L'interface ville/port : espace-système en mutation. L'exemple de Nantes
DEUXIEME PARTIE : Quel avenir pour l'interface ville/port ?
2.2. De l'interface ville/port à la métropole portuaire
L'opération de réaménagement est motivée par la valorisation économique du site à partir de ses composantes (qui constituent des potentialités) et a pour objectif la promotion de la ville et son développement économique. Cet exercice a dans un premier temps été abordé comme une opération de recomposition urbaine classique qui offre l'occasion de recentrer la ville par rapport à l'agglomération et de l'ouvrir sur l'eau. Dans ce cas, la ville profite d'une "vide" laissé par le port pour y déployer de nouvelles fonctions et repousse ainsi la frontière urbaine au détriment de l'espace portuaire cantonné dans des zones délimitées et isolées de la ville. Ce type d'opération urbaine, qui s'apparente à la création d'un prolongement tertiaire et récréatif du centre-ville au bord de l'eau, est apparu sous forme de projets dans la plupart des villes portuaires. Ces solutions se révèlent cependant dans la plupart des cas insuffisantes et difficiles à mettre en oeuvre et sont souvent abandonnées ou piétinent pendant de nombreuses années. En effet, les moyens qu'elles nécessitent généralement et les transformations radicales qu'elles proposent sont le plus souvent décalées par rapport aux demandes et aux capacités des villes. Celles-ci sont donc amenées à s'interroger sur le bien-fondé de ce type de "reconquête urbaine" s'appliquant sur l'interface et à envisager des formes de recomposition plus adaptées, s'appuyant davantage sur le territoire et sur l'effet dynamique d'une coopération ville/port.
2.2.1. Une réflexion à approfondir
Il apparaît nettement que toutes les modalités et orientations en vue d'une urbanisation sont insuffisantes et restent vagues pour pouvoir envisager concrètement l'avenir de l'interface ville/port. Il reste à définir clairement les détails de l'urbanisation c'est-à-dire des moyens, des méthodes, des usages, des phases... Dans cette optique, si l'approche urbaine est plus prudente et réfléchie, l'essentiel de la réflexion est encore à mener. L'exercice d'urbanisation tel qu'il est envisagé apparaît en effet difficile : une projection urbaine s'applique sur l'interface qui fonctionne comme une sorte de "filtre" (cf. figure n°10) représentant autant de contraintes que de potentialités, et qui pèse sur les intentions (ambitions) de départ. De cette pesanteur découlent certains blocages. La ville se révèle alors impuissante pour appliquer son intention première (impulsive). Pour y remédier, elle doit donc déployer un effort de réflexion qui consiste à adapter et modifier cette intention en fonction de la réalité du territoire afin d'optimiser la réponse, donc le réaménagement. Mais, si le territoire est trop ignoré, le réaménagement risque d'aboutir péniblement à une banale opération urbaine profitant peu des potentialités offertes. Au contraire si le territoire est trop pris en compte, le réaménagement risque de ne pas être assez ambitieux, ne répondant pas aux attentes urbaines, donc ne profitant également pas des potentialités offertes. Actuellement, l'exercice apparaît dangereux puisqu'il s'agit de doser des actions et de trouver un équilibre subtil entre des éléments mis en situation d'opposition : passé/avenir, ville/port, services/industries, identité/modernité, réalité/ambitions, prudence/urgence. Une profonde réflexion est donc à engager aussi bien sur l'urbanisation que sur le territoire sur lequel elle s'applique. Pour l'instant, il semble que le cadre constitué par l'étude Perrault n'est pas, à lui seul, un outil exploitable pour réaménager l'interface, sa philosophie étant plutôt de prévoir l'inscription des intentions par rapport au reste de la ville, en envisageant des liaisons et une organisation, plutôt qu'en réfléchissant sur la viabilité de ces intentions par rapport à la réalité de l'interface ville/port.
2.2.1. Une réflexion à approfondir
Il apparaît nettement que toutes les modalités et orientations en vue d'une urbanisation sont insuffisantes et restent vagues pour pouvoir envisager concrètement l'avenir de l'interface ville/port. Il reste à définir clairement les détails de l'urbanisation c'est-à-dire des moyens, des méthodes, des usages, des phases... Dans cette optique, si l'approche urbaine est plus prudente et réfléchie, l'essentiel de la réflexion est encore à mener. L'exercice d'urbanisation tel qu'il est envisagé apparaît en effet difficile : une projection urbaine s'applique sur l'interface qui fonctionne comme une sorte de "filtre" (cf. figure n°10) représentant autant de contraintes que de potentialités, et qui pèse sur les intentions (ambitions) de départ. De cette pesanteur découlent certains blocages. La ville se révèle alors impuissante pour appliquer son intention première (impulsive). Pour y remédier, elle doit donc déployer un effort de réflexion qui consiste à adapter et modifier cette intention en fonction de la réalité du territoire afin d'optimiser la réponse, donc le réaménagement. Mais, si le territoire est trop ignoré, le réaménagement risque d'aboutir péniblement à une banale opération urbaine profitant peu des potentialités offertes. Au contraire si le territoire est trop pris en compte, le réaménagement risque de ne pas être assez ambitieux, ne répondant pas aux attentes urbaines, donc ne profitant également pas des potentialités offertes. Actuellement, l'exercice apparaît dangereux puisqu'il s'agit de doser des actions et de trouver un équilibre subtil entre des éléments mis en situation d'opposition : passé/avenir, ville/port, services/industries, identité/modernité, réalité/ambitions, prudence/urgence. Une profonde réflexion est donc à engager aussi bien sur l'urbanisation que sur le territoire sur lequel elle s'applique. Pour l'instant, il semble que le cadre constitué par l'étude Perrault n'est pas, à lui seul, un outil exploitable pour réaménager l'interface, sa philosophie étant plutôt de prévoir l'inscription des intentions par rapport au reste de la ville, en envisageant des liaisons et une organisation, plutôt qu'en réfléchissant sur la viabilité de ces intentions par rapport à la réalité de l'interface ville/port.
Figure n°10 : Système de réflexion en vue d'optimiser l'intervention
2.2.1.1. Risques et limites de l'urbanisation
Les blocages actuels doivent être utilisés pour mener une réflexion toujours plus approfondie, car il existe peu de certitudes au sujet de l'exercice du réaménagement. Le contexte socio-économique et les modèles évoluant vite, la réflexion doit être continuellement entretenue. S'il est clair que le moteur du réaménagement repose sur une valorisation urbaine du site, les difficultés et les risques présents amènent à examiner la manière dont l'urbanisation doit être envisagée. Sans pour autant la remettre en cause, il apparaît important de s'interroger sur la viabilité de l'urbanisation en tant que réponse unilatérale au réaménagement. En effet, à l'examen des difficultés rencontrées, il n'est pas certain qu'elle soit une solution adaptée sous la forme envisagée.
Si le principal avantage de l'approche urbaine est de transformer à terme les caractéristiques du territoire en potentialités évidentes, son principal défaut est qu'elle nécessite préalablement une énergie très importante. La difficulté est donc de définir une méthode, un temps de réponse et un dosage entre fonctions qui soient adéquats. La réflexion apparaît indispensable pour savoir quelle stratégie est possible et souhaitable en fonction du contexte. Ainsi, l'intervention doit éviter deux écueils : la précipitation (réflexion insuffisante) et la démesure (impossibilité de corriger les actions).
Les ambitions métropolitaines et la volonté de faire de l'île de Nantes un "coeur d'agglo" vont nécessiter la réalisation d'équipements suffisamment importants et nombreux pour attirer la population et les activités. La réalisation d'équipements culturels ou récréatifs ne semble pas représenter une difficulté majeure, puisqu'ils dépendent souvent d'une action publique et vont tirer leur existence des atouts du site. Mais leur multiplication pourrait devenir dommageable : "sans grand principe d'action, soit la friche Sainte-Anne ne comportera que des musées, soit elle se peuplera d'une multitude de marinas pieds-dans-l'eau, rassemblées autour d'un marigot central [46]". Il sera en effet plus complexe d'amorcer un véritable développement économique du territoire. La ville de Nantes est-elle capable d'attirer et de concentrer un grand nombre d'équipements tertiaires et privés dans un contexte économique relativement stable et peu après une opération comme Madeleine - Champs-de-Mars, qui a déjà concentré de nombreux éléments tertiaires de centralité ? Pour arriver à une certaine concentration d'activités, le réaménagement doit donc être prévu sur le long terme. En cas de précipitation, le risque encouru est la multiplication des transferts intra-urbains d'activités, des équipements publics ou des programmes de logements. Un tel dosage ne correspondrait pas vraiment aux scénarios de développement espérés.
Un autre risque est que la ville mise sur un scénario de développement démesuré, en s'appuyant sur les caractères exceptionnels du site et de la situation du territoire. Les ambitions métropolitaines cadrent en effet avec la constitution d'une nouvelle centralité tertiaire et moderne au centre de l'agglomération. A ce propos, les inventions typologiques et urbaines des grandes villes américaines représentent les formes les plus abouties de développement métropolitain. A Nantes, la "tentation du Manhattan", même si elle est aujourd'hui écartée, semble demeurer un mythe inavouable. L'urbanisation de l'île Beaulieu a pourtant montré qu'un site exceptionnel et qu'une situation centrale et proche du centre-ville ne sont pas des vecteurs de développement suffisants, même dans un contexte de croissance économique. Mais, le relatif échec de Beaulieu est parfois plus mis sur le compte du fonctionnalisme que sur une stratégie de développement inadaptée et démesurée. Dans le cadre de l'urbanisation de l'île Sainte-Anne, il faut faire attention de ne pas garder la "philosophie" du projet de Beaulieu, car même à travers des modèles urbanistiques et architecturaux radicalement différents, des ambitions similaires risquent fort d'aboutir aux mêmes échecs.
La transformation de l'espace est un processus très lent et la dynamique urbaine n'intégrera le territoire que progressivement. La centralité du territoire ne sera jamais celle du centre-ville actuel, l'opération doit donc définir une forme de centralité différente et complémentaire et non tendre à la création d'une centralité volontariste. Des actions vont être nécessaires afin de susciter et d'accompagner une dynamique de fréquentation. Il s'agit en quelque sorte de "greffer" ce territoire à la centralité, non pas pour l'amalgamer mais pour enrichir la centralité actuelle. Une attention particulière doit être apportée aux éléments d'attraction, de liaison et d'articulation. Aujourd'hui, ce territoire est clairement coupé et différencié du centre ville par la présence du fleuve, de voies rapides et du parking de la petite Hollande. Ces éléments éloignent cet espace dans les esprits et les habitudes alors qu'il ne se situe qu'à 500 mètres de la Place du Commerce. La ville tente aujourd'hui de développer une politique d'attraction qui puisse supplanter cette coupure, en utilisant le pouvoir d'attraction de l'eau (promenades, parcs), les accroches visuelles (Cité Judiciaire) et la réalisation d'équipements moteurs. Pour l'instant, la Cité Judiciaire et la Bourse du Travail représentent des réalisations peu attractives [47] qui concernent un nombre limité d'usagers. A l'inverse, la possible implantation de bâtiments universitaires semblent intéressante, bien qu'elle soit encore largement hypothétique. En effet ce genre de réalisations a l'avantage de générer immédiatement des flux et d'induire des activités (commerces, logements).
En attendant, il apparaît important de définir assez vite des stratégies d'articulation afin d'accompagner et de stimuler le mouvement de "reconquête". De nombreux projets existent mais ils sont envisagés non comme des préalables mais plutôt comme des compléments une fois que l'opération sera véritablement engagée. Ainsi, une ligne de tramway devrait utiliser d'anciennes voies ferrées pour desservir l'île Sainte-Anne selon un axe longitudinal. L'inconvénient est que cette ligne ne pourra être reliée directement au centre en l'absence de pont. De plus à moyen terme, la priorité en matière de transport va à la réalisation de la troisième ligne de tramway. De même, le futur R.E.D.D. [48], qui traverserait l'île transversalement, ne semble pas être réalisé prochainement. Ainsi, pour l'instant, si quelques réalisations débutent, les accroches semblent peu soignées. La passerelle piétonne, qui devait enjamber le bras de la Madeleine et relier la Cité Judiciaire à l'île Gloriette, n'est même plus une priorité. Ainsi aujourd'hui, les réalisations restent des incursions, que la ville s'efforcera de relier quand elle en aura les moyens. Les interventions actuelles sont donc toujours des projections auxquelles il faudra ensuite trouver des cohérences, notamment internes. Le territoire n'est pas intégré et n'est pas appréhendé de manière globale. Aujourd'hui, les actions semblent quelque peu précipitées par rapport à des moyens et à une réflexion qui, pour l'instant, ne semblent pas suivre.
Un autre risque majeur réside dans le fait que l'urbanisation apporte une réponse qui accompagne et scelle la désorganisation d'un système (rétroaction positive), ce qui se traduit logiquement par une disparition de ce système. L'interface, en tant qu'espace, risque donc de perdre son sens, sa singularité, sa richesse qu'apportait l'application du système ville/port. Le système urbain va s'efforcer de maintenir ou de recréer à lui seul ces caractéristiques, ce qui peut poser de nombreuses difficultés. Est-il capable d'apporter des réponses pouvant maintenir une telle spécificité ? Plus globalement, outre les difficultés de la méthode et du dosage de l'intervention, l'urbanisation est-elle à terme un modèle adapté pour valoriser l'interface ville/port ?
Les exercices de recomposition ont tendance à devenir des modèles exclusifs qui apportent plus ou moins les mêmes réponses à la désorganisation de l'interface. Les villes sont plus ou moins soumises aux mêmes difficultés, au mêmes exigences socio-économique, elles doivent faire face aux même enjeux. Elles vont donc souvent déployer des stratégies similaires et même si chaque cas se veut particulier et tire sa singularité du site valorisé, toutes les opérations de ce genre tendent à se ressembler. Les variantes sont nombreuses mais le scénario de fond reste classique : urbanisation de l'interface, ouverture de la ville sur l'eau, extension de la centralité et constitution d'un centre à l'échelle de la nouvelle réalité urbaine, concentration d'une palette de fonctions tertiaires procurant attractivité et flux (environnement et loisirs, recherche et technologie, tertiaire supérieur, culture).
Ainsi, si ces modes de valorisation et ces valeurs actuelles sont tout à fait viables, les logiques et exigences métropolitaines concourent à une certaine uniformisation des villes et de leur profil d'activités. Il s'agit en effet de remplir progressivement un panier de fonctions tertiaires à concentrer afin de se hausser dans la hiérarchie urbaine réticulaire. Ce processus induit une certaine homogénéisation des schémas proposés et a deux principales conséquences: la hiérarchisation et la banalisation. Cette tendance est certes à nuancer puisqu'elle apparaît très déterministe. Elle sous-tend en effet qu'à une taille et à des moyens donnés, correspond une possibilité optimale de développement. Dans ce cas les villes auraient un faible degré de liberté pour réaménager l'interface, puisqu'il s'agirait moins de valoriser des potentialités (non finies) que de gérer des contraintes pour déployer un éventail (fini) de possibilités.
Ainsi, toute opération de ce type, pour ne pas ressembler à un schéma calqué, doit valoriser des facteurs de différenciation. Mais, une grande partie des villes semblent aveuglées par les possibilités qui s'offrent à elles et jugent souvent leur cas comme exceptionnel [49] alors que les villes portuaires voisines peuvent entreprendre le même genre de réaménagement. Ainsi, toute opération de ce type n'est pas unique et tout site ne constitue pas un facteur de différenciation suffisant. La ville doit s'interroger sur ce qui peut valoriser sa spécificité puisque toutes les villes, mêmes continentales, vont être amenées à plus ou moins long terme à entreprendre des recompositions de ce genre. L'interface ville/port offre aux villes portuaires l'opportunité de pouvoir s'interroger avant les autres. Cette précocité doit être utilisée comme un atout pour apporter des innovations et non pour suivre à la lettre un modèle qui risque par la suite de devenir une norme.
A Nantes, cet effort de différenciation et d'innovation est particulièrement indispensable. La ville a une taille et des moyens limités par rapport aux grandes métropoles, elle a une situation périphérique par rapport aux grands courants économiques et elle souffre de plus d'un manque d'image. Si le potentiel de développement économique est réel, il restera toujours relativement modeste et doit être appuyé par d'autres facteurs d'attractivité. L'urbanisation de l'interface peut-elle apporter une dynamique suffisamment importante et spécifique pour permettre à la ville de Nantes de se démarquer ? Avec la disparition du système ville/port, la ville a-t-elle les moyens d'investir une telle zone sans la banaliser ?
La difficulté va être de proposer un schéma urbain original. A cette fin, les "délires" architecturaux ou la multiplication des équipements de loisirs ne sont plus vraiment suffisants, car ils deviennent des éléments systématiques en surproduction, qui n'étonnent ou n'attirent plus suffisamment. Les villes semblent donc avoir intérêt à miser sur leur histoire pour replacer leur recomposition dans une continuité identitaire spécifique. Cette prise en compte de l'ancienne vocation du site ne doit cependant pas être considérée comme nostalgique et contraignante, mais comme un potentiel d'enrichissement, afin d'éviter l'application de modèles standardisés et banalisés, dictés uniquement par la loi du marché et des ambitions de développement, parfois démesurées.
Les compositions urbaines sont ainsi souvent parsemées de traces du passé aussi bien matérielles (patrimoine valorisé) qu'immatérielles (thèmes, mémoire). Ces "touches" historiques sont utilisées pour enrichir l'opération urbaine et répondre à la fois à une demande sociale et à une logique touristique. Mais la ville est-elle apte à rendre compréhensibles ces éléments ? Le principal risque est qu'en étant intégrées dans un milieu urbain dans lequel elles n'ont rien à faire, ces traces perdent ainsi leur sens et deviennent des curiosités, des monuments figés et muséifiés focalisant l'attention sur un passé regretté, plutôt que valorisant et reflétant une activité industrielle et portuaire importante mais aujourd'hui peu perceptible. En étant réinterprété et mis en scène, le passé risque en effet de devenir pittoresque et d'entretenir une certaine nostalgie. Le problème pour la ville est qu'elle ne semble valoriser le passé qu'à travers le marketing et la nostalgie, ce qui risque d'aboutir à un détournement voire à une falsification du passé pour répondre à des demandes actuelles. Afin d'éviter les clichés basés sur une opposition passé/avenir, il apparaît important d'expliquer les évolutions et donc de replacer le territoire dans une globalité géographique et les phénomènes dans une continuité historique, au-delà d'une perception urbaine qui, en souffrant parfois d'une certaine cristallisation géographique et d'un certain traumatisme historique, place la recomposition dans un champ de sensibilités vecteur de blocages.
2.2.1.2. Vers une démarche ouverte et rationnelle
Même si aujourd'hui l'urbanisation envisagée semble différente, moins radicale et moins précipitée, les risques et les limites qu'elle présente soulignent la nécessité d'approfondir la réflexion. Si celle si s'avère insuffisante, les interventions risquent peut-être à terme de présenter les mêmes insuffisances que celles envisagées dans la phase impulsive (cf. figure n°11).
Figure n°11 : Une réponse à la désorganisation de l'interface ville/port : l'urbanisation exclusive
La ville s'est efforcé de voir comment elle pourrait se servir de l'interface dans le cadre d'un projet urbain mais elle oublie en partie comment celle-ci pourrait lui rendre service en tant qu'entité propre et différente. Les propos de l'adjoint à l'urbanisme de Nantes, Patrick Rimbert, le souligne : "l'avenir de l'île passe par la définition de son rapport avec les rives de Loire, la Fosse, Rezé et Beaulieu [50]". L'interface est définie uniquement par rapport à la ville, qui par là se projette en elle, et n'est pas considérée comme un espace propre, ayant des caractères singuliers et appelant des réponses particulières.
Si l'étude Perrault a pour ambition de partir de l'existant, le peu d'analyse sur le sujet y est éloquent. Elle ne prend en compte que des éléments incontournables : La Loire, le tissu urbain, les axes existants et les chantiers navals. Elle minimise (ignore ?) en grande partie les friches, le port, les industries encore présentes sur le site, qui pourtant représentent des facteurs incontournables du réaménagement, par les contraintes et les potentialités qu'ils génèrent. L'étude traite de la manière dont l'interface pourrait s'insérer dans l'avenir mais pas de ce qu'elle pourrait constituer. C'est une analyse qui porte quasi-exclusivement sur l'espace, les flux, les lignes de force. Le fait de projeter les Champs-Elysées ou le Champs-de- Mars pour apprécier la dimension de l'espace, s'il est amusant, est surtout révélateur de l'approche purement spatiale, où le territoire se résume à sa surface sur laquelle on peut calquer d'autres modèles sans que cela soit vraiment dommageable à sa compréhension. Parce que le territoire est appelé à changer complètement, il y a donc peu d'intérêt à s'attarder sur sa forme actuelle. Il s'agit donc d'organiser des vides, que la ville se chargera de combler à son rythme.
L'objectif officiel poursuivi est "d'initier une démarche urbanistique progressive et vivante". Dans cette analyse, le terrain est considéré comme urbain et en grande partie libre, "constitué principalement de friches industrielles et portuaires et d'installations ferroviaires [51]"! Cela peut paraître contradictoire avec la volonté d'intégrer dans la programmation "la prise en considération des facteurs sociaux et économiques [52]". Dans ces conditions, la ville réfléchit à un exercice de composition urbaine qui devrait prendre toute sa valeur à travers les qualités du lieu. L'objectif poursuivi ici est d'envisager une organisation du site afin qu'il réponde aux enjeux urbanistiques et économiques de l'agglomération. Il est clair que cet exercice de projection est insuffisant pour définir des stratégies d'intervention.
Pour envisager sérieusement le réaménagement, il apparaît ainsi nécessaire d'approfondir la réflexion en déployant des moyens d'investigation et d'analyse de l'interface ville/port dans son ensemble, prenant en compte sa nature et son organisation actuelle et s'interrogeant sur la place, l'avenir de chacune de ses composantes (notamment les friches et les activités industrielles et portuaires) en identifiant les problèmes posés (audit du territoire). Cette analyse devient d'autant plus nécessaire que le territoire est peu connu mais surtout perçu. Le délaissement le marque fortement et a tendance à homogénéiser la perception et à effacer ses autres composantes. Une démarche qui expliquerait et ferait connaître la réalité du territoire aurait l'avantage de "rationaliser" le débat, alors moins tourné vers les sentiments et le passé et d'élargir la problématique au-delà de l'île Sainte-Anne et des chantiers navals, qui en monopolisant actuellement la réflexion, la perturbe et l'appauvrit.
Ainsi il semble important d'élargir la problématique au delà de cette partie de l'interface. La problématique n'est pas uniquement de traiter ponctuellement des espaces plus ou moins délaissés. Cette solution ne serait que palliative car cette situation est symptomatique d'un phénomène plus général. Au lieu de se limiter à redéfinir le contact entre une marge portuaire et la ville, ne faut-il pas prévoir le contact entre une nouvelle dimension portuaire et une nouvelle réalité urbaine, à travers une approche à l'échelle estuarienne. Cette vision globale aurait pour avantage, en abordant le phénomène en général, d'élargir la réflexion à d'autres espaces et à de futures friches potentielles. Il s'agit d'essayer de traiter le phénomène de délaissement à long terme et de se prémunir du désemparement et des conséquences dommageables qu'il peut générer.
De plus, l'un des projets locaux majeurs, porté notamment par les responsables urbains, réside dans l'édification d'une métropole Nantes-Saint-Nazaire. Ce concept reste encore abstrait, il correspond à une réalité floue où se superposent de multiples composantes certes en interrelations mais sans véritable cohérence ni coordination. La ville de Nantes, pour prétendre à une dimension métropolitaine, se doit de concrétiser une dimension à l'échelle de l'estuaire et donc d'en intégrer les multiples réalités. A cette fin, l'interface ville/port apparaît comme un espace privilégié pour envisager une telle inscription. Il ne s'agirait alors plus seulement d'inscrire le développement de l'interface dans l'organisation urbaine, mais plus globalement d'en faire un moyen d'ouverture sur l'estuaire en accord avec ses composantes : les espaces urbains, portuaires et "naturels". Ainsi, le traitement des interfaces apparaît essentiel dans la construction de la métropole, car elles constituent des espaces de contact et d'articulation à dynamiser en entretenant une sorte de "multifonctionnalité estuarienne", afin que l'aire métropolitaine constitue un tout cohérent et non un assemblage d'espaces spécialisés et isolés. Une telle approche pourrait en outre, dans le cadre du réaménagement, apporter un certain recul et faciliter une synergie entre les acteurs pour résoudre certaines questions difficiles (gestion du fleuve, friches portuaires...). Une telle dimension peut cependant entrer en contradiction avec la volonté urbaine d'inscrire et d'intégrer l'interface ville/port à son organisation, à travers un projet urbain adapté et contrôlé. L'île Sainte-Anne par exemple constitue un véritable enjeu urbain. Son inscription dans une dimension estuarienne reviendrait pour la ville à prendre le risque de ne plus tout contrôler, de ne plus décider seule. Ainsi, la ville doit imaginer une solution en accord avec ses intérêts en terme de fonctionnement et avec la nécessité encore vague de se donner une nouvelle dimension, qui va pousser à envisager un réaménagement plus ouvert et non plus seulement autocrate pour répondre à un fonctionnement autocentré. Il semble que cet enjeu soit progressivement intégré par les responsables, il reste à trouver comment dépasser le stade des intentions : "Estuaire, villes et port sont étroitement imbriqués et constituent le cadre d'une nécessaire mobilisation autour d'un projet commun, celui de l'avenir de l'estuaire et de sa population [53]".
Une telle réflexion ne peut être féconde que si elle passe par des débats, des concertations, il apparaît donc nécessaire d'élargir son champ à tous les acteurs. Si le débat actuel n'apparaît pas assez profond, c'est peut-être parce qu'il est approprié par la ville qui ne trouve en face d'elle que les associations nantaises défendant des intérêts patrimoniaux voire "nostalgiques", ce qui ramène le débat sur un plan culturaliste/moderniste et le simplifie à une opposition passé/avenir. La réalité actuelle de l'interface est donc gommée, car le port ne joue pas vraiment un rôle d'acteur participant à la réflexion. Il semble donc difficile d'engager des débats impliquant aussi bien la ville, le port, les acteurs économiques et l'opinion publique, par lesquels pourrait être engagé une véritable concertation reposant sur la compréhension et l'explication du phénomène, du territoire et des enjeux. Dans cette optique, un atelier d'urbanisme prévu dans l'étude Perrault devrait constituer "la cheville ouvrière d'accompagnement et de coordination du projet promouvant une forme de concertation éloignée de toute démagogie". Il semble cependant qu'une telle structure soit inadaptée car elle concerne un projet urbain dans lequel le port a peu de raison de s'investir.
Le fait que le port soit absent de la réflexion apparaît comme un des éléments les plus réducteurs et les plus dommageables. Bien qu'étant un acteur incontournable, l'évolution de ses relations avec la ville l'ont en effet amené à s'effacer de ce genre de problème, et il tend aujourd'hui à regarder de loin ces démarches urbaines. Or, ce cantonnement fonctionnel risque d'appauvrir la réflexion et les schémas d'intervention. En l'absence d'un véritable intérêt portuaire, il n'y a plus vraiment de contrepoids face à une volonté urbaine de "reconquête", certes légitime, mais qui en devenant ainsi autocrate, va appliquer ses intérêts en gommant le caractère hybride de l'espace. Le principal risque de cette réaction déséquilibrée de la part des acteurs est d'aboutir à une véritable rupture entre les deux organismes, qui cette fois-ci seront cantonnés chacun dans leur fonction sur des territoires clairement séparés. A terme, la notion d'interface ville/port serait donc appelée à disparaître, or la potentialité majeure de l'espace à recomposer (sa spécificité) réside dans son caractère à la fois urbain et portuaire. Comme chacun des acteurs nantais semble vouloir trouver une solution à la hauteur de l'endroit, il semble intéressant d'entamer une réflexion sur les possibilités d'un réaménagement "urbano-portuaire".
2.2.2. Relations ville/port et dynamique métropolitaine
L'urbanisation a longtemps été considérée comme un modèle efficace pour valoriser les anciens espaces urbano-portuaires au coeur des villes. Ce type de réaménagement, initié dès les années 1950 en Amérique du Nord, s'est révélé viable dans un certain contexte, mais sa diffusion généralisée suscite aujourd'hui de nombreuses interrogations. En Europe, la faible pression foncière, le manque d'intérêt des milieux d'affaires, le statut public et le régime juridique des territoires portuaires, les nombreux caractères hérités et l'attachement des populations à la vocation maritime de leur ville constituent autant de facteurs qui rendent longues, difficiles et hasardeuses les "reconquêtes" urbaines. Face aux blocages, des villes se sont interrogées en vue d'adapter les réponses envisagées au contexte. En voulant urbaniser l'interface, donc en repoussant ou en se préservant de tout contact physique avec le port, ces villes ont réalisé qu'elles se privaient ainsi de l'un de leur fondement et atout, source d'identité, d'attractivité et de développement. La possible réintroduction ou le redéveloppement de nouvelles fonctions portuaires adaptées au contexte urbain est alors apparu comme un moyen de faciliter et d'enrichir la recomposition et de faire de l'interface un espace bénéfiques pour la ville comme pour le port. "L'objectif n'est donc pas de déplacer la "frontière urbaine" de telle sorte que l'urbanisation étende son emprise sur l'espace portuaire et provoque sa disparition, mais bien au contraire, de susciter une valorisation mutuelle des espaces portuaires et urbains par un aménagement respectueux des spécificités fonctionnelles et paysagères de chacun de ces espaces [54]".
2.2.2.1. Ville et port : de l'autonomie à l'interdépendance ?
Sous l'effet de mutations, les villes et les ports ont évolué très rapidement et ont développé de nouveaux types de rapports. En France, le régime d'autonomie portuaire s'est révélé efficace pour mobiliser rapidement les investissements nécessaires afin de profiter des potentialités de développement industriel. Mais cette stratégie -réponse politique aux bouleversements économiques et techniques- a engendré un véritable clivage ville/port qui a contribué à créer de véritables ruptures spatiales au sein des villes portuaires. Au-delà même de cette division spatiale, les ports ont eu tendance à être gérés comme des outils techniques en fonction de stratégies cohérentes au niveau national, mais plus ou moins déconnectées des stratégies locales. Les villes portuaires, en étant ainsi privées de leur contact international, ont été cantonnés dans un développement régional et continental fortement dominé par Paris qui a eu tendance à monopoliser les fonctions internationales.
Aujourd'hui, dans un contexte économique dit post-industriel, ce type de stratégie apparaît problématique. Les échanges ne s'organisent plus autour d'un emboîtement d'espaces spécialisés (espace-production, espace-transport, espace-consommation) selon un mode vertical. L'espace économique se complexifie et s'organise en réseaux à l'échelle internationale dans lesquels les échanges s'effectuent selon un mode horizontal [55] entre nœuds de communication multi-fonctionnels qui en concentrant les flux et en valorisant la circulation deviennent des pôles de développement économique.
A cet égard, les villes portuaires constituent des places d'échanges ouvertes sur le monde propices à l'émergence d'activités liées à la valorisation du processus de circulation. Seulement le clivage ville/port a aujourd'hui comme principal effet de priver les villes portuaires de cette dynamique potentielle. Dans un tel contexte, les divisions fonctionnelles, spatiales et institutionnelles sont-elles toujours viables pour polariser des échanges qui nécessitent et impliquent un éventail de fonctions diverses ?
A travers la politique d'autonomie, les ports se sont adaptés en basant l'essentiel de leur stratégie autour de l'outil technique qu'il pouvait offrir à leurs usagers. Cette effort autour de la fonction transport et des infrastructures est nécessaire mais apparaît aujourd'hui insuffisant pour attirer certains flux fortement concurrencés et pour se positionner sur le plan international. Plus que la qualité d'un outil qui tend à s'uniformiser d'un port à l'autre, les grands ports cherchent à améliorer l'offre de services susceptibles d'attirer et de satisfaire les clients. Si le régime d'autonomie, qui tire en partie son existence d'une mission de "travaux publics", n'évolue pas, les ports risquent de ne pas profiter du potentiel de développement lié à la multiplication des échanges mais de constituer des "couloirs" qui valoriseraient peu le passage de la marchandise.
Ainsi, le port ne doit plus se résumer à un espace-transport mais doit aussi tendre à devenir une composante essentielle d'un environnement d'échanges. L'adaptation aux mutations est aujourd'hui moins d'ordre technique que d'ordre économique. La réalité portuaire est amenée à dépasser la notion finie d'espace, à transcender la monofonctionnalité sectorielle et à intégrer la circulation de flux déterritorialisés. Le port ne peut plus être un outil fermé, assigné à une mission et à un territoire mais au contraire être un système ouvert en interrelation avec de multiples fonctions génératrices de flux, notamment avec d'autres ports et avec les villes qui sont les espaces productifs essentiels de la mondialisation. Pour attirer de nouveaux trafics, développer de nouveaux services et accroître ses capacités commerciales, le port va être amené à s'appuyer sur la ville qui peut concentrer des fonctions et des compétences non directement portuaires mais au service du transport maritime : distribution, courtage, armement, management des flottes, capacités bancaires, assurances, commerce, communication, réseaux télématiques... "Parce que l'économie ne repose plus sur la production industrielle taylorienne mais plus globalement sur un processus de circulation qui concerne marchandises et informations, c'est-à-dire le commerce, le port a besoin de la ville et inversement [56]".
Ce constat d'une nécessaire interrelation ville/port est aujourd'hui quasi-unanimement partagé. Cependant ce genre de discours est à prendre avec beaucoup de prudence. En effet, sur le plan économique, les relations entre fonctions urbaines et fonctions portuaires ne constituent pas un phénomène nouveau, car à ce niveau la ville et port défendent globalement le même intérêt, celui du développement. Le port est générateur de valeur ajoutée et d'emploi par un effet d'induction sur des fonctions urbaines (industrielles et tertiaires). Pour autant, il ne s'agit pas d'une nouvelle relation ville/port mais bien celle issue du découplage spatial et institutionnel des deux entités. En effet, cette dissociation a modifiée la nature du contact entre ville et port : si sur le plan spatial l'interface ville/port s'est désorganisée, elle n'a pas pour autant disparu, mais est devenue en quelque sorte virtuelle ou "aterritoriale" (non retranscrite spatialement). Si le port dynamise certaines fonctions, celles-ci sont parsemées dans l'espace et moins spécifiquement portuaires, donc moins identifiables.
La relation ville/port devient beaucoup plus problématique et moins consensuelle dès qu'elle est territorialisée, c'est-à-dire dès qu'elle dépasse le strict cadre économique. Derrière un discours d'interrelations, les politiques urbaines et portuaires semblent rester quasiment identiques sur le plan spatial que ce soit dans le traitement de l'interface ou dans la possible introduction de fonctions portuaires en milieu urbain. Par exemple le port de Nantes se situe toujours dans une mission d'adaptation exclusivement technique : "En théorie, tout apparemment milite pour une forte concentration progressive du trafic sur la zone nazairienne : l'augmentation de la taille des navires, le développement de la conteneurisation, les plus grandes facilités de manutention, de stockage et de dégagement vers l'extérieur... jouent dans ce sens. (...) Même si le transport par petits bateaux ne faiblit pas, tout milite pour que l'essentiel du développement portuaire se fasse à l'aval de l'estuaire. Faut-il aller jusqu'à envisager -comme certains de nos interlocuteurs l'ont fait- la cessation de l'activité portuaire dans l'agglomération nantaise ? Certes le bilan, en comptabilité analytique, de l'exploitation portuaire de l'amont est négatif mais cela semble dû plus aux conditions d'exploitation qu'au coût du dragage du chenal. Cependant une partie de l'activité économique de l'agglomération nantaise (sucrerie, commerce du bois à Cheviré, etc.) reste liée au trafic maritime et portuaire : la seule indemnisation des sociétés engagées contractuellement avec le port rend prohibitive la cessation de l'activité portuaire à Nantes [57]". Ces propos rappelent que le Port Autonome est un outil technique et que la présence d'infrastructures portuaires en milieu urbain est plus envisagée comme une contrainte que comme une réalité portuaire porteuse de développement. La logique est toujours nationale, le trafic d'approvisionnement énergétique que susciterait la construction de Donges-Est apparaissant par exemple beaucoup plus disputé que les retombées économiques de la plate-forme commerciale de Cheviré dont la disparition est même envisagée, comme le laissait supposer les projections émises précédement (cf.§ 1.2.1.3.).
A Nantes, la nécessité d'un nouveau rapport ville/port se résume-t-elle à un discours ? Le principal enjeu des relations villes/ports aujourd'hui est la constitution de véritables métropoles portuaires pouvant jouer un rôle d'interfaces internationales en rétablissant localement une certaine synergie entre fonctions portuaires et urbaines afin d'accompagner et stimuler le processus de métropolisation à travers les fonctions d'échanges et de permettre une meilleure insertion et intégration de la place dans le commerce européen et/ou international. Seulement une synergie peut-elle être compatible avec une rupture spatiale, sociale, culturelle ? Peut-il y avoir effet de synergie sans contact réel et identifiable ? L'interrelation ville/port peut-elle s'affranchir de la dimension spatiale alors que ville et port sont tous deux des espaces et que la concentration et la multiplication des activités dans un même espace constitue l'une des clés contemporaines du développement économique ?
"Le constat de l'importance croissante des échanges internationaux dans l'économie des métropoles conduit à considérer le port comme un maillon essentiel d'une stratégie de développement et donc à prévoir l'adaptation de l'outil portuaire plutôt que sa suppression [58]". Ainsi certains ports voient dans la recomposition de l'interface l'occasion de développer de nouvelles fonctions portuaires (commerce, télécommunications, trafics...) au sein d'un environnement urbain vecteur d'échanges, le renforcement des compétences et des services locaux pouvant ainsi constituer une base pour établir une stratégie collective de reconquête. Dans ce cas, il s'agit d'envisager la recomposition comme un moyen de retranscrire une nouvelle relation entre la ville et le port, de créer une synergie porteuse de développement au service du réaménagement et de la place portuaire dans son ensemble.
2.2.2.2. Retranscription spatiale d'une intégration urbano-portuaire
A Nantes, la relation ville/port semble aujourd'hui relativement ambiguë. Sur le plan économique, le port constitue un atout de développement essentiel pour la ville et son projet métropolitain. Cependant, à travers sa volonté de reconquête des anciens espaces portuaires, la ville a tendance à focaliser l'attention sur les friches et par conséquent sur une image déclinante et nostalgique du port. La réalité portuaire risque alors d'être en partie assimilée à cette image, ce qui peut s'avérer dommageable en terme de promotion, le port apparaissant comme issu d'un autre âge plutôt que comme un outil compétitif aux yeux de la population et surtout des usagers potentiels. Or, l'image du port repose en grande partie sur la ville portuaire qui constitue un support privilégié de diffusion promotionnelle, capable d'irriguer un hinterland à travers une identification et une image. En se retirant de la ville, le port prend le risque de ne plus contrôler cette image, de déléguer à la ville sa représentation vis-à-vis du public.
Cette attitude apparaît en quelque sorte symptomatique d'une relative coupure du port avec son environnement. A cet égard, outre les publicités destinées aux milieux économiques avertis et reflétant un outil technique performant, la politique de communication du port paraît assez limitée. Faute d'un support de représentation et de compréhension, l'imaginaire collectif s'accroche alors à la réalité portuaire dont il dispose et qu'il connaît, c'est-à-dire le passé et les friches. Cette absence de lisibilité du port actuel est accentuée par la faiblesse ou l'ambiguïté du discours urbain vis-à-vis du port et de l'absence de support spatial de l'activité portuaire, l'espace opérationnel étant aujourd'hui distant ou peu accessible et l'interface ville/port étant devenue en grande partie virtuelle.
Le port n'a-t-il donc pas intérêt à s'investir dans le réaménagement comme moyen de promotion, à créer des fonctions et un environnement portuaire qui puissent participer à l'intégration du port actuel dans l'imaginaire de la ville portuaire ? Ce genre d'intervention suscite pourtant quelques réticences puisqu'elle détourne les autorités portuaires de leur mission économique et technique première. L'implication du port dans l'aménagement urbain sous-tend notamment une action dans le champ culturel de l'activité portuaire qui n'est encore que très rarement considéré comme une arme économique.
En effet, le régime d'autonomie portuaire semble avoir pour inconvénient de cantonner la réalité portuaire dans une approche restrictive, en l'envisageant majoritairement du point de vue opérationnel et technique ; volets qui n'auraient effectivement plus trop d'avenir sur l'interface quoi que ce serait présupposer de l'avenir du transport maritime et notamment du développement du cabotage. Or le contexte économique actuel et la logique de réseau orientent le développement portuaire non pas uniquement dans la construction de nouveaux terminaux mais également dans la constitution et le renforcement de fonctions d'échanges. Il semble que certains ports, notamment en France, aient actuellement des difficultés à transcender leur fonction de transport en investissant dans des espaces et dans des équipements qui s'ils ne génèrent pas directement de trafics, permettent d'accroître leur compétitivité et attractivité. A Nantes, la manière d'aborder les espaces portuaires délaissés, qui constituent aussi une réalité portuaire, semble révélatrice d'une certaine dimension portuaire qui apparaît cloisonnée dans une mission exclusive d'adaptation monodimensionnelle aujourd'hui insuffisante.
S'ils veulent assurer leur développement, les ports peuvent-ils se résumer à des organes techniques autonomes s'étalant en aval ? N'ont-ils pas une dimension plus globale (spatiale, culturelle...) qu'il leur appartient de coordonner avec leur mission économique pour s'affirmer dans une économie globale ? L'inscription du port dans son environnement est encore trop perçue comme un investissement contraignant plutôt que comme une démarche commerciale, un facteur d'enrichissement qui permet d'établir des interrelations susceptibles de générer de nouvelles fonctions, un moyen de mettre en avant ses compétences et de se positionner en tant qu'acteur local du développement. Une telle approche suppose préalablement une politique d'aménagement et de gestion du territoire portuaire qui ne soit plus monofonctionnelle mais qui puisse apporter des réponses adaptées et bénéfiques pour le port en fonction des contraintes et des potentialités de l'espace et de son environnement. A cet égard, l'interface ville/port apparaît comme un espace privilégié d'accroche avec l'environnement productif urbain et non pas seulement comme un espace improductif jeté par un port déresponsabilisé.
Si l'étude Perrault a pour ambition de partir de l'existant, le peu d'analyse sur le sujet y est éloquent. Elle ne prend en compte que des éléments incontournables : La Loire, le tissu urbain, les axes existants et les chantiers navals. Elle minimise (ignore ?) en grande partie les friches, le port, les industries encore présentes sur le site, qui pourtant représentent des facteurs incontournables du réaménagement, par les contraintes et les potentialités qu'ils génèrent. L'étude traite de la manière dont l'interface pourrait s'insérer dans l'avenir mais pas de ce qu'elle pourrait constituer. C'est une analyse qui porte quasi-exclusivement sur l'espace, les flux, les lignes de force. Le fait de projeter les Champs-Elysées ou le Champs-de- Mars pour apprécier la dimension de l'espace, s'il est amusant, est surtout révélateur de l'approche purement spatiale, où le territoire se résume à sa surface sur laquelle on peut calquer d'autres modèles sans que cela soit vraiment dommageable à sa compréhension. Parce que le territoire est appelé à changer complètement, il y a donc peu d'intérêt à s'attarder sur sa forme actuelle. Il s'agit donc d'organiser des vides, que la ville se chargera de combler à son rythme.
L'objectif officiel poursuivi est "d'initier une démarche urbanistique progressive et vivante". Dans cette analyse, le terrain est considéré comme urbain et en grande partie libre, "constitué principalement de friches industrielles et portuaires et d'installations ferroviaires [51]"! Cela peut paraître contradictoire avec la volonté d'intégrer dans la programmation "la prise en considération des facteurs sociaux et économiques [52]". Dans ces conditions, la ville réfléchit à un exercice de composition urbaine qui devrait prendre toute sa valeur à travers les qualités du lieu. L'objectif poursuivi ici est d'envisager une organisation du site afin qu'il réponde aux enjeux urbanistiques et économiques de l'agglomération. Il est clair que cet exercice de projection est insuffisant pour définir des stratégies d'intervention.
Pour envisager sérieusement le réaménagement, il apparaît ainsi nécessaire d'approfondir la réflexion en déployant des moyens d'investigation et d'analyse de l'interface ville/port dans son ensemble, prenant en compte sa nature et son organisation actuelle et s'interrogeant sur la place, l'avenir de chacune de ses composantes (notamment les friches et les activités industrielles et portuaires) en identifiant les problèmes posés (audit du territoire). Cette analyse devient d'autant plus nécessaire que le territoire est peu connu mais surtout perçu. Le délaissement le marque fortement et a tendance à homogénéiser la perception et à effacer ses autres composantes. Une démarche qui expliquerait et ferait connaître la réalité du territoire aurait l'avantage de "rationaliser" le débat, alors moins tourné vers les sentiments et le passé et d'élargir la problématique au-delà de l'île Sainte-Anne et des chantiers navals, qui en monopolisant actuellement la réflexion, la perturbe et l'appauvrit.
Ainsi il semble important d'élargir la problématique au delà de cette partie de l'interface. La problématique n'est pas uniquement de traiter ponctuellement des espaces plus ou moins délaissés. Cette solution ne serait que palliative car cette situation est symptomatique d'un phénomène plus général. Au lieu de se limiter à redéfinir le contact entre une marge portuaire et la ville, ne faut-il pas prévoir le contact entre une nouvelle dimension portuaire et une nouvelle réalité urbaine, à travers une approche à l'échelle estuarienne. Cette vision globale aurait pour avantage, en abordant le phénomène en général, d'élargir la réflexion à d'autres espaces et à de futures friches potentielles. Il s'agit d'essayer de traiter le phénomène de délaissement à long terme et de se prémunir du désemparement et des conséquences dommageables qu'il peut générer.
De plus, l'un des projets locaux majeurs, porté notamment par les responsables urbains, réside dans l'édification d'une métropole Nantes-Saint-Nazaire. Ce concept reste encore abstrait, il correspond à une réalité floue où se superposent de multiples composantes certes en interrelations mais sans véritable cohérence ni coordination. La ville de Nantes, pour prétendre à une dimension métropolitaine, se doit de concrétiser une dimension à l'échelle de l'estuaire et donc d'en intégrer les multiples réalités. A cette fin, l'interface ville/port apparaît comme un espace privilégié pour envisager une telle inscription. Il ne s'agirait alors plus seulement d'inscrire le développement de l'interface dans l'organisation urbaine, mais plus globalement d'en faire un moyen d'ouverture sur l'estuaire en accord avec ses composantes : les espaces urbains, portuaires et "naturels". Ainsi, le traitement des interfaces apparaît essentiel dans la construction de la métropole, car elles constituent des espaces de contact et d'articulation à dynamiser en entretenant une sorte de "multifonctionnalité estuarienne", afin que l'aire métropolitaine constitue un tout cohérent et non un assemblage d'espaces spécialisés et isolés. Une telle approche pourrait en outre, dans le cadre du réaménagement, apporter un certain recul et faciliter une synergie entre les acteurs pour résoudre certaines questions difficiles (gestion du fleuve, friches portuaires...). Une telle dimension peut cependant entrer en contradiction avec la volonté urbaine d'inscrire et d'intégrer l'interface ville/port à son organisation, à travers un projet urbain adapté et contrôlé. L'île Sainte-Anne par exemple constitue un véritable enjeu urbain. Son inscription dans une dimension estuarienne reviendrait pour la ville à prendre le risque de ne plus tout contrôler, de ne plus décider seule. Ainsi, la ville doit imaginer une solution en accord avec ses intérêts en terme de fonctionnement et avec la nécessité encore vague de se donner une nouvelle dimension, qui va pousser à envisager un réaménagement plus ouvert et non plus seulement autocrate pour répondre à un fonctionnement autocentré. Il semble que cet enjeu soit progressivement intégré par les responsables, il reste à trouver comment dépasser le stade des intentions : "Estuaire, villes et port sont étroitement imbriqués et constituent le cadre d'une nécessaire mobilisation autour d'un projet commun, celui de l'avenir de l'estuaire et de sa population [53]".
Une telle réflexion ne peut être féconde que si elle passe par des débats, des concertations, il apparaît donc nécessaire d'élargir son champ à tous les acteurs. Si le débat actuel n'apparaît pas assez profond, c'est peut-être parce qu'il est approprié par la ville qui ne trouve en face d'elle que les associations nantaises défendant des intérêts patrimoniaux voire "nostalgiques", ce qui ramène le débat sur un plan culturaliste/moderniste et le simplifie à une opposition passé/avenir. La réalité actuelle de l'interface est donc gommée, car le port ne joue pas vraiment un rôle d'acteur participant à la réflexion. Il semble donc difficile d'engager des débats impliquant aussi bien la ville, le port, les acteurs économiques et l'opinion publique, par lesquels pourrait être engagé une véritable concertation reposant sur la compréhension et l'explication du phénomène, du territoire et des enjeux. Dans cette optique, un atelier d'urbanisme prévu dans l'étude Perrault devrait constituer "la cheville ouvrière d'accompagnement et de coordination du projet promouvant une forme de concertation éloignée de toute démagogie". Il semble cependant qu'une telle structure soit inadaptée car elle concerne un projet urbain dans lequel le port a peu de raison de s'investir.
Le fait que le port soit absent de la réflexion apparaît comme un des éléments les plus réducteurs et les plus dommageables. Bien qu'étant un acteur incontournable, l'évolution de ses relations avec la ville l'ont en effet amené à s'effacer de ce genre de problème, et il tend aujourd'hui à regarder de loin ces démarches urbaines. Or, ce cantonnement fonctionnel risque d'appauvrir la réflexion et les schémas d'intervention. En l'absence d'un véritable intérêt portuaire, il n'y a plus vraiment de contrepoids face à une volonté urbaine de "reconquête", certes légitime, mais qui en devenant ainsi autocrate, va appliquer ses intérêts en gommant le caractère hybride de l'espace. Le principal risque de cette réaction déséquilibrée de la part des acteurs est d'aboutir à une véritable rupture entre les deux organismes, qui cette fois-ci seront cantonnés chacun dans leur fonction sur des territoires clairement séparés. A terme, la notion d'interface ville/port serait donc appelée à disparaître, or la potentialité majeure de l'espace à recomposer (sa spécificité) réside dans son caractère à la fois urbain et portuaire. Comme chacun des acteurs nantais semble vouloir trouver une solution à la hauteur de l'endroit, il semble intéressant d'entamer une réflexion sur les possibilités d'un réaménagement "urbano-portuaire".
2.2.2. Relations ville/port et dynamique métropolitaine
L'urbanisation a longtemps été considérée comme un modèle efficace pour valoriser les anciens espaces urbano-portuaires au coeur des villes. Ce type de réaménagement, initié dès les années 1950 en Amérique du Nord, s'est révélé viable dans un certain contexte, mais sa diffusion généralisée suscite aujourd'hui de nombreuses interrogations. En Europe, la faible pression foncière, le manque d'intérêt des milieux d'affaires, le statut public et le régime juridique des territoires portuaires, les nombreux caractères hérités et l'attachement des populations à la vocation maritime de leur ville constituent autant de facteurs qui rendent longues, difficiles et hasardeuses les "reconquêtes" urbaines. Face aux blocages, des villes se sont interrogées en vue d'adapter les réponses envisagées au contexte. En voulant urbaniser l'interface, donc en repoussant ou en se préservant de tout contact physique avec le port, ces villes ont réalisé qu'elles se privaient ainsi de l'un de leur fondement et atout, source d'identité, d'attractivité et de développement. La possible réintroduction ou le redéveloppement de nouvelles fonctions portuaires adaptées au contexte urbain est alors apparu comme un moyen de faciliter et d'enrichir la recomposition et de faire de l'interface un espace bénéfiques pour la ville comme pour le port. "L'objectif n'est donc pas de déplacer la "frontière urbaine" de telle sorte que l'urbanisation étende son emprise sur l'espace portuaire et provoque sa disparition, mais bien au contraire, de susciter une valorisation mutuelle des espaces portuaires et urbains par un aménagement respectueux des spécificités fonctionnelles et paysagères de chacun de ces espaces [54]".
2.2.2.1. Ville et port : de l'autonomie à l'interdépendance ?
Sous l'effet de mutations, les villes et les ports ont évolué très rapidement et ont développé de nouveaux types de rapports. En France, le régime d'autonomie portuaire s'est révélé efficace pour mobiliser rapidement les investissements nécessaires afin de profiter des potentialités de développement industriel. Mais cette stratégie -réponse politique aux bouleversements économiques et techniques- a engendré un véritable clivage ville/port qui a contribué à créer de véritables ruptures spatiales au sein des villes portuaires. Au-delà même de cette division spatiale, les ports ont eu tendance à être gérés comme des outils techniques en fonction de stratégies cohérentes au niveau national, mais plus ou moins déconnectées des stratégies locales. Les villes portuaires, en étant ainsi privées de leur contact international, ont été cantonnés dans un développement régional et continental fortement dominé par Paris qui a eu tendance à monopoliser les fonctions internationales.
Aujourd'hui, dans un contexte économique dit post-industriel, ce type de stratégie apparaît problématique. Les échanges ne s'organisent plus autour d'un emboîtement d'espaces spécialisés (espace-production, espace-transport, espace-consommation) selon un mode vertical. L'espace économique se complexifie et s'organise en réseaux à l'échelle internationale dans lesquels les échanges s'effectuent selon un mode horizontal [55] entre nœuds de communication multi-fonctionnels qui en concentrant les flux et en valorisant la circulation deviennent des pôles de développement économique.
A cet égard, les villes portuaires constituent des places d'échanges ouvertes sur le monde propices à l'émergence d'activités liées à la valorisation du processus de circulation. Seulement le clivage ville/port a aujourd'hui comme principal effet de priver les villes portuaires de cette dynamique potentielle. Dans un tel contexte, les divisions fonctionnelles, spatiales et institutionnelles sont-elles toujours viables pour polariser des échanges qui nécessitent et impliquent un éventail de fonctions diverses ?
A travers la politique d'autonomie, les ports se sont adaptés en basant l'essentiel de leur stratégie autour de l'outil technique qu'il pouvait offrir à leurs usagers. Cette effort autour de la fonction transport et des infrastructures est nécessaire mais apparaît aujourd'hui insuffisant pour attirer certains flux fortement concurrencés et pour se positionner sur le plan international. Plus que la qualité d'un outil qui tend à s'uniformiser d'un port à l'autre, les grands ports cherchent à améliorer l'offre de services susceptibles d'attirer et de satisfaire les clients. Si le régime d'autonomie, qui tire en partie son existence d'une mission de "travaux publics", n'évolue pas, les ports risquent de ne pas profiter du potentiel de développement lié à la multiplication des échanges mais de constituer des "couloirs" qui valoriseraient peu le passage de la marchandise.
Ainsi, le port ne doit plus se résumer à un espace-transport mais doit aussi tendre à devenir une composante essentielle d'un environnement d'échanges. L'adaptation aux mutations est aujourd'hui moins d'ordre technique que d'ordre économique. La réalité portuaire est amenée à dépasser la notion finie d'espace, à transcender la monofonctionnalité sectorielle et à intégrer la circulation de flux déterritorialisés. Le port ne peut plus être un outil fermé, assigné à une mission et à un territoire mais au contraire être un système ouvert en interrelation avec de multiples fonctions génératrices de flux, notamment avec d'autres ports et avec les villes qui sont les espaces productifs essentiels de la mondialisation. Pour attirer de nouveaux trafics, développer de nouveaux services et accroître ses capacités commerciales, le port va être amené à s'appuyer sur la ville qui peut concentrer des fonctions et des compétences non directement portuaires mais au service du transport maritime : distribution, courtage, armement, management des flottes, capacités bancaires, assurances, commerce, communication, réseaux télématiques... "Parce que l'économie ne repose plus sur la production industrielle taylorienne mais plus globalement sur un processus de circulation qui concerne marchandises et informations, c'est-à-dire le commerce, le port a besoin de la ville et inversement [56]".
Ce constat d'une nécessaire interrelation ville/port est aujourd'hui quasi-unanimement partagé. Cependant ce genre de discours est à prendre avec beaucoup de prudence. En effet, sur le plan économique, les relations entre fonctions urbaines et fonctions portuaires ne constituent pas un phénomène nouveau, car à ce niveau la ville et port défendent globalement le même intérêt, celui du développement. Le port est générateur de valeur ajoutée et d'emploi par un effet d'induction sur des fonctions urbaines (industrielles et tertiaires). Pour autant, il ne s'agit pas d'une nouvelle relation ville/port mais bien celle issue du découplage spatial et institutionnel des deux entités. En effet, cette dissociation a modifiée la nature du contact entre ville et port : si sur le plan spatial l'interface ville/port s'est désorganisée, elle n'a pas pour autant disparu, mais est devenue en quelque sorte virtuelle ou "aterritoriale" (non retranscrite spatialement). Si le port dynamise certaines fonctions, celles-ci sont parsemées dans l'espace et moins spécifiquement portuaires, donc moins identifiables.
La relation ville/port devient beaucoup plus problématique et moins consensuelle dès qu'elle est territorialisée, c'est-à-dire dès qu'elle dépasse le strict cadre économique. Derrière un discours d'interrelations, les politiques urbaines et portuaires semblent rester quasiment identiques sur le plan spatial que ce soit dans le traitement de l'interface ou dans la possible introduction de fonctions portuaires en milieu urbain. Par exemple le port de Nantes se situe toujours dans une mission d'adaptation exclusivement technique : "En théorie, tout apparemment milite pour une forte concentration progressive du trafic sur la zone nazairienne : l'augmentation de la taille des navires, le développement de la conteneurisation, les plus grandes facilités de manutention, de stockage et de dégagement vers l'extérieur... jouent dans ce sens. (...) Même si le transport par petits bateaux ne faiblit pas, tout milite pour que l'essentiel du développement portuaire se fasse à l'aval de l'estuaire. Faut-il aller jusqu'à envisager -comme certains de nos interlocuteurs l'ont fait- la cessation de l'activité portuaire dans l'agglomération nantaise ? Certes le bilan, en comptabilité analytique, de l'exploitation portuaire de l'amont est négatif mais cela semble dû plus aux conditions d'exploitation qu'au coût du dragage du chenal. Cependant une partie de l'activité économique de l'agglomération nantaise (sucrerie, commerce du bois à Cheviré, etc.) reste liée au trafic maritime et portuaire : la seule indemnisation des sociétés engagées contractuellement avec le port rend prohibitive la cessation de l'activité portuaire à Nantes [57]". Ces propos rappelent que le Port Autonome est un outil technique et que la présence d'infrastructures portuaires en milieu urbain est plus envisagée comme une contrainte que comme une réalité portuaire porteuse de développement. La logique est toujours nationale, le trafic d'approvisionnement énergétique que susciterait la construction de Donges-Est apparaissant par exemple beaucoup plus disputé que les retombées économiques de la plate-forme commerciale de Cheviré dont la disparition est même envisagée, comme le laissait supposer les projections émises précédement (cf.§ 1.2.1.3.).
A Nantes, la nécessité d'un nouveau rapport ville/port se résume-t-elle à un discours ? Le principal enjeu des relations villes/ports aujourd'hui est la constitution de véritables métropoles portuaires pouvant jouer un rôle d'interfaces internationales en rétablissant localement une certaine synergie entre fonctions portuaires et urbaines afin d'accompagner et stimuler le processus de métropolisation à travers les fonctions d'échanges et de permettre une meilleure insertion et intégration de la place dans le commerce européen et/ou international. Seulement une synergie peut-elle être compatible avec une rupture spatiale, sociale, culturelle ? Peut-il y avoir effet de synergie sans contact réel et identifiable ? L'interrelation ville/port peut-elle s'affranchir de la dimension spatiale alors que ville et port sont tous deux des espaces et que la concentration et la multiplication des activités dans un même espace constitue l'une des clés contemporaines du développement économique ?
"Le constat de l'importance croissante des échanges internationaux dans l'économie des métropoles conduit à considérer le port comme un maillon essentiel d'une stratégie de développement et donc à prévoir l'adaptation de l'outil portuaire plutôt que sa suppression [58]". Ainsi certains ports voient dans la recomposition de l'interface l'occasion de développer de nouvelles fonctions portuaires (commerce, télécommunications, trafics...) au sein d'un environnement urbain vecteur d'échanges, le renforcement des compétences et des services locaux pouvant ainsi constituer une base pour établir une stratégie collective de reconquête. Dans ce cas, il s'agit d'envisager la recomposition comme un moyen de retranscrire une nouvelle relation entre la ville et le port, de créer une synergie porteuse de développement au service du réaménagement et de la place portuaire dans son ensemble.
2.2.2.2. Retranscription spatiale d'une intégration urbano-portuaire
A Nantes, la relation ville/port semble aujourd'hui relativement ambiguë. Sur le plan économique, le port constitue un atout de développement essentiel pour la ville et son projet métropolitain. Cependant, à travers sa volonté de reconquête des anciens espaces portuaires, la ville a tendance à focaliser l'attention sur les friches et par conséquent sur une image déclinante et nostalgique du port. La réalité portuaire risque alors d'être en partie assimilée à cette image, ce qui peut s'avérer dommageable en terme de promotion, le port apparaissant comme issu d'un autre âge plutôt que comme un outil compétitif aux yeux de la population et surtout des usagers potentiels. Or, l'image du port repose en grande partie sur la ville portuaire qui constitue un support privilégié de diffusion promotionnelle, capable d'irriguer un hinterland à travers une identification et une image. En se retirant de la ville, le port prend le risque de ne plus contrôler cette image, de déléguer à la ville sa représentation vis-à-vis du public.
Cette attitude apparaît en quelque sorte symptomatique d'une relative coupure du port avec son environnement. A cet égard, outre les publicités destinées aux milieux économiques avertis et reflétant un outil technique performant, la politique de communication du port paraît assez limitée. Faute d'un support de représentation et de compréhension, l'imaginaire collectif s'accroche alors à la réalité portuaire dont il dispose et qu'il connaît, c'est-à-dire le passé et les friches. Cette absence de lisibilité du port actuel est accentuée par la faiblesse ou l'ambiguïté du discours urbain vis-à-vis du port et de l'absence de support spatial de l'activité portuaire, l'espace opérationnel étant aujourd'hui distant ou peu accessible et l'interface ville/port étant devenue en grande partie virtuelle.
Le port n'a-t-il donc pas intérêt à s'investir dans le réaménagement comme moyen de promotion, à créer des fonctions et un environnement portuaire qui puissent participer à l'intégration du port actuel dans l'imaginaire de la ville portuaire ? Ce genre d'intervention suscite pourtant quelques réticences puisqu'elle détourne les autorités portuaires de leur mission économique et technique première. L'implication du port dans l'aménagement urbain sous-tend notamment une action dans le champ culturel de l'activité portuaire qui n'est encore que très rarement considéré comme une arme économique.
En effet, le régime d'autonomie portuaire semble avoir pour inconvénient de cantonner la réalité portuaire dans une approche restrictive, en l'envisageant majoritairement du point de vue opérationnel et technique ; volets qui n'auraient effectivement plus trop d'avenir sur l'interface quoi que ce serait présupposer de l'avenir du transport maritime et notamment du développement du cabotage. Or le contexte économique actuel et la logique de réseau orientent le développement portuaire non pas uniquement dans la construction de nouveaux terminaux mais également dans la constitution et le renforcement de fonctions d'échanges. Il semble que certains ports, notamment en France, aient actuellement des difficultés à transcender leur fonction de transport en investissant dans des espaces et dans des équipements qui s'ils ne génèrent pas directement de trafics, permettent d'accroître leur compétitivité et attractivité. A Nantes, la manière d'aborder les espaces portuaires délaissés, qui constituent aussi une réalité portuaire, semble révélatrice d'une certaine dimension portuaire qui apparaît cloisonnée dans une mission exclusive d'adaptation monodimensionnelle aujourd'hui insuffisante.
S'ils veulent assurer leur développement, les ports peuvent-ils se résumer à des organes techniques autonomes s'étalant en aval ? N'ont-ils pas une dimension plus globale (spatiale, culturelle...) qu'il leur appartient de coordonner avec leur mission économique pour s'affirmer dans une économie globale ? L'inscription du port dans son environnement est encore trop perçue comme un investissement contraignant plutôt que comme une démarche commerciale, un facteur d'enrichissement qui permet d'établir des interrelations susceptibles de générer de nouvelles fonctions, un moyen de mettre en avant ses compétences et de se positionner en tant qu'acteur local du développement. Une telle approche suppose préalablement une politique d'aménagement et de gestion du territoire portuaire qui ne soit plus monofonctionnelle mais qui puisse apporter des réponses adaptées et bénéfiques pour le port en fonction des contraintes et des potentialités de l'espace et de son environnement. A cet égard, l'interface ville/port apparaît comme un espace privilégié d'accroche avec l'environnement productif urbain et non pas seulement comme un espace improductif jeté par un port déresponsabilisé.
Figure n°12 : Schéma d'intégration urbano-portuaire
Le réaménagement constitue potentiellement un moyen d'exprimer et de valoriser une dimension portuaire inscrite dans son environnement et donc moins fragilisée face aux différentes mutations externes. Une implication du port dans ce type d'exercice ne doit donc pas tendre uniquement à favoriser une reprise et une reconversion urbaine de l'interface. Au même titre que la ville, le port doit pouvoir jouer un vrai rôle d'acteur défendant ses intérêts, s'investissant dans la recomposition et déployant des fonctions adaptées au contexte actuel. Sur le plan économique, ce contact doit contribuer à établir une dynamique de développement endogène enrichissant les fonctions urbaines et portuaires et améliorant l'inscription de la ville et du port dans les différents réseaux en renforçant leur rôle de noeud de communication à travers le développement des fonctions d'intermédiation, d'interconnexion valorisant le processus de circulation au service de l'économie locale.
En outre, concernant le réaménagement de l'interface, une coopération ville/port peut avoir l'avantage de créer un effet de synergie. En effet, l'urbanisation est une réponse à la désorganisation qui a l'avantage de transformer beaucoup de caractéristiques du territoire en potentialités mais qui requiert pour cela une énergie importante. A l'inverse, le redéveloppement portuaire aurait l'avantage de demander une énergie moindre mais de générer des potentialités plus limitées. En théorie, l'effet de synergie recherché doit donc tendre à faire accroître les potentialités pour l'implantation de fonctions portuaires et à faire baisser l'energie requise pour les fonctions urbaines, donc globalement à faciliter la mise en oeuvre d'une recomposition, à éviter de nombreux blocages et à optimiser la réponse.
Que ce soit dans la mise en oeuvre du réaménagement ou dans les choix de recomposition, le port semble donc avoir un rôle capital à jouer. Une implication du port devrait théoriquement permettre d'établir un partenariat avec la ville dans lequel seraient définis des objectifs et où seraient discutés les moyens d'y parvenir. Dans le contexte actuel, une telle démarche semble difficile car une telle association passe aussi par le traitement commun d'un espace partagé. Or, la ville et le port constituent deux "mondes" qui appliquent chacun leur fonction et leur compétence sur un territoire qui leur est subordonné. La notion d'interface cadre peu avec cette logique fonctionnaliste, dans laquelle l'espace est soit urbain, soit portuaire.
Il s'agit aujourd'hui de veiller à transcender ces divisions afin de répondre aux nouveaux enjeux économiques et de faire des ports des outils privilégiés de développement. C'est l'un des objectifs poursuivi par la démarche de "chartes de places portuaires" initiée au niveau national, dans laquelle les acteurs locaux des places portuaires ont été sollicités pour établir et exposer ensemble les stratégies de leur place et pour exprimer en commun des attentes. Cette approche semble novatrice et fédératrice et les futures actions auxquelles elle pourrait donner lieu sont susceptibles d'être intéressantes. Cependant à Nantes, la charte de place portuaire est subordonnée au Programme d'aménagement, de développement et de protection de l'estuaire de la Loire. Ce type de document est également issu d'une approche collective afin d'établir une stratégie dans laquelle l'Etat pourrait s'impliquer. La démarche suivie semble néanmoins assez différente. Dans le diagnostic de l'estuaire, le réaménagement des espaces portuaires délaissés et les relations ville/port ne semblent pas constituer un enjeu majeur. En effet, une seule phrase y fait directement allusion : "Le Port Autonome de Nantes Saint-Nazaire est non seulement un port à Saint-Nazaire-Donges-Montoir dans la Basse-Loire, mais aussi à Nantes où la métropolisation qui caractérise la métropole de l'ouest français poussera de plus en plus à concentrer et rationnaliser l'activité portuaire et donc à poser la question de la "reconquête" de sites dont la vocation n'est plus portuaire [59]". La logique est là encore technique et monofonctionnelle, à tel point que dans les objectifs de développement sont opposés un scénario "métropolisation" et un scénario "industriel et portuaire", comme si le développement des fonctions métropolitaines internationales concernaient peu le port et comme si la logistique portuaire n'avait aucun lien avec l'effet de métropolisation.
Ainsi se pose la question de savoir si une intégration ville/port est possible dans le contexte actuel et peut aller au-delà de la définition d'objectifs communs et d'une volonté de synergie pour l'instant déterritorialisée. Un réel partenariat supposerait une structure d'intervention qui devrait veiller à ce que chaque projet concernant la place portuaire s'inscrive dans une stratégie claire et concertée dans laquelle tous les acteurs seraient impliqués quel que soit le niveau ou le territoire de compétence du projet. Il s'agirait donc de définir une stratégie collective de développement qui pourrait être appuyée et arbitrée par l'Etat, mais sous la responsabilité des tous les acteurs de la place qui devront se concerter pour défendre des intérêts communs.
L'intégration urbano-portuaire ne peut pas uniquement s'appuyer sur une convergence d'intérêts entre le port et la ville, elle doit aussi la matérialiser et nécessite donc une implication physique du port. Le contact ne doit pas se résumer à une sorte de relation immatérielle rappelée à travers des signes plus ou moins ponctuels. Il s'agit de rematérialiser une interface tout en rendant compréhensible une réalité portuaire qui ne se limite plus à des navires ou à des grues. Mais, l'imaginaire portuaire est actuellement cantonné dans une image qui puise sa cohérence dans la nostagie. Il faut donc produire un nouvel imaginaire reflétant la réalité portuaire actuelle et qui soit intermédiaire entre le concret de l'opérationnel et l'abstraction du relationnel. Pour cela, le port doit rester lisible et ne pas se diluer dans le système urbain. Le port ayant intérêt à rester présent, la cession quasi-systématique des espaces portuaires délaissés aux villes est-elle appropriée ? Le fait d'éviter de tels transferts pourrait permettre de responsabiliser le port vis-à-vis de son territoire qu'il serait chargé de valoriser en fonction de son intérêt et du contexte et pourquoi pas, avec l'aide de la ville. Une telle démarche nécessiterait cependant un bouleversement du statut portuaire et du régime de domanialité car elle impliquerait l'introduction d'une diversité de fonctions, notamment urbaines, qui devrait être inscrite dans un schéma directeur portuaire. Faut-il aller jusqu'à donner aux ports la compétence d'établir des schémas d'urbanisme comme l'a fait la récente réforme portuaire espagnole ? Un tel changement apparaît sans doute trop radical en France où l'urbanisation est souvent perçue comme une antithèse du développement portuaire plutôt que comme une complémentarité potentielle.
Il s'agirait donc de réorganiser l'interface ville/port non plus en gommant l'application spatiale d'un système ville/port qui se déplacerait et à terme ne serait plus retranscrit, mais d'adapter un système porteur de développement, de valorisation en intégrant les mutations à l'origine de sa désorganisation (rétroaction négative) et en l'adaptant au contexte actuel (cf. figure n°13). Ainsi au sujet du réaménagement, "ne s'agit-il pas de repenser globalement les rapports ville/port dans une nouvelle synergie, intégrant les conditions actuelles de l'activité portuaire et les formes nouvelles du développement urbain ? [60]"
En outre, concernant le réaménagement de l'interface, une coopération ville/port peut avoir l'avantage de créer un effet de synergie. En effet, l'urbanisation est une réponse à la désorganisation qui a l'avantage de transformer beaucoup de caractéristiques du territoire en potentialités mais qui requiert pour cela une énergie importante. A l'inverse, le redéveloppement portuaire aurait l'avantage de demander une énergie moindre mais de générer des potentialités plus limitées. En théorie, l'effet de synergie recherché doit donc tendre à faire accroître les potentialités pour l'implantation de fonctions portuaires et à faire baisser l'energie requise pour les fonctions urbaines, donc globalement à faciliter la mise en oeuvre d'une recomposition, à éviter de nombreux blocages et à optimiser la réponse.
Que ce soit dans la mise en oeuvre du réaménagement ou dans les choix de recomposition, le port semble donc avoir un rôle capital à jouer. Une implication du port devrait théoriquement permettre d'établir un partenariat avec la ville dans lequel seraient définis des objectifs et où seraient discutés les moyens d'y parvenir. Dans le contexte actuel, une telle démarche semble difficile car une telle association passe aussi par le traitement commun d'un espace partagé. Or, la ville et le port constituent deux "mondes" qui appliquent chacun leur fonction et leur compétence sur un territoire qui leur est subordonné. La notion d'interface cadre peu avec cette logique fonctionnaliste, dans laquelle l'espace est soit urbain, soit portuaire.
Il s'agit aujourd'hui de veiller à transcender ces divisions afin de répondre aux nouveaux enjeux économiques et de faire des ports des outils privilégiés de développement. C'est l'un des objectifs poursuivi par la démarche de "chartes de places portuaires" initiée au niveau national, dans laquelle les acteurs locaux des places portuaires ont été sollicités pour établir et exposer ensemble les stratégies de leur place et pour exprimer en commun des attentes. Cette approche semble novatrice et fédératrice et les futures actions auxquelles elle pourrait donner lieu sont susceptibles d'être intéressantes. Cependant à Nantes, la charte de place portuaire est subordonnée au Programme d'aménagement, de développement et de protection de l'estuaire de la Loire. Ce type de document est également issu d'une approche collective afin d'établir une stratégie dans laquelle l'Etat pourrait s'impliquer. La démarche suivie semble néanmoins assez différente. Dans le diagnostic de l'estuaire, le réaménagement des espaces portuaires délaissés et les relations ville/port ne semblent pas constituer un enjeu majeur. En effet, une seule phrase y fait directement allusion : "Le Port Autonome de Nantes Saint-Nazaire est non seulement un port à Saint-Nazaire-Donges-Montoir dans la Basse-Loire, mais aussi à Nantes où la métropolisation qui caractérise la métropole de l'ouest français poussera de plus en plus à concentrer et rationnaliser l'activité portuaire et donc à poser la question de la "reconquête" de sites dont la vocation n'est plus portuaire [59]". La logique est là encore technique et monofonctionnelle, à tel point que dans les objectifs de développement sont opposés un scénario "métropolisation" et un scénario "industriel et portuaire", comme si le développement des fonctions métropolitaines internationales concernaient peu le port et comme si la logistique portuaire n'avait aucun lien avec l'effet de métropolisation.
Ainsi se pose la question de savoir si une intégration ville/port est possible dans le contexte actuel et peut aller au-delà de la définition d'objectifs communs et d'une volonté de synergie pour l'instant déterritorialisée. Un réel partenariat supposerait une structure d'intervention qui devrait veiller à ce que chaque projet concernant la place portuaire s'inscrive dans une stratégie claire et concertée dans laquelle tous les acteurs seraient impliqués quel que soit le niveau ou le territoire de compétence du projet. Il s'agirait donc de définir une stratégie collective de développement qui pourrait être appuyée et arbitrée par l'Etat, mais sous la responsabilité des tous les acteurs de la place qui devront se concerter pour défendre des intérêts communs.
L'intégration urbano-portuaire ne peut pas uniquement s'appuyer sur une convergence d'intérêts entre le port et la ville, elle doit aussi la matérialiser et nécessite donc une implication physique du port. Le contact ne doit pas se résumer à une sorte de relation immatérielle rappelée à travers des signes plus ou moins ponctuels. Il s'agit de rematérialiser une interface tout en rendant compréhensible une réalité portuaire qui ne se limite plus à des navires ou à des grues. Mais, l'imaginaire portuaire est actuellement cantonné dans une image qui puise sa cohérence dans la nostagie. Il faut donc produire un nouvel imaginaire reflétant la réalité portuaire actuelle et qui soit intermédiaire entre le concret de l'opérationnel et l'abstraction du relationnel. Pour cela, le port doit rester lisible et ne pas se diluer dans le système urbain. Le port ayant intérêt à rester présent, la cession quasi-systématique des espaces portuaires délaissés aux villes est-elle appropriée ? Le fait d'éviter de tels transferts pourrait permettre de responsabiliser le port vis-à-vis de son territoire qu'il serait chargé de valoriser en fonction de son intérêt et du contexte et pourquoi pas, avec l'aide de la ville. Une telle démarche nécessiterait cependant un bouleversement du statut portuaire et du régime de domanialité car elle impliquerait l'introduction d'une diversité de fonctions, notamment urbaines, qui devrait être inscrite dans un schéma directeur portuaire. Faut-il aller jusqu'à donner aux ports la compétence d'établir des schémas d'urbanisme comme l'a fait la récente réforme portuaire espagnole ? Un tel changement apparaît sans doute trop radical en France où l'urbanisation est souvent perçue comme une antithèse du développement portuaire plutôt que comme une complémentarité potentielle.
Il s'agirait donc de réorganiser l'interface ville/port non plus en gommant l'application spatiale d'un système ville/port qui se déplacerait et à terme ne serait plus retranscrit, mais d'adapter un système porteur de développement, de valorisation en intégrant les mutations à l'origine de sa désorganisation (rétroaction négative) et en l'adaptant au contexte actuel (cf. figure n°13). Ainsi au sujet du réaménagement, "ne s'agit-il pas de repenser globalement les rapports ville/port dans une nouvelle synergie, intégrant les conditions actuelles de l'activité portuaire et les formes nouvelles du développement urbain ? [60]"
Figure n°13 : Une réponse à la désorganisation de l'interface ville/port : la redynamisation systémique
[46] RIMBERT P., adjoint à l'urbanisme, cité par PARESSANT, J. (1996) "La pointe camuse de l'île Beaulieu" in Armen n°80; pp. 44-51
[47] Voir par exemple le peu d'animation suscité par l'actuel Palais de Justice.
[48] Réseau Express Districal et Départemental
[49] Que ce soit à Nantes, à Bordeaux, à Dunkerque ou ailleurs, le réaménagement de l'interface ville/port constitue régulièrement aux yeux des acteurs locaux une "opportunité unique en France".
[50] RIMBERT P., adjoint à l'urbanisme, cité par PARESSANT, J. (1996) "La pointe camuse de l'île Beaulieu" in Armen n°80; pp. 44-51
[51] PERRAULT, D. - GRETHER, F. (1992) Au coeur du grand Nantes : l'Ile de Nantes; décembre 1992
[52] idem
[53] Plaquette "La métropole Nantes-Saint-Nazaire"; exposition Estuaire; Château des Ducs de Bretagne; Nantes; juin 1997
[54] GUILLERMIN, B. (1994) "La ville et le port, problématique de la limite à Marseille" in Ville et Port XVIIIe-XXe siècles; L'Harmattan; Paris; pp.13-24
[55] DE ROO, P. (1994) "Marseille : de l'aire portuaire à l'ère métropolitaine" in Ville et port XVIIIe-XXe siècles; L'Harmattan; Paris; pp.107-126
[56] BEAUDOUIN, T. - COLLIN, M. (1993) Le rôle des villes portuaires dans la façade atlantique française; Rapport de recherche pour la DATAR; Laboratoire d'Histoire Maritime; Paris; 69 p.
[57] ESSIG, F. (1992) L'avenir de l'estuaire de la Loire; rapport à l'ACEL; Worms & Cie Développement; Paris; 22 p.
[58] GUILLERMIN, B. (1994) "La ville et le port, problématique de la limite à Marseille", ibid., p. 23
[59] Programme Concerté d'Aménagement, de développement et de protection de l'Estuaire de la Loire (diagnostic et enjeux); étude réalisée par TETRA; 1996; p:29
[60] HAYOT, A. (1992) "Fin de l'urbanité portuaire ?" in Métropoles portuaires en Europe; Parenthèses; Marseille; pp.193-202
[47] Voir par exemple le peu d'animation suscité par l'actuel Palais de Justice.
[48] Réseau Express Districal et Départemental
[49] Que ce soit à Nantes, à Bordeaux, à Dunkerque ou ailleurs, le réaménagement de l'interface ville/port constitue régulièrement aux yeux des acteurs locaux une "opportunité unique en France".
[50] RIMBERT P., adjoint à l'urbanisme, cité par PARESSANT, J. (1996) "La pointe camuse de l'île Beaulieu" in Armen n°80; pp. 44-51
[51] PERRAULT, D. - GRETHER, F. (1992) Au coeur du grand Nantes : l'Ile de Nantes; décembre 1992
[52] idem
[53] Plaquette "La métropole Nantes-Saint-Nazaire"; exposition Estuaire; Château des Ducs de Bretagne; Nantes; juin 1997
[54] GUILLERMIN, B. (1994) "La ville et le port, problématique de la limite à Marseille" in Ville et Port XVIIIe-XXe siècles; L'Harmattan; Paris; pp.13-24
[55] DE ROO, P. (1994) "Marseille : de l'aire portuaire à l'ère métropolitaine" in Ville et port XVIIIe-XXe siècles; L'Harmattan; Paris; pp.107-126
[56] BEAUDOUIN, T. - COLLIN, M. (1993) Le rôle des villes portuaires dans la façade atlantique française; Rapport de recherche pour la DATAR; Laboratoire d'Histoire Maritime; Paris; 69 p.
[57] ESSIG, F. (1992) L'avenir de l'estuaire de la Loire; rapport à l'ACEL; Worms & Cie Développement; Paris; 22 p.
[58] GUILLERMIN, B. (1994) "La ville et le port, problématique de la limite à Marseille", ibid., p. 23
[59] Programme Concerté d'Aménagement, de développement et de protection de l'Estuaire de la Loire (diagnostic et enjeux); étude réalisée par TETRA; 1996; p:29
[60] HAYOT, A. (1992) "Fin de l'urbanité portuaire ?" in Métropoles portuaires en Europe; Parenthèses; Marseille; pp.193-202