
2.1.2. Un "morceau de ville" à composer
Le réaménagement de l'interface ville/port, en permettant à la ville de remodeler une grande partie de son territoire, lui donne l'opportunité de se redéfinir. Par ce biais, c'est pour elle l'occasion d'imaginer tout en la contrôlant une large recomposition en fonction de schémas d'aménagement répondant de manière adéquate aux exigences actuelles de fonctionnement et de développement. Ainsi, la ville va être amenée à s'interroger sur les formes de réaménagement qu'elle veut et qu'elle peut mettre en oeuvre en fonction de ses propres caractéristiques (site, contexte socio-économique, moyens disponibles...) et en fonction des enjeux (économiques, urbanistiques, environnementaux) auxquels elle est confrontée. L'objectif est à terme de trouver une stratégie adéquate afin d'optimiser au mieux l'espace en fonction de l'existant et d'une forte volonté de transformation et de développement.
Le contexte économique actuel dit "post-industriel" ou "post-fordien", axé sur les services et les échanges, fait des villes des espaces productifs privilégiés, à travers une concentration des flux et une polarisation des activités et des richesses (métropolisation). Parallèlement, chaque ville s'inscrit dans des réseaux globaux où elle est directement mise en concurrence avec ses semblables (mondialisation). Ainsi, pour assurer leur développement, les villes doivent chercher à attirer, concentrer et dynamiser le maximum de flux afin de se positionner solidement à une échelle régionale, nationale, européenne ou internationale. La ville de Nantes, forte de son agglomération et en s'alliant avec Saint-Nazaire, a l'ambition de devenir la métropole du Grand-Ouest de la France et de se positionner à l'échellon européen. Afin de pouvoir prétendre à un tel titre, elle va donc s'efforcer de polariser un maximum d'équipements et de fonctions supérieures rares tout en assurant la promotion d'une image forte et attractive pour être suffisament captive. Le réaménagement de l'interface ville/port apparaît alors comme l'occasion de concrétiser cette nouvelle dimension et il va donc entrer dans une logique de développement métropolitain influençant directement la composition urbaine.
2.1.2.1. Inscription et développement
Préalablement au développement de l'interface, il va être nécessaire de voir et de définir la place qu'elle peut prendre dans l'organisation urbaine et le rôle qu'elle peut y jouer. La composition urbaine doit certes s'efforcer d'inscrire le territoire dans le fonctionnement existant, mais elle doit aussi le dépasser, apporter des changements visant à une rédéfinition globale de la ville cadrant avec les enjeux du développement. Ainsi à Nantes, le réaménagement semble être un moyen à la fois pour renforcer la ville, organiser l'agglomération et insuffler une dimension métropolitaine.
Il s'agit tout d'abord de remédier à la désorganisation du système et à ses conséquences directes sur la ville (perte d'emplois, de population, de rentrées fiscales, image négative), mais aussi d'inscrire l'interface dans une organisation urbaine qui dépasse largement le territoire communal. Les évolutions du développement urbain, des logiques d'implantations et des mobilités ont entrainé un éclatement et une dilatation du système urbain devenu aujourd'hui complexe et plus difficilement gérable. Actuellement, l'un des principaux enjeux est de trouver des cohérences et d'organiser l'aire urbaine, afin de mieux la gérer et d'améliorer son fonctionnement [42].
L'interface ville/port occupe globalement une position centrale par rapport à l'agglomération nantaise. Sa recomposition apparaît comme l'occasion, d'une part, de recentrer et de polariser l'agglomération pour contrebalancer un certain éclatement et dispersion des flux, d'autre part, de faire émerger une nouvelle centralité correspondant mieux aux nouvelles dimensions urbaines, le centre-ville actuel n'étant plus adapté pour jouer ce rôle à l'échelle de l'agglomération. La principale interrogation est de savoir sous quelle forme la centralité relative de l'interface doit s'exprimer. Celle-ci entre pour l'instant en opposition avec la situation relativement périphérique de l'interface par rapport à la centralité actuelle. Or, il n'est pas possible de dilater démesurément le centre, ni d'en décréter un second, ni de faire de l'interface un quartier d'habitat péricentral qui ne répondrait pas aux enjeux. Il reste donc à imaginer une nouvelle forme de centralité moins rigide et moins dense, reflétant plus la dimension et la diversité de l'agglomération. C'est dans ce sens que la ville a introduit la notion de "coeur d'agglo". Elle consisterait à constituer un coeur, et non plus un centre, pour l'agglomération incluant le quartier Madeleine-Champ-de Mars et toute l'île de Nantes (Beaulieu, République, Ile Sainte-Anne), en complémentarité avec le centre historique. Il s'agirait d'éparpiller des éléments de centralité mais de manière organisée dans des zones préétablies, qui devraient réunir à la fois les avantages d'une implantation périphérique (accès, espace, prix...) et d'une position centrale (environnement, équipements, aire de clientèle...). Le réaménagement devrait donc tendre à faire émerger des pôles de développement, directement articulés au centre-ville mais gardant leur spécificité, intégrés dans un environnement urbain mixte associant habitat, loisirs et échanges. Une telle composition pourrait permettre de concilier une certaine centralité et une ouverture à la fois sur le centre-ville et l'agglomération que cristalliseraient certains foyers, tout en conservant globalement une spécificité et une échelle se rapprochant des quartiers péricentraux.
Un aménagement de ce type est actuellement en cours de réalisation dans le quartier Madeleine-Champ de Mars, ancien quartier industriel isolé par la voie ferrée et qui entre dans la stratégie "coeur d'agglo". Une Z.A.C. a été créée et de gros équipements ont été réalisés pour servir de points d'accroche. Le quartier s'articule au centre-ville et au reste de l'agglomération par l'intermédiaire d'un axe tertiaire sur la deuxième ligne de pont et du tramway sur la première ligne. Ces deux pôles focalisent l'essentiel des activités et facilitent une recomposition progressive du tissu urbain de l'intérieur dans lequel sont construits divers logements aussi bien sociaux, étudiants que de standing. Il semble qu'une méthode plus ou moins similaire soit envisagée pour l'île Sainte-Anne avec la constitution d'une troisième ligne de pont et d'un axe transversal le long de l'île de Nantes. Il reste à savoir comment elle pourra être mise en oeuvre et si elle est viable pour traiter un territoire beaucoup plus grand, soumis à de fortes pressions et à de lourdes contraintes et fortement marqué par sa vocation industrielle et portuaire.
2.1.2.2. Promotion urbaine
Alors qu'il était d'usage de séparer le cadre de vie et le développement économique, leur interdépendance est aujourd'hui reconnue. L'environnement urbain est un facteur de développement qui prend une place grandissante dans les stratégies économiques. Pour attirer des activités et des hommes, donc des flux et des richesses, la ville se doit d'être agréable, moderne, belle, intelligente, en un mot attractive. L'aménagement urbain devient donc un moyen de promotion au service du développement et doit ainsi répondre aux demandes sociales et économiques actuelles. Le réaménagement va donc tendre à la mise en place d'un cadre accompagnant et stimulant le phénomène de métropolisation, suivant un schéma dit urban-leisure economy (cf. figure n°9).
Figure n°9 : Schéma de valorisation urbaine
Dans cette optique, le principal atout de l'interface est la présence d'espaces ouverts disponibles qui représentent des facteurs d'embelissement potentiels permettant une aération de la ville et pouvant bénéficier d'un traitement paysager de qualité. A cet égard, le fleuve apparaît comme l'espace le plus intéressant. En effet, l'eau est aujourd'hui devenue un élément essentiel de composition urbaine se retrouvant dans la plupart des grandes opérations d'urbanisme. Après avoir été écarté et ignoré pendant longtemps, le fleuve représente maintenant à Nantes un atout et une richesse incontournable pour la ville. Seulement, la Loire étant actuellement très dégradée et ayant toujours été mise à l'écart du fonctionnement urbain, une véritable "reconquête" du fleuve est donc à entreprendre, à travers une valorisation indispensable pour amorcer une dynamique de fréquentation et de développement. Elle apparaît comme un des objectifs majeurs dans les questions d'aménagement s'inscrivant dans le Projet 2005 et dans le futur Projet de Ville. Dans ce cadre, l'aménagement des rives de Loire fait actuellement l'objet d'une étude réalisée par l'A.U.R.A.N.
Une valorisation du fleuve est propice à l'émergence de nouveaux usages contribuant à l'amélioration du cadre de vie (loisirs, parcs, promenades) et au développement d'activités attirées par une implantation en bord du fleuve (effet vitrine, image, plus-value). Toutefois un tel mouvement nécessite un effacement des activités industrielles et portuaires, qui, pendant longtemps, étaient les seules à utiliser le fleuve, mais qui aujourd'hui représentent une gêne. La difficulté va être de gérer les conflits d'usage potentiels, l'utilisation du fleuve étant maintenant soumise à concurrence entre une vocation industrielle et portuaire toujours présente et de nouvelles demandes urbaines. Ainsi à travers le mouvement d'urbanisation, la nature de l'interface a tendance à glisser d'une relation ville/port à une nouvelle relation ville/eau. Le fleuve représente de multiples potentialités directes pour la ville, tandis que l'aspect portuaire est plus ressenti comme une gêne assimilée au passé, à la pollution, résolument incompatible avec l'émergence d'un "morceau de ville" exemplaire et moderne. Pour la ville, le fleuve est ce qui apporte une certaine spécificité à l'espace, faute de pouvoir intégrer l'aspect portuaire et le valoriser à cette fin. Ainsi, l'environnement aquatique sert de fil conducteur à tous les projets de réamenagement (plaisance, jeux architecturaux, canaux...) pour créer une certaine originalité et attractivité.
Mais Nantes n'a pas le monopole du fleuve et des espaces verts. D'autres villes disposent des mêmes atouts et de projets similaires. Il est donc important de faire valoir une certaine spécificité propre à la ville de Nantes, afin que l'image ait plus de portée et soit mieux identifiable, sinon elle risque de se limiter à une image "classique" de métropole tertiaire, agréable au bord de l'eau, mais impersonnelle. La ville doit donc se démarquer à travers le réaménagement, en évitant les "clichés" [43]. A cet égard, une approche plus territoriale et plus culturelle peut sembler intéressante pour valoriser une certaine identité propre à la ville. L'urbanisation doit donc tirer profit de la spécificité du territoire, non pas uniquement de sa situation, mais aussi de sa vocation industrielle et portuaire, à laquelle l'histoire de la ville est intimement liée. Il s'agit donc de renforcer le réaménagement par un volet identitaire qui, au même titre que le fleuve, représente un atout et un enrichissement de l'environnement urbain et un facteur de développement.
Le problème va être de représenter l'histoire, l'ancienne vocation sans l'opposer à une urbanisation tournée vers l'avenir. La ville va donc s'efforcer de donner un caractère moderne aux composantes industrielles et portuaires pour mieux les intégrer dans une composition. Cela s'exprime tout d'abord par une politique patrimoniale qui consiste à reconvertir d'anciens bâtiments en les adaptant à des usages modernes (recyclage économique du passé), d'autre part, par une mise en scène à travers des manifestations culturelles [44] et divers volets muséographiques [45] (jouissance et consommation du passé). Ainsi, l'histoire devient une composante de l'environnement urbain (cf. figure n°8) que la ville s'efforce de valoriser en terme de "marketing urbain". En effet, la tradition portuaire peut être utilisée pour faire émerger une nouvelle image maritime renvoyant à une tradition d'échanges, à une dimension internationale et susceptible d'attirer des flux notamment touristiques. Cette tendance se retrouve dans la qualification de certains équipements comme "Atlantiques" (Aéroport International Nantes-Atlantique, Football Club de Nantes Atlantique, Atlanpole...). Seulement, il apparaît que cela est insuffisant et qu'il est nécessaire de trouver un moyen de concrétiser cette dimension de métropole atlantique encore virtuelle et peu identifiable puisque largement basée sur des échanges immatériels. A cet égard, le réaménagement de l'interface ville/port peut-il être l'occasion d'inscrire dans l'espace une telle vocation ? Si tel est le cas, il ne doit pas se limiter à un "détournement" de l'identité au seul profit urbain mais il doit aussi s'appuyer sur une réelle vocation portuaire qui, si elle s'exprime aujourd'hui différemment, est toujours en plein développement.
Une valorisation du fleuve est propice à l'émergence de nouveaux usages contribuant à l'amélioration du cadre de vie (loisirs, parcs, promenades) et au développement d'activités attirées par une implantation en bord du fleuve (effet vitrine, image, plus-value). Toutefois un tel mouvement nécessite un effacement des activités industrielles et portuaires, qui, pendant longtemps, étaient les seules à utiliser le fleuve, mais qui aujourd'hui représentent une gêne. La difficulté va être de gérer les conflits d'usage potentiels, l'utilisation du fleuve étant maintenant soumise à concurrence entre une vocation industrielle et portuaire toujours présente et de nouvelles demandes urbaines. Ainsi à travers le mouvement d'urbanisation, la nature de l'interface a tendance à glisser d'une relation ville/port à une nouvelle relation ville/eau. Le fleuve représente de multiples potentialités directes pour la ville, tandis que l'aspect portuaire est plus ressenti comme une gêne assimilée au passé, à la pollution, résolument incompatible avec l'émergence d'un "morceau de ville" exemplaire et moderne. Pour la ville, le fleuve est ce qui apporte une certaine spécificité à l'espace, faute de pouvoir intégrer l'aspect portuaire et le valoriser à cette fin. Ainsi, l'environnement aquatique sert de fil conducteur à tous les projets de réamenagement (plaisance, jeux architecturaux, canaux...) pour créer une certaine originalité et attractivité.
Mais Nantes n'a pas le monopole du fleuve et des espaces verts. D'autres villes disposent des mêmes atouts et de projets similaires. Il est donc important de faire valoir une certaine spécificité propre à la ville de Nantes, afin que l'image ait plus de portée et soit mieux identifiable, sinon elle risque de se limiter à une image "classique" de métropole tertiaire, agréable au bord de l'eau, mais impersonnelle. La ville doit donc se démarquer à travers le réaménagement, en évitant les "clichés" [43]. A cet égard, une approche plus territoriale et plus culturelle peut sembler intéressante pour valoriser une certaine identité propre à la ville. L'urbanisation doit donc tirer profit de la spécificité du territoire, non pas uniquement de sa situation, mais aussi de sa vocation industrielle et portuaire, à laquelle l'histoire de la ville est intimement liée. Il s'agit donc de renforcer le réaménagement par un volet identitaire qui, au même titre que le fleuve, représente un atout et un enrichissement de l'environnement urbain et un facteur de développement.
Le problème va être de représenter l'histoire, l'ancienne vocation sans l'opposer à une urbanisation tournée vers l'avenir. La ville va donc s'efforcer de donner un caractère moderne aux composantes industrielles et portuaires pour mieux les intégrer dans une composition. Cela s'exprime tout d'abord par une politique patrimoniale qui consiste à reconvertir d'anciens bâtiments en les adaptant à des usages modernes (recyclage économique du passé), d'autre part, par une mise en scène à travers des manifestations culturelles [44] et divers volets muséographiques [45] (jouissance et consommation du passé). Ainsi, l'histoire devient une composante de l'environnement urbain (cf. figure n°8) que la ville s'efforce de valoriser en terme de "marketing urbain". En effet, la tradition portuaire peut être utilisée pour faire émerger une nouvelle image maritime renvoyant à une tradition d'échanges, à une dimension internationale et susceptible d'attirer des flux notamment touristiques. Cette tendance se retrouve dans la qualification de certains équipements comme "Atlantiques" (Aéroport International Nantes-Atlantique, Football Club de Nantes Atlantique, Atlanpole...). Seulement, il apparaît que cela est insuffisant et qu'il est nécessaire de trouver un moyen de concrétiser cette dimension de métropole atlantique encore virtuelle et peu identifiable puisque largement basée sur des échanges immatériels. A cet égard, le réaménagement de l'interface ville/port peut-il être l'occasion d'inscrire dans l'espace une telle vocation ? Si tel est le cas, il ne doit pas se limiter à un "détournement" de l'identité au seul profit urbain mais il doit aussi s'appuyer sur une réelle vocation portuaire qui, si elle s'exprime aujourd'hui différemment, est toujours en plein développement.
[32] CHALINE, C. (dir.) (1994) Ces ports qui créèrent des villes; L'Harmattan; Paris; 299 p.
[33] Le Port Autonome étant propriétaire
[34] Dont le financement représentait l'équivalent d'environ trois années d'investissement
[35] in Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment; n°2078; 28 avril; 1997; p:141
[36] Agence d'Etudes Urbaines de l'Agglomération Nantaise
[37] Selon un rapport d'étude de "Delft Hydraulics" cité dans Programme concerté d'aménagement, de développement et de protection de l'estuaire de la Loire (1996); p:39
[38] En qualité des eaux, la Loire à Nantes est classée "hors-classe" : eau de très mauvaise qualité; idem
[39] En janvier 1979, effondrement du quai Fernand Crouan sur 100 mètres et, en juillet 1980, du quai Ernest Renaud sur 60 mètres
[40] En été, la remontée du bouchon vaseux au-delà de Nantes comble en partie les souilles des terminaux portuaires nantais
[41] Mairie de Nantes (1992) La Loire et le bras de la Madeleine : restauration du patrimoine fluvial; DGAU; Rapport d'expertise par Sauveterre Ingénieurs Conseil; p: 42
[42] C'est le principal objectif du Projet 2005 dans le cadre du District de l'agglomération nantaise
[43] CLARK, M. (1988) "The need for a more critical approach to dockland renewal" in Revitalising the waterfront; Belhaven Press; Londres; pp.222-231
[44] Bélem, Allumées, Cargo 92...
[45] Anneaux de la mémoire, Estuaire, Bâtisseurs de navires....
[33] Le Port Autonome étant propriétaire
[34] Dont le financement représentait l'équivalent d'environ trois années d'investissement
[35] in Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment; n°2078; 28 avril; 1997; p:141
[36] Agence d'Etudes Urbaines de l'Agglomération Nantaise
[37] Selon un rapport d'étude de "Delft Hydraulics" cité dans Programme concerté d'aménagement, de développement et de protection de l'estuaire de la Loire (1996); p:39
[38] En qualité des eaux, la Loire à Nantes est classée "hors-classe" : eau de très mauvaise qualité; idem
[39] En janvier 1979, effondrement du quai Fernand Crouan sur 100 mètres et, en juillet 1980, du quai Ernest Renaud sur 60 mètres
[40] En été, la remontée du bouchon vaseux au-delà de Nantes comble en partie les souilles des terminaux portuaires nantais
[41] Mairie de Nantes (1992) La Loire et le bras de la Madeleine : restauration du patrimoine fluvial; DGAU; Rapport d'expertise par Sauveterre Ingénieurs Conseil; p: 42
[42] C'est le principal objectif du Projet 2005 dans le cadre du District de l'agglomération nantaise
[43] CLARK, M. (1988) "The need for a more critical approach to dockland renewal" in Revitalising the waterfront; Belhaven Press; Londres; pp.222-231
[44] Bélem, Allumées, Cargo 92...
[45] Anneaux de la mémoire, Estuaire, Bâtisseurs de navires....