Les friches portuaires à Nantes et à Bordeaux
DEUXIÈME PARTIE : Le mécanisme de réaménagement - vers une disparition des friches portuaires
2.1. La prise en compte des espaces délaissés
"brocante colossale, immense marché aux puces des orgueils racornis, lieu de crise et crise de l'idée que l'on se fait d'un lieu" (L.BOURG Friches)
En France, les friches portuaires et les espaces délaissés qui leur sont associés, ont été un phénomène subi, alors que, dès les années 1960, les signes annonciateurs d'une large délocalisation des activités portuaires étaient perceptibles. Les réflexions sur le sujet ont été tardives et cette absence de prise en compte s'est traduite par un embarras puis une indifférence des responsables urbains et portuaires. Face à la complexité des opérations de réaménagement, le port s'est concentré sur l'aval et la ville vers des opérations de réhabilitation de son centre et vers la conversion d'espaces vides à sa périphérie. Ces aménagements étaient beaucoup plus facile à réaliser qu'une réorganisation totale de vastes espaces intra-urbains dégradés, répulsifs et complexes.
Aujourd'hui, la ville et le port regardent de nouveau vers ces espaces. Pourquoi suscitent-ils maintenant une telle prise en compte ? Tout d'abord, la dégradation et l'image négative se répercutent directement sur ces organismes et deviennent dommageables. L'image de désolation va à l'encontre d'un dynamisme affiché. Les friches deviennent peu à peu un réel problème et peuvent représenter un frein au développement. Ensuite, on commence à trouver de l'intérêt à ces espaces, dont la situation et l'histoire recèlent des potentialités intéressantes de développement. L'opportunité de pouvoir utiliser de tels espaces fait naître de grandes ambitions chez les décideurs qui y voient un moyen de renouveau. Seulement ces intérêts transforment peu à peu ces espaces en lieux d'affrontements, puisque les acteurs sont nombreux et défendent des objectifs souvent contradictoires. Mais la lourdeur du réaménagement nécessite une forte capacité et la participation d'acteurs multiples : des propriétaires, des décideurs, des investisseurs, des groupes de pression. Ce jeu des acteurs complique généralement le réaménagement, et aboutit souvent à des blocages et des conflits.
2.1.1. Les acteurs
Le réaménagement est complexe et difficile car il met en scène des acteurs défendant leurs propres intérêts, souvent divergents. Le problème ne réside pas seulement dans les choix. La nature des ces espaces engendre des questions de propriété, de compétence et de coût, qui représentent des problèmes complexes à résoudre. En France, les héritages fonciers et institutionnels se traduisent souvent par des effets de freinage sur les entreprises de réaménagement. La fonction d'orgine est partie, les usages doivent évoluer, mais les statuts fonciers sont restés identiques. Il faut donc trouver des solutions, dialoguer pour faire évoluer ces situations tout en respectant si possible les objectifs de chacune des parties.
En France, les friches portuaires et les espaces délaissés qui leur sont associés, ont été un phénomène subi, alors que, dès les années 1960, les signes annonciateurs d'une large délocalisation des activités portuaires étaient perceptibles. Les réflexions sur le sujet ont été tardives et cette absence de prise en compte s'est traduite par un embarras puis une indifférence des responsables urbains et portuaires. Face à la complexité des opérations de réaménagement, le port s'est concentré sur l'aval et la ville vers des opérations de réhabilitation de son centre et vers la conversion d'espaces vides à sa périphérie. Ces aménagements étaient beaucoup plus facile à réaliser qu'une réorganisation totale de vastes espaces intra-urbains dégradés, répulsifs et complexes.
Aujourd'hui, la ville et le port regardent de nouveau vers ces espaces. Pourquoi suscitent-ils maintenant une telle prise en compte ? Tout d'abord, la dégradation et l'image négative se répercutent directement sur ces organismes et deviennent dommageables. L'image de désolation va à l'encontre d'un dynamisme affiché. Les friches deviennent peu à peu un réel problème et peuvent représenter un frein au développement. Ensuite, on commence à trouver de l'intérêt à ces espaces, dont la situation et l'histoire recèlent des potentialités intéressantes de développement. L'opportunité de pouvoir utiliser de tels espaces fait naître de grandes ambitions chez les décideurs qui y voient un moyen de renouveau. Seulement ces intérêts transforment peu à peu ces espaces en lieux d'affrontements, puisque les acteurs sont nombreux et défendent des objectifs souvent contradictoires. Mais la lourdeur du réaménagement nécessite une forte capacité et la participation d'acteurs multiples : des propriétaires, des décideurs, des investisseurs, des groupes de pression. Ce jeu des acteurs complique généralement le réaménagement, et aboutit souvent à des blocages et des conflits.
2.1.1. Les acteurs
Le réaménagement est complexe et difficile car il met en scène des acteurs défendant leurs propres intérêts, souvent divergents. Le problème ne réside pas seulement dans les choix. La nature des ces espaces engendre des questions de propriété, de compétence et de coût, qui représentent des problèmes complexes à résoudre. En France, les héritages fonciers et institutionnels se traduisent souvent par des effets de freinage sur les entreprises de réaménagement. La fonction d'orgine est partie, les usages doivent évoluer, mais les statuts fonciers sont restés identiques. Il faut donc trouver des solutions, dialoguer pour faire évoluer ces situations tout en respectant si possible les objectifs de chacune des parties.
Figure n°29 : Le jeu des acteurs, L'Etat : générateur de conflit plutôt que médiateur
2.1.1.1. L'Etat
Les conditions de réutilisation dépendent d'abord du régime de la propriété foncière. Les espaces étudiés font partie, pour la plupart, du Domaine Public Maritime (D.P.M.) et donc appartiennent à l'Etat; ils ne peuvent être ni vendus ni loués, seulement concédés à titre précaire. A Nantes et à Bordeaux, la gestion est attribuée au Port autonome. D'autre part, la loi du 22 juillet 1983 précise, dans le cadre de la décentralisation, que l'Etat est compétent pour créer, modifier, gérer tous les équipements liés aux 23 plus importants ports de commerce nationaux. La reconversion des espaces délaissés pose donc aussi un problème de compétence, c'est-à-dire d'investissements et de gestion, qui doit être réglé avant une réutilisation. Le problème qui se pose est celui d'une nécessaire coordination entre les différents services de l'Etat et les collectivités publiques. Si l'on veut attribuer de nouvelles fonctions aux berges, la décision passe par les responsables de l'Etat (la procédure de cession, se traduisant par la nécessaire obtention d'une décision ministérielle pouvant prendre 4 mois à 2 ans !). Il est possible de prévoir un nouveau mode de gestion assurée par une collectivité publique, ce qui se traduit, sur le plan administratif par un transfert ou une superposition de gestion.
Le droit du D.P.M. est un droit de puissance publique qui met dans une situation d'infériorité les exploitants privés, pourtant nécessaires au redéveloppement. Cette situation est spécifique à la France. Dans d'autres pays, par exemple, les procédures peuvent être beaucoup plus simples pour réemployer les friches portuaires : la propriété des infrastructures étant urbaine ou privée.
La réglementation régissant le D.P.M. a largement été contestée. Elle a longtemps contribué à bloquer ou à freiner toute volonté de réinvestir des espaces. En 1993, Patrick THOMAS, président de la Fédération maritime bordelaise, le soulignait : «Le régime domanial actuel dissuade les évolutions nécessaires. Celles-ci s'imposent aussi bien pour moderniser et adapter l'outil portuaire, en impliquant mieux les investisseurs privés, que pour permettre les aménagements urbains sur les espaces libérés par l'activité portuaire, à l'interface ville-port, qualifiés de friches portuaires[22]». Pendant longtemps, si le port voulait céder ses terrains, les produits de cession du domaine public entraient dans le budget général de l'Etat sans intéressement du port sauf pour quelques concessions et locations, ce qui le poussait à garder son patrimoine foncier.
Cependant, l'Etat a tout de même récemment réagi en réformant partiellement les principes de gestion domaniale. Le décret n°93-387 du 15 mars 1993 a institué un seuil en dessous duquel les ports autonomes peuvent vendre sans autorisation interministérielle préalable, les biens faisant partie de leur domaine privé. Néanmoins, le maintien de cette autorisation subsiste pour les opérations immobilières importantes. Un énorme progrès a été accompli avec la lettre-circulaire n°457 du 28 avril 1994 par laquelle les Ministres du budget, et de l'équipement, des transports et du tourisme ont accepté que les ports autonomes bénéficient de 90% des produits de la vente des biens immobiliers appartenant à l'Etat et situés dans leur circonscription. Cette mesure devrait rendre les ports moins réticents à se séparer de leurs installations obsolètes.
Ce problème juridique réglé, le tout est de savoir comment évaluer ces terrains. C'est à l'administration chargée des Domaines de fixer les prix, mais faut-il le faire en fonction du marché, des potentialités, de la destination des espaces ? L'Etat est-il apte pour cela ? Celui-ci, on le voit, a plutôt tendance, par sa carence d'adaptation, à devenir un générateur de conflits, notamment entre le port et la ville.
2.1.1.2. Les autorités portuaires
En France, le port est, pour ses questions, largement dépendant de l'Etat, même quand il est lui-même propriétaire des terrains. L'espace n'a plus de fonction portuaire mais il est toujours géré par le port. L'entretien est arrêté et une reprise aisée de ces installations n'est pas vraiment permise, ce qui aboutit à la création de friches portuaires. Les ports raisonnent souvent trop comme si ce n'était plus leur problème, alors que ce sont les premiers intéressés.
Aujourd'hui, le port fait officiellement preuve d'une assez bonne volonté comme l'illustre Bernard HANQUIEZ, Président du P.A.B. : «L'image du port de Bordeaux s'est améliorée au fil des années et l'opinion publique régionale commence à évoluer, même si nous souffrons toujours de la mauvaise image des quais du centre-ville, non encore réaménagés, que l'on impute encore au Port même si ce sentiment s'estompe. La destruction des hangars n'est pas une décision qui relève du seul fait de l'établissement portuaire. Les négociations sont délicates, elles touchent à des problèmes de domanialité publique et de financement, et ne vont pas aussi vite que nous le souhaiterions. En ce qui nous concerne, nous souhaitons avoir une négociation globale sur l'ensemble des rives pour convenir des parties que nous pourrions abandonner assez vite en transfert de gestion[23]». Mais la législation du D.P.M. ne donne pas aux autorités portuaires les moyens nécessaires pour une véritable maîtrise de leur domaine. Ainsi, même si le port est d'accord pour céder une zone, cela demande du temps et de la volonté.
Ainsi à Bordeaux, une convention est signée le 10 mars 1982 entre le Port et la Communauté urbaine. La forme juridique retenue est celle du "transfert de gestion", portant, en rive gauche, sur 42.360 m² d'emprises portuaires avec 9.660 m² de hangars (n°3 et 5) et en rive droite, sur 19.380 m² de domaine public fluvial. Pour cette opération, l'indemnisation était de 99 M.F. A la fin 1991, la C.U.B. avait fini de payer et avait versé en tout 138 M.F. avec les actualisations. Pourtant le transfert de gestion n'a pas pu être régularisé. Le problème réside dans l'activité de croisières en plein essor; cet endroit étant le meilleur lieu d'escale. L'Etat juge indispensable qu'il reste du D.P.M. et accepte seulement une superposition de gestion. Les procédures sont donc loin d'être évidentes. Mais la ville continue ces efforts car elle voudrait une pleine propriété et le transfert des quais des hangars n°7 à 14.
En attendant les autorités font parfois quelques efforts, car elles sont conscientes de l'image négative que véhiculent les friches portuaires. A Nantes, la direction commerciale du P.A.N.S.N. a élaboré une charte en 1991, pour que le port s'intègre plus harmonieusement aux villes et aux espaces naturels. Des architectes et des urbanistes ont participé à quelques opérations-pilotes (réhabilitation de l'ex-hangar à bananes). Mais cela reste des solutions provisoires.
Pour les ports, l'intérêt est de tirer le meilleur parti de ces espaces ou de garder ce potentiel qui pourra, peut-être, être valorisé (car il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur l'inutilité de ces espaces portuaires). Avec la réforme de la domanialité, la cession peut apparaître comme une source de revenus non négligeable pour de nouveaux investissements. Mais cela est encore insuffisant, il faut donner au port plus de responsabilités et les moyens d'une meilleure gestion de son capital foncier, afin qu'il soit plus impliqué dans la question et qu'il puisse dialoguer de manière équilibrée avec la ville.
2.1.1.3. Les autorités municipales
C'est souvent des villes que proviennent la plus forte volonté de réaménagement et le plus grand nombre de projets. Elles doivent "subir" tous les jours cet espace qui est en plein coeur de leur territoire. De plus, l'initiative ne provient généralement pas du port qui préfère se concentrer sur les zones actives et ne voit pas vraiment de solutions, ni de l'Etat qui à tendance à se désengager de plus en plus de ce genre de problème. Le plus souvent, c'est la ville qui doit trouver une solution, et insuffler à ces espaces un nouveau cadre économique.
Les villes veulent souvent récupérer ces espaces pour y étendre le tissu urbain et "remplir ces vides" généralement au coeur des agglomérations. Seulement, ce désir se heurte tout d'abord à des problèmes de propriété, ensuite à un problème de coût, l'acquisition de ces espaces et leur réaménagement ont des échelles de prix qui dépassent largement les capacités d'investissement des municipalités. Le problème principal, pour Nantes et Bordeaux, est «de connaître, en tant que port largement désaffecté, les mêmes difficultés que les villes plus fortunées, sans avoir les mêmes capacités financières de renouveau[24]». Il est donc difficile d'envisager un remodelage rapide.
Ainsi, la relève est souvent très lente. Un des nombreux problèmes est celui de la remise en état des friches très dégradées. A Nantes, pour le quai de la Fosse, les négociations pour une cession sont en cours. On semble s'acheminer vers un échange : la ville offrirait en contrepartie des terrains sur la zone de Cheviré. Mais le problème réside dans la restauration du vieux quai qu'elle devra prendre en charge. Si elle conservait le terre-plein actuel, il lui en coûterait quelques 400.000 francs par mètre de quai ! En revanche, si elle choisit d'abattre une bande de 30 mètres de largeur, pour revenir à l'aplomb des anciens quais, la réfection coûterait deux fois moins cher. De toute façon, la somme totale des travaux sera tellement élevé que rien ne sera entrepris à court-terme. Vu leur état actuel, les quais menacent de s'écrouler, ce qui arrangerait peut-être la municipalité mais serait dommageable pour l'identité de la ville mais aussi du port.
Les charges peuvent freiner les acquisitions et inhiber les projets de redéveloppement. La ville n'est pas toujours prête à assumer l'entretien coûteux de formes portuaires (écluses, grues). Si les terrains sont transférés, le port se désengage totalement, or il est peut-être dans son intérêt d'aider la ville à maintenir certaines formes (cf. § 2.3.2.2.). Le dialogue entre ville et port doit être entretenu, même s'il est ambigu car le port est à la fois en position de force, face à la ville qui veut récupérer ces terrains, mais aussi en position de faiblesse, parce que la mainmise de l'Etat l'empêche de faire ce qu'il veut.
2.1.1.4. Les entrepreneurs privés
Les espaces portuaires délaissés ont suscité peu d'enthousiasme chez les investisseurs privés, tout d'abord parce qu'ils souffrent d'une image négative, mais surtout parce que les règles de base de la domanialité publique (inaliénabilité et imprescriptibilité) causent la précarité de toute occupation et l'impossibilité de prendre des garanties. «L'Etat omniprésent sclérose le dynamisme potentiel que le secteur privé pourrait apporter à la gestion publique[25]». Une amélioration a récemment été apportée avec la loi n°94-631 du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public : le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat se voit désormais attribuer automatiquement un droit réel sur les ouvrages qu'il réalise pour une durée maximale de 70 ans. Ce droit ainsi que les ouvrages réalisés peuvent être cédés et hypothéqués pour garantir des emprunts.
Le réaménagement de vastes espaces exige d'énormes moyens financiers que rarement les villes peuvent mobiliser, d'où l'importance des formes de partenariat public / privé. D'autant que les entrepreneurs privés ont tout intérêt de profiter de ces terrains proches du centre-ville et de l'eau, qui offrent des opportunités importantes de plus-value. Seulement, il faut créer un cadre attractif pour les investissements, car l'offre de terrains est largement supérieure à la demande et aux besoins des villes. Mais, il faut tout de même imposer des règles, pour éviter tout développement purement spéculatif et respecter le caractère public de ces espaces. Ainsi, pour le moment, des règles d'urbanisme comme les Zones d'Aménagement Différé (Z.A.D.) ont été mises en place à Nantes et à Bordeaux, la préemption sur les ventes permettant de geler les terrains pendant un certain temps, pour se donner le temps de réfléchir. Il faudra ensuite monter des opérations généralement dans le cadre de Zones d'Aménagement Concerté (Z.A.C.), qui permettent des partenariats public / privé.
2.1.1.5. Les associations
Autour de la question du réaménagement des friches portuaires, les associations sont assez nombreuses. Leur volonté est d'accentuer et d'accélérer la prise en compte de ces espaces, de rappeler les potentialités, d'enrichir le débat et d'éviter une banalisation de ces espaces.
Certaines ont un rôle de médiateur. L'Association Internationale Villes et Ports suscite le dialogue ville et port autour de rencontres et de débats. Elle rassemble des représentants des villes portuaires, des pouvoirs publics et des milieux scientifiques et universitaires. Ses principaux objectifs sont de multiplier et diversifier les contacts et les échanges entre tous les partenaires et de recueillir et diffuser les informations qui concourent à la promotion et à l'évolution des villes portuaires. Ses colloques sont des viviers de réflexions sur la question.
Localement, de petites associations défendent généralement des intérêts maritimes et patrimoniaux. Leur rôle est de faire connaître les espaces, de proposer des idées, de défendre l'intérêt des habitants. Elles surveillent de près les décisions et les projets, les font connaître à la population, les critiquent, voire font pression pour qu'ils soient abandonnées.
- A Nantes, cette activité associative gravite autour de deux "traumatismes" : La fermeture et le démontage des anciens chantiers navals et le comblement de l'Erdre et de bras de Loire qui ont fortement marqué la ville. "Histoire de la Navale", composée d'anciens salariés, essaye de maintenir la mémoire de l'activité de construction en collectant des archives, des plans, des maquettes, des photos et en organisant des expositions. "Nantes, c'est capital" voulait recreuser le lit des rivières. "Nantes la Bleue" présentent régulièrement son point de vue sur la question de l'eau à Nantes. Ses grands objectifs sont la conservation des symboles du passé, la préservation et la valorisation de la présence de l'eau, l'implantation d'activités ayant une ouverture internationale et spécialement sur la mer et la réalisation d'un quartier animé à la place des friches actuelles. Ces associations organisent des manifestations comme, par exemple, la "Semaine du patrimoine industriel et portuaire nantais", en octobre 1995, avec des visites, des expositions, des débats afin de sensibiliser le public à la conservation de ce patrimoine.
- A Bordeaux, sur ce thème, l'activité associative est récente et dominée par l'association "Bouge ton quai". Née le 8 février 1995, ces créateurs étaient lassés de voir naître, médiatiser et mourir de "pseudo-projets" (cf. § 2.2.1.1.). L'équipe rassemble diverses personnalités compétentes et s'est donnée pour mission de "participer au développement économique et culturel des quais et du quartier, en proposant des améliorations pour la vie quotidienne des habitants ou en organisant des manifestations" : soirée "Fête le mur" pour la destruction du hangar n°11, salon des bouquinistes, etc. "Bouge ton quai" se bat pour que les quais retrouvent leur vocation passée de lieu de rencontres et d'échanges. L'Association exerce aussi un véritable contrôle citoyen sur les futurs projets urbanistiques : elle a fait savoir que la société Domofrance s'apprêtait à démolir sans tapage les chais situés près des quais avant leur classification en Z.A.C. Ses pressions ont fait stopper la destruction.
2.1.2. Flou et tensions
La prise en compte des friches portuaires ne débouche pas sur une intervention immédiate, la multiplicité des acteurs et des intérêts, la lourdeur du réaménagement provoquent une période de flou et de tensions, où apparaissent les problèmes et les doutes. Une large gamme d'options de réaménagement existe et les décideurs se donnent le temps de réfléchir, d'arbitrer, de choisir, de trouver une solution appropriée. Car le réaménagement de ces espaces constitue une opportunité mais aussi une prise de risque, et un échec serait lourd de conséquences. Cette période peut-être longue, d'autant qu'elle est souvent sous-estimée. De nombreux blocages peuvent apparaître, la situation semble stagnante, puisqu'elle n'aboutit sur aucun changement marquant, ce qui se traduit par une impatience de la population et des associations. Mais cette période est cruciale, puisque c'est là que les acteurs commencent à se rencontrer, à négocier, malgré des conflits, à évaluer des solutions. Sa durée indéfinie souligne le primat du facteur temps sur les processus de transformation de l'espace (CHALINE, 1988).
Dans les deux villes, les débats, les interrogations, les tensions focalisent sur des sites stratégiques qui deviennent véritablement des enjeux où se concentrent les plus grands doutes et les plus fortes pressions.
2.1.2.1. La question de l'île Sainte-Anne à Nantes
L'île Sainte-Anne apparaît comme l'ensemble majeur à Nantes. Tout d'abord, il faut préciser qu'on devrait plutôt parler de Prairie-au-Duc. L'île Sainte-Anne n'existe plus, il s'agissait d'une des nombreuses îles de Loire nées de l'accumulation de sédiments. Le nom d'île Sainte-Anne est réapparu pour désigner le site des anciens chantiers navals et la pointe ouest de l'île Beaulieu, lors du projet de cité des Affaires en 1988 (cf. § 2.2.1.2.). Le caractère maritime de ce nom était beaucoup plus vendeur. Maintenant les deux noms sont employés pour désigner une seule et même chose : les friches portuaires des anciens chantiers navals, qui restent à Nantes un sujet conflictuel et épineux.
Le site est éminemment stratégique : il est proche du centre-ville, au coeur de l'agglomération, en face du quai de la Fosse et c'est un symbole de l'histoire navale de Nantes. Des tensions étaient apparues lors du démontage des ateliers de préfabrication. J.P. PEYON, président de Nantes la Bleue, s'indignait : «Une telle décision n'est pas acceptable tant qu'une étude sérieuse sur l'intérêt architectural de ces bâtiments n'a pas été réalisée et qu'un projet d'aménagement global n'est pas proposé[26]». Pourtant, la ville s'est arrangée pour que certains ateliers retrouvent leur utilité première, ce qui ne peut être critiquable. Aujourd'hui, sur les 16 hectares, la ville est propriétaire, par l'intermédiaire de la société d'équipement de la municipalité, des 6 hectares appartenant aux chantiers. Le Port Autonome est toujours propriétaire des 10 hectares restant (cf. fig n°30).
La disparition des chantiers navals est lourdement ressentie par la population et ce traumatisme se traduit par une pression sur la reconversion. La réflexion est perturbée, le site "surinvesti" mentalement. Tout le monde veut une opération à la hauteur de l'endroit, une solution miracle et parfaite. Chacun a son idée sur le sujet. Il est difficile de trouver un consensus car toute réalisation sera critiquée. «Les projets, il y en a de nouveaux tous les mois. On ne sait pas ce qu'il va y avoir. Même le maire de Nantes ne sait pas et s'il avait un projet, certains s'empresseraient vite de le détruire[27]».
Un grand nombre de promesses n'ont pas été tenues. En 1990, Patrick MARESCHAL, premier adjoint au maire de Nantes : «D'ici un an, nous aurons avancé dans le projet d'aménagement de l'île Sainte-Anne, avec des procédures d'aménagement public et ensuite les investisseurs interviendront pour réaliser les opérations. Le site de Dubigeon aura pris figure dans les deux à cinq ans[28]». En 1992, on fixait le terme de l'aménagement de l'île Sainte-Anne à dix ans; en 1994, on parlait plutôt de 25 ans et en 1995, les élus n'ont pas peur de parler de 50 ans. Ainsi le problème a tout d'abord été sous-estimé. Puis, quand les élus ont mesuré les conséquences d'un lourd réaménagement dans cette zone stratégique et les effets qu'il pouvait induire sur la ville et l'agglomération, ils ont décidé de prendre leur temps, afin d'éviter des erreurs ou des gâchis.
Les conditions de réutilisation dépendent d'abord du régime de la propriété foncière. Les espaces étudiés font partie, pour la plupart, du Domaine Public Maritime (D.P.M.) et donc appartiennent à l'Etat; ils ne peuvent être ni vendus ni loués, seulement concédés à titre précaire. A Nantes et à Bordeaux, la gestion est attribuée au Port autonome. D'autre part, la loi du 22 juillet 1983 précise, dans le cadre de la décentralisation, que l'Etat est compétent pour créer, modifier, gérer tous les équipements liés aux 23 plus importants ports de commerce nationaux. La reconversion des espaces délaissés pose donc aussi un problème de compétence, c'est-à-dire d'investissements et de gestion, qui doit être réglé avant une réutilisation. Le problème qui se pose est celui d'une nécessaire coordination entre les différents services de l'Etat et les collectivités publiques. Si l'on veut attribuer de nouvelles fonctions aux berges, la décision passe par les responsables de l'Etat (la procédure de cession, se traduisant par la nécessaire obtention d'une décision ministérielle pouvant prendre 4 mois à 2 ans !). Il est possible de prévoir un nouveau mode de gestion assurée par une collectivité publique, ce qui se traduit, sur le plan administratif par un transfert ou une superposition de gestion.
Le droit du D.P.M. est un droit de puissance publique qui met dans une situation d'infériorité les exploitants privés, pourtant nécessaires au redéveloppement. Cette situation est spécifique à la France. Dans d'autres pays, par exemple, les procédures peuvent être beaucoup plus simples pour réemployer les friches portuaires : la propriété des infrastructures étant urbaine ou privée.
La réglementation régissant le D.P.M. a largement été contestée. Elle a longtemps contribué à bloquer ou à freiner toute volonté de réinvestir des espaces. En 1993, Patrick THOMAS, président de la Fédération maritime bordelaise, le soulignait : «Le régime domanial actuel dissuade les évolutions nécessaires. Celles-ci s'imposent aussi bien pour moderniser et adapter l'outil portuaire, en impliquant mieux les investisseurs privés, que pour permettre les aménagements urbains sur les espaces libérés par l'activité portuaire, à l'interface ville-port, qualifiés de friches portuaires[22]». Pendant longtemps, si le port voulait céder ses terrains, les produits de cession du domaine public entraient dans le budget général de l'Etat sans intéressement du port sauf pour quelques concessions et locations, ce qui le poussait à garder son patrimoine foncier.
Cependant, l'Etat a tout de même récemment réagi en réformant partiellement les principes de gestion domaniale. Le décret n°93-387 du 15 mars 1993 a institué un seuil en dessous duquel les ports autonomes peuvent vendre sans autorisation interministérielle préalable, les biens faisant partie de leur domaine privé. Néanmoins, le maintien de cette autorisation subsiste pour les opérations immobilières importantes. Un énorme progrès a été accompli avec la lettre-circulaire n°457 du 28 avril 1994 par laquelle les Ministres du budget, et de l'équipement, des transports et du tourisme ont accepté que les ports autonomes bénéficient de 90% des produits de la vente des biens immobiliers appartenant à l'Etat et situés dans leur circonscription. Cette mesure devrait rendre les ports moins réticents à se séparer de leurs installations obsolètes.
Ce problème juridique réglé, le tout est de savoir comment évaluer ces terrains. C'est à l'administration chargée des Domaines de fixer les prix, mais faut-il le faire en fonction du marché, des potentialités, de la destination des espaces ? L'Etat est-il apte pour cela ? Celui-ci, on le voit, a plutôt tendance, par sa carence d'adaptation, à devenir un générateur de conflits, notamment entre le port et la ville.
2.1.1.2. Les autorités portuaires
En France, le port est, pour ses questions, largement dépendant de l'Etat, même quand il est lui-même propriétaire des terrains. L'espace n'a plus de fonction portuaire mais il est toujours géré par le port. L'entretien est arrêté et une reprise aisée de ces installations n'est pas vraiment permise, ce qui aboutit à la création de friches portuaires. Les ports raisonnent souvent trop comme si ce n'était plus leur problème, alors que ce sont les premiers intéressés.
Aujourd'hui, le port fait officiellement preuve d'une assez bonne volonté comme l'illustre Bernard HANQUIEZ, Président du P.A.B. : «L'image du port de Bordeaux s'est améliorée au fil des années et l'opinion publique régionale commence à évoluer, même si nous souffrons toujours de la mauvaise image des quais du centre-ville, non encore réaménagés, que l'on impute encore au Port même si ce sentiment s'estompe. La destruction des hangars n'est pas une décision qui relève du seul fait de l'établissement portuaire. Les négociations sont délicates, elles touchent à des problèmes de domanialité publique et de financement, et ne vont pas aussi vite que nous le souhaiterions. En ce qui nous concerne, nous souhaitons avoir une négociation globale sur l'ensemble des rives pour convenir des parties que nous pourrions abandonner assez vite en transfert de gestion[23]». Mais la législation du D.P.M. ne donne pas aux autorités portuaires les moyens nécessaires pour une véritable maîtrise de leur domaine. Ainsi, même si le port est d'accord pour céder une zone, cela demande du temps et de la volonté.
Ainsi à Bordeaux, une convention est signée le 10 mars 1982 entre le Port et la Communauté urbaine. La forme juridique retenue est celle du "transfert de gestion", portant, en rive gauche, sur 42.360 m² d'emprises portuaires avec 9.660 m² de hangars (n°3 et 5) et en rive droite, sur 19.380 m² de domaine public fluvial. Pour cette opération, l'indemnisation était de 99 M.F. A la fin 1991, la C.U.B. avait fini de payer et avait versé en tout 138 M.F. avec les actualisations. Pourtant le transfert de gestion n'a pas pu être régularisé. Le problème réside dans l'activité de croisières en plein essor; cet endroit étant le meilleur lieu d'escale. L'Etat juge indispensable qu'il reste du D.P.M. et accepte seulement une superposition de gestion. Les procédures sont donc loin d'être évidentes. Mais la ville continue ces efforts car elle voudrait une pleine propriété et le transfert des quais des hangars n°7 à 14.
En attendant les autorités font parfois quelques efforts, car elles sont conscientes de l'image négative que véhiculent les friches portuaires. A Nantes, la direction commerciale du P.A.N.S.N. a élaboré une charte en 1991, pour que le port s'intègre plus harmonieusement aux villes et aux espaces naturels. Des architectes et des urbanistes ont participé à quelques opérations-pilotes (réhabilitation de l'ex-hangar à bananes). Mais cela reste des solutions provisoires.
Pour les ports, l'intérêt est de tirer le meilleur parti de ces espaces ou de garder ce potentiel qui pourra, peut-être, être valorisé (car il est encore trop tôt pour porter un jugement définitif sur l'inutilité de ces espaces portuaires). Avec la réforme de la domanialité, la cession peut apparaître comme une source de revenus non négligeable pour de nouveaux investissements. Mais cela est encore insuffisant, il faut donner au port plus de responsabilités et les moyens d'une meilleure gestion de son capital foncier, afin qu'il soit plus impliqué dans la question et qu'il puisse dialoguer de manière équilibrée avec la ville.
2.1.1.3. Les autorités municipales
C'est souvent des villes que proviennent la plus forte volonté de réaménagement et le plus grand nombre de projets. Elles doivent "subir" tous les jours cet espace qui est en plein coeur de leur territoire. De plus, l'initiative ne provient généralement pas du port qui préfère se concentrer sur les zones actives et ne voit pas vraiment de solutions, ni de l'Etat qui à tendance à se désengager de plus en plus de ce genre de problème. Le plus souvent, c'est la ville qui doit trouver une solution, et insuffler à ces espaces un nouveau cadre économique.
Les villes veulent souvent récupérer ces espaces pour y étendre le tissu urbain et "remplir ces vides" généralement au coeur des agglomérations. Seulement, ce désir se heurte tout d'abord à des problèmes de propriété, ensuite à un problème de coût, l'acquisition de ces espaces et leur réaménagement ont des échelles de prix qui dépassent largement les capacités d'investissement des municipalités. Le problème principal, pour Nantes et Bordeaux, est «de connaître, en tant que port largement désaffecté, les mêmes difficultés que les villes plus fortunées, sans avoir les mêmes capacités financières de renouveau[24]». Il est donc difficile d'envisager un remodelage rapide.
Ainsi, la relève est souvent très lente. Un des nombreux problèmes est celui de la remise en état des friches très dégradées. A Nantes, pour le quai de la Fosse, les négociations pour une cession sont en cours. On semble s'acheminer vers un échange : la ville offrirait en contrepartie des terrains sur la zone de Cheviré. Mais le problème réside dans la restauration du vieux quai qu'elle devra prendre en charge. Si elle conservait le terre-plein actuel, il lui en coûterait quelques 400.000 francs par mètre de quai ! En revanche, si elle choisit d'abattre une bande de 30 mètres de largeur, pour revenir à l'aplomb des anciens quais, la réfection coûterait deux fois moins cher. De toute façon, la somme totale des travaux sera tellement élevé que rien ne sera entrepris à court-terme. Vu leur état actuel, les quais menacent de s'écrouler, ce qui arrangerait peut-être la municipalité mais serait dommageable pour l'identité de la ville mais aussi du port.
Les charges peuvent freiner les acquisitions et inhiber les projets de redéveloppement. La ville n'est pas toujours prête à assumer l'entretien coûteux de formes portuaires (écluses, grues). Si les terrains sont transférés, le port se désengage totalement, or il est peut-être dans son intérêt d'aider la ville à maintenir certaines formes (cf. § 2.3.2.2.). Le dialogue entre ville et port doit être entretenu, même s'il est ambigu car le port est à la fois en position de force, face à la ville qui veut récupérer ces terrains, mais aussi en position de faiblesse, parce que la mainmise de l'Etat l'empêche de faire ce qu'il veut.
2.1.1.4. Les entrepreneurs privés
Les espaces portuaires délaissés ont suscité peu d'enthousiasme chez les investisseurs privés, tout d'abord parce qu'ils souffrent d'une image négative, mais surtout parce que les règles de base de la domanialité publique (inaliénabilité et imprescriptibilité) causent la précarité de toute occupation et l'impossibilité de prendre des garanties. «L'Etat omniprésent sclérose le dynamisme potentiel que le secteur privé pourrait apporter à la gestion publique[25]». Une amélioration a récemment été apportée avec la loi n°94-631 du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public : le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat se voit désormais attribuer automatiquement un droit réel sur les ouvrages qu'il réalise pour une durée maximale de 70 ans. Ce droit ainsi que les ouvrages réalisés peuvent être cédés et hypothéqués pour garantir des emprunts.
Le réaménagement de vastes espaces exige d'énormes moyens financiers que rarement les villes peuvent mobiliser, d'où l'importance des formes de partenariat public / privé. D'autant que les entrepreneurs privés ont tout intérêt de profiter de ces terrains proches du centre-ville et de l'eau, qui offrent des opportunités importantes de plus-value. Seulement, il faut créer un cadre attractif pour les investissements, car l'offre de terrains est largement supérieure à la demande et aux besoins des villes. Mais, il faut tout de même imposer des règles, pour éviter tout développement purement spéculatif et respecter le caractère public de ces espaces. Ainsi, pour le moment, des règles d'urbanisme comme les Zones d'Aménagement Différé (Z.A.D.) ont été mises en place à Nantes et à Bordeaux, la préemption sur les ventes permettant de geler les terrains pendant un certain temps, pour se donner le temps de réfléchir. Il faudra ensuite monter des opérations généralement dans le cadre de Zones d'Aménagement Concerté (Z.A.C.), qui permettent des partenariats public / privé.
2.1.1.5. Les associations
Autour de la question du réaménagement des friches portuaires, les associations sont assez nombreuses. Leur volonté est d'accentuer et d'accélérer la prise en compte de ces espaces, de rappeler les potentialités, d'enrichir le débat et d'éviter une banalisation de ces espaces.
Certaines ont un rôle de médiateur. L'Association Internationale Villes et Ports suscite le dialogue ville et port autour de rencontres et de débats. Elle rassemble des représentants des villes portuaires, des pouvoirs publics et des milieux scientifiques et universitaires. Ses principaux objectifs sont de multiplier et diversifier les contacts et les échanges entre tous les partenaires et de recueillir et diffuser les informations qui concourent à la promotion et à l'évolution des villes portuaires. Ses colloques sont des viviers de réflexions sur la question.
Localement, de petites associations défendent généralement des intérêts maritimes et patrimoniaux. Leur rôle est de faire connaître les espaces, de proposer des idées, de défendre l'intérêt des habitants. Elles surveillent de près les décisions et les projets, les font connaître à la population, les critiquent, voire font pression pour qu'ils soient abandonnées.
- A Nantes, cette activité associative gravite autour de deux "traumatismes" : La fermeture et le démontage des anciens chantiers navals et le comblement de l'Erdre et de bras de Loire qui ont fortement marqué la ville. "Histoire de la Navale", composée d'anciens salariés, essaye de maintenir la mémoire de l'activité de construction en collectant des archives, des plans, des maquettes, des photos et en organisant des expositions. "Nantes, c'est capital" voulait recreuser le lit des rivières. "Nantes la Bleue" présentent régulièrement son point de vue sur la question de l'eau à Nantes. Ses grands objectifs sont la conservation des symboles du passé, la préservation et la valorisation de la présence de l'eau, l'implantation d'activités ayant une ouverture internationale et spécialement sur la mer et la réalisation d'un quartier animé à la place des friches actuelles. Ces associations organisent des manifestations comme, par exemple, la "Semaine du patrimoine industriel et portuaire nantais", en octobre 1995, avec des visites, des expositions, des débats afin de sensibiliser le public à la conservation de ce patrimoine.
- A Bordeaux, sur ce thème, l'activité associative est récente et dominée par l'association "Bouge ton quai". Née le 8 février 1995, ces créateurs étaient lassés de voir naître, médiatiser et mourir de "pseudo-projets" (cf. § 2.2.1.1.). L'équipe rassemble diverses personnalités compétentes et s'est donnée pour mission de "participer au développement économique et culturel des quais et du quartier, en proposant des améliorations pour la vie quotidienne des habitants ou en organisant des manifestations" : soirée "Fête le mur" pour la destruction du hangar n°11, salon des bouquinistes, etc. "Bouge ton quai" se bat pour que les quais retrouvent leur vocation passée de lieu de rencontres et d'échanges. L'Association exerce aussi un véritable contrôle citoyen sur les futurs projets urbanistiques : elle a fait savoir que la société Domofrance s'apprêtait à démolir sans tapage les chais situés près des quais avant leur classification en Z.A.C. Ses pressions ont fait stopper la destruction.
2.1.2. Flou et tensions
La prise en compte des friches portuaires ne débouche pas sur une intervention immédiate, la multiplicité des acteurs et des intérêts, la lourdeur du réaménagement provoquent une période de flou et de tensions, où apparaissent les problèmes et les doutes. Une large gamme d'options de réaménagement existe et les décideurs se donnent le temps de réfléchir, d'arbitrer, de choisir, de trouver une solution appropriée. Car le réaménagement de ces espaces constitue une opportunité mais aussi une prise de risque, et un échec serait lourd de conséquences. Cette période peut-être longue, d'autant qu'elle est souvent sous-estimée. De nombreux blocages peuvent apparaître, la situation semble stagnante, puisqu'elle n'aboutit sur aucun changement marquant, ce qui se traduit par une impatience de la population et des associations. Mais cette période est cruciale, puisque c'est là que les acteurs commencent à se rencontrer, à négocier, malgré des conflits, à évaluer des solutions. Sa durée indéfinie souligne le primat du facteur temps sur les processus de transformation de l'espace (CHALINE, 1988).
Dans les deux villes, les débats, les interrogations, les tensions focalisent sur des sites stratégiques qui deviennent véritablement des enjeux où se concentrent les plus grands doutes et les plus fortes pressions.
2.1.2.1. La question de l'île Sainte-Anne à Nantes
L'île Sainte-Anne apparaît comme l'ensemble majeur à Nantes. Tout d'abord, il faut préciser qu'on devrait plutôt parler de Prairie-au-Duc. L'île Sainte-Anne n'existe plus, il s'agissait d'une des nombreuses îles de Loire nées de l'accumulation de sédiments. Le nom d'île Sainte-Anne est réapparu pour désigner le site des anciens chantiers navals et la pointe ouest de l'île Beaulieu, lors du projet de cité des Affaires en 1988 (cf. § 2.2.1.2.). Le caractère maritime de ce nom était beaucoup plus vendeur. Maintenant les deux noms sont employés pour désigner une seule et même chose : les friches portuaires des anciens chantiers navals, qui restent à Nantes un sujet conflictuel et épineux.
Le site est éminemment stratégique : il est proche du centre-ville, au coeur de l'agglomération, en face du quai de la Fosse et c'est un symbole de l'histoire navale de Nantes. Des tensions étaient apparues lors du démontage des ateliers de préfabrication. J.P. PEYON, président de Nantes la Bleue, s'indignait : «Une telle décision n'est pas acceptable tant qu'une étude sérieuse sur l'intérêt architectural de ces bâtiments n'a pas été réalisée et qu'un projet d'aménagement global n'est pas proposé[26]». Pourtant, la ville s'est arrangée pour que certains ateliers retrouvent leur utilité première, ce qui ne peut être critiquable. Aujourd'hui, sur les 16 hectares, la ville est propriétaire, par l'intermédiaire de la société d'équipement de la municipalité, des 6 hectares appartenant aux chantiers. Le Port Autonome est toujours propriétaire des 10 hectares restant (cf. fig n°30).
La disparition des chantiers navals est lourdement ressentie par la population et ce traumatisme se traduit par une pression sur la reconversion. La réflexion est perturbée, le site "surinvesti" mentalement. Tout le monde veut une opération à la hauteur de l'endroit, une solution miracle et parfaite. Chacun a son idée sur le sujet. Il est difficile de trouver un consensus car toute réalisation sera critiquée. «Les projets, il y en a de nouveaux tous les mois. On ne sait pas ce qu'il va y avoir. Même le maire de Nantes ne sait pas et s'il avait un projet, certains s'empresseraient vite de le détruire[27]».
Un grand nombre de promesses n'ont pas été tenues. En 1990, Patrick MARESCHAL, premier adjoint au maire de Nantes : «D'ici un an, nous aurons avancé dans le projet d'aménagement de l'île Sainte-Anne, avec des procédures d'aménagement public et ensuite les investisseurs interviendront pour réaliser les opérations. Le site de Dubigeon aura pris figure dans les deux à cinq ans[28]». En 1992, on fixait le terme de l'aménagement de l'île Sainte-Anne à dix ans; en 1994, on parlait plutôt de 25 ans et en 1995, les élus n'ont pas peur de parler de 50 ans. Ainsi le problème a tout d'abord été sous-estimé. Puis, quand les élus ont mesuré les conséquences d'un lourd réaménagement dans cette zone stratégique et les effets qu'il pouvait induire sur la ville et l'agglomération, ils ont décidé de prendre leur temps, afin d'éviter des erreurs ou des gâchis.
Figure n°30 : Les acteurs sur l'île Sainte-Anne à Nantes
Pour cette réflexion, la ville s'entoure d'urbanistes. En décembre 1992, une commande est passée à l'architecte Dominique PERRAULT (cf. § 2.2.2.1.) par le conseil municipal, lui demandant une étude qui «constituerait un outil gestionnaire de l'espace et du temps, qui permette l'évaluation de la pertinence et de la qualité des projets à venir par rapport à l'identité globale de la ville et de l'agglomération». L'étude étant rendue, l'adjoint à l'urbanisme de la ville de Nantes, Patrick RIMBERT, est prudent : «Le résultat du travail de Dominique PERRAULT nous conduit à dire, surtout ne nous précipitons pas[29]».
Les associations dénoncent une réflexion qui tourne en rond. Mais, elles se rendent surtout compte qu'elles sont impuissantes pour le moment. Elles concentrent leurs critiques sur D. PERRAULT et sur son étude. Mais il n'y a pas vraiment de points à critiquer car rien de concret n'a été décidé.
Ainsi, depuis 1987, tout le monde sait qu'il faut faire quelque chose, quelquefois certains projets osent voir le jour, mais rien ne semble concret. L'endroit est tellement stratégique et symbolique, que toute réalisation serait considéré comme une seconde mort des chantiers, un traumatisme. La municipalité réfléchit et temporise tactiquement, mais le problème de fond reste et il faudra bien prendre des décisions, en acceptant les critiques et les oppositions.
2.1.2.2. La rive droite à Bordeaux
A Bordeaux, la ville se concentre sur la rive gauche. Sur la rive droite, se sont étalées de vastes emprises industrielles et des quartiers ouvriers, ainsi tenus à l'écart, mais qui sont tombés en déclin. Aujourd'hui la rive droite, pourtant en face du centre-ville, parait sinistrée. La tâche est énorme, il s'agit de redynamiser toute une rive et de réaménager plus de 200 hectares de friches industrielles et portuaires. Pourtant le phénomène de délaissement a depuis longtemps été observé. En janvier 1979, on parlait déjà de «stopper le processus de désintégration du quartier». En 1980, Jacques CHABAN-DELMAS parlait de redonner un souffle nouveau à La Bastide, et à la même époque le conseil municipal se prononçait en faveur d'un pont supplémentaire. Aujourd'hui, on y trouve un quartier en difficulté au sud, une immense friche industrielle au nord et toujours pas de pont.
La municipalité est désemparée face à l'ampleur des opérations. Ainsi, elle est allée quérir des architectes de renom pour tâcher de trouver des idées. Depuis 1984, Le Cercle de la Rivière puis le Comité des Deux Rives, réunissant la ville, la C.U.B., le P.A.B. et la C.C.I., est chargé de réfléchir sur l'aménagement autour du fleuve. Malgré tout cela, aucune opération importante n'a vu le jour concrètement, mais le nombre de projets et d'études est conséquent.
En juillet 1992, l'urbaniste Dominique PERRAULT est nommé "concepteur des deux rives" (cf. § 2.2.2.2.) et Jacques CHABAN-DELMAS se veut, une fois de plus, décidé : «Cette fois, ça y est, nous démarrons et je peux déjà vous assurer que d'ici quelques mois, le paysage de la ville sera tout à fait transformé[30]».
Plus récemment, le conseil municipal du 21 novembre 1995 a décidé d'engager des études lourdes d'aménagement en confiant à Bordeaux Métropole Aménagement (B.M.A.), la mission de coordonner les intervenants potentiels, le tout sous la maîtrise d'ouvrage de la C.U.B. Les aides au développement ne manquent pas : la zone portuaire et industrielle est identifiée comme secteur prioritaire du programme européen Objectif 2, qui concerne la reconversion des sites en déclin industriel. Les projets sur ce secteur peuvent bénéficier d'une aide financière. De plus, récemment, la partie industrielle en aval a été inclue dans le périmètre de "zone franche" de Cenon et de Lormont. Les entreprises voulant s'y implanter bénéficient donc d'exonérations fiscales.
Mais l'épisode de la douzième modification du P.O.S. (conseil municipal du 18 décembre 1995) a remis beaucoup de choses en cause et a fait apparaître une confusion totale au sujet du réaménagement de la rive droite. Les principales modifications concernent le quartier de la Bastide. Le flou le plus total règne sachant que le Plan PERRAULT n'est pas encore définitivement adopté mais qu'il a été à l'origine de cette modification. Certains se demandent s'il ne s'agit pas d'un prétexte dans le seul but d'encourager la promotion immobilière, d'autres se demandent si le projet PERRAULT est abandonné. La municipalité hésite à définir les usages des sols en fonction d'un cadre strict du projet, en fonction de la promotion immobilière, ou d'un mélange des deux.
Dmitri LAVROFF, adjoint à l'urbanisme se défend et soutient que la modification ne remet pas en cause le projet PERRAULT. Au sujet de favoriser la promotion immobilière : «Je ne vois pas où est le mal du moment que cette promotion ne soit pas échevelée et anarchique[31]». Mais pour Gilles SAVARY (P.S.): «La modification du P.O.S. proposée sur La Bastide est inacceptable, d'abord parce que ce quartier est unique en France, si près d'un centre-ville, est en droit d'attendre un projet global d'aménagement lui permettant d'y voir clair et, en second lieu, parce que nous ne pouvons accepter aujourd'hui de rendre possible sur cet espace prestigieux, en front de fleuve, un espace dense pouvant s'élever de 15 à 54 mètres de haut[32]».
Face aux nombreuses critiques, la mairie se défend mais avec de plus en plus de précautions. Dmitri LAVROFF, adjoint à l'urbanisme: «Le Plan PERRAULT a besoin d'être approfondi et personne n'a dit qu'il était opératoire». Le maire confirme que le plan n'est pas abandonné mais reconnaît «qu'il n'est pas près à démarrer. C'est un concept et il faut maintenant définir une méthode[33]». Ce qui paraissait acquis est maintenant remis en cause. On ne sait plus sur quoi se base le réaménagement, ni vraiment ce que l'on veut faire sur la rive droite. Mais sans volonté politique forte, les réflexions auront du mal à aboutir sur des réalisations.
2.1.2.3. Quelques réalisations au coup par coup
Cette période de réflexion, d'hésitations et d'interrogations n'est tout de même pas entièrement stérile. Quelques décisions et réalisations ponctuelles ont vu le jour, non sans problèmes. Mais celles-ci sont encore marginales. Elles résultent à la fois des moyens limités des collectivités locales et de l'opportunisme des investisseurs privés. Ces projets ont souvent vu le jour de manière "anarchique" et sans référence à un plan global de réaménagement, ce qui pourrait poser des problèmes de cohérence avec les futures opérations.
> A Bordeaux :
- L'Entrepôt Lainé, datant de 1824, du nom d'un négociant en vin, a été vendu à la ville de Bordeaux durant les années 1960. Il a été réhabilité avec l'aide de l'Etat et reconverti en centre d'art contemporain regroupant un musée, un centre d'architecture, des ateliers... Cette réalisation constitue un cas isolé et a un impact limité sur les quais.
- La Cité mondiale du Vin, parmi les anciens chais des Chartrons, a été créée à l'initiative de négociants en vins et des autorités locales. C'est un centre de commerce et d'exposition qui abrite un marché permanent du vin et des spiritueux. Le projet de départ a échoué et cette activité a quasiment disparu, le mot vin a été rayé de la raison sociale de l'endroit. Maintenant, elle se nomme "Cité mondiale de Bordeaux" et a plus un rôle de centre de congrès.
- Réhabilitation des anciens chais : En arrière du quai, la Z.A.C. des Chartrons a pour objectif de réintroduire de l'habitat et des voies de circulation en conservant "l'âme" des anciens chais. Il est prévu la construction d'une salle de sports, d'un groupe scolaire. Ce quartier est en contact direct avec les quais, sa réhabilitation pourrait donc avoir un effet induit.
- Destruction de plusieurs hangars sur les quais : Le processus est long mais semble amorcé. Le hangar n°1 a été détruit en 1979, le n°12 en 1985, le n°11 en 1996. Le n°5 et le n°7 devrait l'être d'ici 1998. Chaque destruction ne se fait pas sans problèmes : récemment l'exemple du hangar n°11 l'a rappelé. Sa destruction a été votée par la C.U.B. le 1er décembre 1995, mais ce qui a motivé cette décision reste flou. Le hangar est situé dans une zone qui est de la compétence du Port Autonome. Le coût de l'opération, soit un million de francs, est supporté par la C.U.B. mais c'est le Port Autonome qui s'est chargé de la démolition. La polémique vient du fait que l'on ne déclare pas clairement si on détruit parce que le hangar est dangereux ou parce que la destruction s'inscrit dans le plan PERRAULT d'aménagement des rives de la Garonne (qui à l'époque n'a encore aucune légitimité car non voté par le conseil municipal).
Gilles SAVARY, élu de l'opposition P.S., explique: «La délibération précise que le hangar 11 est désormais dangereux. Dans ce cas, que le maire de Bordeaux prenne un arrêté de péril. Ce sera alors au préfet d'ordonner sa démolition et cela ne coûtera pas un centime à notre établissement[34]». Pour la majorité, cette opération n'a rien à voir avec le Plan PERRAULT, il s'agit seulement de remettre le fleuve à la portée des Bordelais et d'une opération de nettoiement, de salubrité et d'esthétique, comme l'esplique le maire : «C'est certes symbolique mais c'est surtout le signal d'un grand début d'ensemble, le réaménagement de la rive gauche. Il faut qu'il se passe des choses sur les quais[35]». Mais, à Bordeaux, il semble que toute décision politique sur le sujet soit assez ténébreuse, ce qui ne facilite pas un réaménagement clair et compréhensible. A voir ce que déclenche la destruction d'un seul hangar, on peut imaginer la saga quand on voudra prendre des décisions concrètes sur l'aménagement global des deux rives.
> A Nantes :
- Le bâtiment de direction des anciens chantiers Dubigeon était abandonné depuis 1987. Ce bâtiment de 1.940 m² date de la première guerre mondiale. La ville de Nantes l'a racheté, l'a réhabilité et l'a reconverti en locaux pour associations et en université inter-âge. L'opération, terminée en avril 1994, a coûté 23,4 M.F., dont 21,4 M.F. pour la seule réhabilitation, soit 4.300 francs du m² (ce qui est modeste pour ce genre de réalisation). La ville a bénéficié d'une subvention de 5 M.F. du F.E.D.E.R. au titre du programme communautaire Renaval, qui encourage l'implantation de nouvelles activités sur les sites de l'industrie navale. Aujourd'hui, la bâtiment est classé "Patrimoine nantais" au P.O.S. et cette opération fait l'unanimité. Elle était pourtant critiquée à ses débuts, ce qui prouve que la volonté politique ne doit pas être forcément bloquée par un manque de consensus.
- L'ex-hangar à bananes "Maurice-Bertin" a été réhabilité en 1991 à l'initiative du Port Autonome. Ce hangar datant de 1929 abrite aujourd'hui des activités de service liées à la mer. Auparavant, il était à l'abandon depuis vingt ans. Sa position en figure de proue sur la pointe des Antilles en faisait un symbole peu glorieux pour le port, qui a été à l'origine de cette opération.
Les associations dénoncent une réflexion qui tourne en rond. Mais, elles se rendent surtout compte qu'elles sont impuissantes pour le moment. Elles concentrent leurs critiques sur D. PERRAULT et sur son étude. Mais il n'y a pas vraiment de points à critiquer car rien de concret n'a été décidé.
Ainsi, depuis 1987, tout le monde sait qu'il faut faire quelque chose, quelquefois certains projets osent voir le jour, mais rien ne semble concret. L'endroit est tellement stratégique et symbolique, que toute réalisation serait considéré comme une seconde mort des chantiers, un traumatisme. La municipalité réfléchit et temporise tactiquement, mais le problème de fond reste et il faudra bien prendre des décisions, en acceptant les critiques et les oppositions.
2.1.2.2. La rive droite à Bordeaux
A Bordeaux, la ville se concentre sur la rive gauche. Sur la rive droite, se sont étalées de vastes emprises industrielles et des quartiers ouvriers, ainsi tenus à l'écart, mais qui sont tombés en déclin. Aujourd'hui la rive droite, pourtant en face du centre-ville, parait sinistrée. La tâche est énorme, il s'agit de redynamiser toute une rive et de réaménager plus de 200 hectares de friches industrielles et portuaires. Pourtant le phénomène de délaissement a depuis longtemps été observé. En janvier 1979, on parlait déjà de «stopper le processus de désintégration du quartier». En 1980, Jacques CHABAN-DELMAS parlait de redonner un souffle nouveau à La Bastide, et à la même époque le conseil municipal se prononçait en faveur d'un pont supplémentaire. Aujourd'hui, on y trouve un quartier en difficulté au sud, une immense friche industrielle au nord et toujours pas de pont.
La municipalité est désemparée face à l'ampleur des opérations. Ainsi, elle est allée quérir des architectes de renom pour tâcher de trouver des idées. Depuis 1984, Le Cercle de la Rivière puis le Comité des Deux Rives, réunissant la ville, la C.U.B., le P.A.B. et la C.C.I., est chargé de réfléchir sur l'aménagement autour du fleuve. Malgré tout cela, aucune opération importante n'a vu le jour concrètement, mais le nombre de projets et d'études est conséquent.
En juillet 1992, l'urbaniste Dominique PERRAULT est nommé "concepteur des deux rives" (cf. § 2.2.2.2.) et Jacques CHABAN-DELMAS se veut, une fois de plus, décidé : «Cette fois, ça y est, nous démarrons et je peux déjà vous assurer que d'ici quelques mois, le paysage de la ville sera tout à fait transformé[30]».
Plus récemment, le conseil municipal du 21 novembre 1995 a décidé d'engager des études lourdes d'aménagement en confiant à Bordeaux Métropole Aménagement (B.M.A.), la mission de coordonner les intervenants potentiels, le tout sous la maîtrise d'ouvrage de la C.U.B. Les aides au développement ne manquent pas : la zone portuaire et industrielle est identifiée comme secteur prioritaire du programme européen Objectif 2, qui concerne la reconversion des sites en déclin industriel. Les projets sur ce secteur peuvent bénéficier d'une aide financière. De plus, récemment, la partie industrielle en aval a été inclue dans le périmètre de "zone franche" de Cenon et de Lormont. Les entreprises voulant s'y implanter bénéficient donc d'exonérations fiscales.
Mais l'épisode de la douzième modification du P.O.S. (conseil municipal du 18 décembre 1995) a remis beaucoup de choses en cause et a fait apparaître une confusion totale au sujet du réaménagement de la rive droite. Les principales modifications concernent le quartier de la Bastide. Le flou le plus total règne sachant que le Plan PERRAULT n'est pas encore définitivement adopté mais qu'il a été à l'origine de cette modification. Certains se demandent s'il ne s'agit pas d'un prétexte dans le seul but d'encourager la promotion immobilière, d'autres se demandent si le projet PERRAULT est abandonné. La municipalité hésite à définir les usages des sols en fonction d'un cadre strict du projet, en fonction de la promotion immobilière, ou d'un mélange des deux.
Dmitri LAVROFF, adjoint à l'urbanisme se défend et soutient que la modification ne remet pas en cause le projet PERRAULT. Au sujet de favoriser la promotion immobilière : «Je ne vois pas où est le mal du moment que cette promotion ne soit pas échevelée et anarchique[31]». Mais pour Gilles SAVARY (P.S.): «La modification du P.O.S. proposée sur La Bastide est inacceptable, d'abord parce que ce quartier est unique en France, si près d'un centre-ville, est en droit d'attendre un projet global d'aménagement lui permettant d'y voir clair et, en second lieu, parce que nous ne pouvons accepter aujourd'hui de rendre possible sur cet espace prestigieux, en front de fleuve, un espace dense pouvant s'élever de 15 à 54 mètres de haut[32]».
Face aux nombreuses critiques, la mairie se défend mais avec de plus en plus de précautions. Dmitri LAVROFF, adjoint à l'urbanisme: «Le Plan PERRAULT a besoin d'être approfondi et personne n'a dit qu'il était opératoire». Le maire confirme que le plan n'est pas abandonné mais reconnaît «qu'il n'est pas près à démarrer. C'est un concept et il faut maintenant définir une méthode[33]». Ce qui paraissait acquis est maintenant remis en cause. On ne sait plus sur quoi se base le réaménagement, ni vraiment ce que l'on veut faire sur la rive droite. Mais sans volonté politique forte, les réflexions auront du mal à aboutir sur des réalisations.
2.1.2.3. Quelques réalisations au coup par coup
Cette période de réflexion, d'hésitations et d'interrogations n'est tout de même pas entièrement stérile. Quelques décisions et réalisations ponctuelles ont vu le jour, non sans problèmes. Mais celles-ci sont encore marginales. Elles résultent à la fois des moyens limités des collectivités locales et de l'opportunisme des investisseurs privés. Ces projets ont souvent vu le jour de manière "anarchique" et sans référence à un plan global de réaménagement, ce qui pourrait poser des problèmes de cohérence avec les futures opérations.
> A Bordeaux :
- L'Entrepôt Lainé, datant de 1824, du nom d'un négociant en vin, a été vendu à la ville de Bordeaux durant les années 1960. Il a été réhabilité avec l'aide de l'Etat et reconverti en centre d'art contemporain regroupant un musée, un centre d'architecture, des ateliers... Cette réalisation constitue un cas isolé et a un impact limité sur les quais.
- La Cité mondiale du Vin, parmi les anciens chais des Chartrons, a été créée à l'initiative de négociants en vins et des autorités locales. C'est un centre de commerce et d'exposition qui abrite un marché permanent du vin et des spiritueux. Le projet de départ a échoué et cette activité a quasiment disparu, le mot vin a été rayé de la raison sociale de l'endroit. Maintenant, elle se nomme "Cité mondiale de Bordeaux" et a plus un rôle de centre de congrès.
- Réhabilitation des anciens chais : En arrière du quai, la Z.A.C. des Chartrons a pour objectif de réintroduire de l'habitat et des voies de circulation en conservant "l'âme" des anciens chais. Il est prévu la construction d'une salle de sports, d'un groupe scolaire. Ce quartier est en contact direct avec les quais, sa réhabilitation pourrait donc avoir un effet induit.
- Destruction de plusieurs hangars sur les quais : Le processus est long mais semble amorcé. Le hangar n°1 a été détruit en 1979, le n°12 en 1985, le n°11 en 1996. Le n°5 et le n°7 devrait l'être d'ici 1998. Chaque destruction ne se fait pas sans problèmes : récemment l'exemple du hangar n°11 l'a rappelé. Sa destruction a été votée par la C.U.B. le 1er décembre 1995, mais ce qui a motivé cette décision reste flou. Le hangar est situé dans une zone qui est de la compétence du Port Autonome. Le coût de l'opération, soit un million de francs, est supporté par la C.U.B. mais c'est le Port Autonome qui s'est chargé de la démolition. La polémique vient du fait que l'on ne déclare pas clairement si on détruit parce que le hangar est dangereux ou parce que la destruction s'inscrit dans le plan PERRAULT d'aménagement des rives de la Garonne (qui à l'époque n'a encore aucune légitimité car non voté par le conseil municipal).
Gilles SAVARY, élu de l'opposition P.S., explique: «La délibération précise que le hangar 11 est désormais dangereux. Dans ce cas, que le maire de Bordeaux prenne un arrêté de péril. Ce sera alors au préfet d'ordonner sa démolition et cela ne coûtera pas un centime à notre établissement[34]». Pour la majorité, cette opération n'a rien à voir avec le Plan PERRAULT, il s'agit seulement de remettre le fleuve à la portée des Bordelais et d'une opération de nettoiement, de salubrité et d'esthétique, comme l'esplique le maire : «C'est certes symbolique mais c'est surtout le signal d'un grand début d'ensemble, le réaménagement de la rive gauche. Il faut qu'il se passe des choses sur les quais[35]». Mais, à Bordeaux, il semble que toute décision politique sur le sujet soit assez ténébreuse, ce qui ne facilite pas un réaménagement clair et compréhensible. A voir ce que déclenche la destruction d'un seul hangar, on peut imaginer la saga quand on voudra prendre des décisions concrètes sur l'aménagement global des deux rives.
> A Nantes :
- Le bâtiment de direction des anciens chantiers Dubigeon était abandonné depuis 1987. Ce bâtiment de 1.940 m² date de la première guerre mondiale. La ville de Nantes l'a racheté, l'a réhabilité et l'a reconverti en locaux pour associations et en université inter-âge. L'opération, terminée en avril 1994, a coûté 23,4 M.F., dont 21,4 M.F. pour la seule réhabilitation, soit 4.300 francs du m² (ce qui est modeste pour ce genre de réalisation). La ville a bénéficié d'une subvention de 5 M.F. du F.E.D.E.R. au titre du programme communautaire Renaval, qui encourage l'implantation de nouvelles activités sur les sites de l'industrie navale. Aujourd'hui, la bâtiment est classé "Patrimoine nantais" au P.O.S. et cette opération fait l'unanimité. Elle était pourtant critiquée à ses débuts, ce qui prouve que la volonté politique ne doit pas être forcément bloquée par un manque de consensus.
- L'ex-hangar à bananes "Maurice-Bertin" a été réhabilité en 1991 à l'initiative du Port Autonome. Ce hangar datant de 1929 abrite aujourd'hui des activités de service liées à la mer. Auparavant, il était à l'abandon depuis vingt ans. Sa position en figure de proue sur la pointe des Antilles en faisait un symbole peu glorieux pour le port, qui a été à l'origine de cette opération.
Figure n°31 : L'ex-hangar à bananes réhabilité à Nantes
- Une réalisation privée : S.A.G.E.I.C.O. (Société d'Aménagement de Gestion d'Investissements Immobiliers et Commerciaux), promoteur et investisseur en immobilier d'entreprise, rachète des bâtiments aux A.C.B. en 1988 et crée le centre d'activités Léon Bureau : 6.500 m² de surfaces commerciales, 5.000 m² de surfaces industrielles et 1.500 m² de bureaux, ce qui constitue une opération importante financée sans aides. La société a acheté des locaux en friche, les a aménagés et les a commercialisés, le tout dans un endroit en déclin et peu attractif. Un tel exemple est rare, puisque la prise de risque est importante.
- Pont des Trois Continents : Ce pont routier à faible tirant d'air a été mis en service au printemps 1995. Il a coûté 96 M.F. La ville veut en faire un point de passage privilégié entre Rezé et le centre ville par le pont Anne de Bretagne, c'est-à-dire en traversant les friches portuaires, ce qui apporterait de la fréquentation. Mais, en décembre 1995, le Port Autonome veut interdire ou plutôt dissuader le trafic automobile de transit à travers la zone portuaire et il prévoit des travaux pour marquer clairement l'entrée du port aux abords du quai Wilson. Cette volonté du port, même si elle n'est pas respectée, va à l'encontre du projet de faire de l'île Sainte-Anne, un espace intégré au tissu urbain traditionnel. En faisant cela, le port maintient cet espace dans un cul-de-sac, mais il a compétence pour intervenir sur une bande de 300 mètres de large le long du quai Wilson, jusqu'à la limite de l'emprise SNCF.
- Une vision sur les anciens chantiers : la ville crée en 1994, un parc minéral artistique place du Commandant L'Herminier, juste en face des anciens chantiers navals. Ce "Nouveau labyrinthe pour Nantes", imaginé par l'Américain Dan GRAHAM, est une plate-forme permettant de prendre de la hauteur. Des miroirs double-face et des grillages créent des effets d'optique et de transparence. Ce jeu visuel permet de se mettre en scène dans la ville et de créer de l'imaginaire sur le devenir du site. Seulement, il est peu fréquenté par les nantais qui ne savent pas ce que c'est.
- Future destruction des hangars du quai de la Fosse n°6 à 9. A l'occasion du centenaire du Belem, ces hangars sont apparus inesthétiques et encombrants aux organisateurs. La ville a demandé au port de raser les quatre hangars. Le port est d'accord et a déposé un permis de démolir. Pour l'instant, il faut attendre les délais de procédure, mais la destruction semble certaine. La ville, qui veut ensuite acquérir les quais, envisage un cheminement verdoyant le long du fleuve, puisque leur état ne permet pas pour l'instant d'aménagement conséquent.
Malgré cette prise en compte, les réalisations concrètes sont sommaires et longues à venir. La durée des friches dépend de la volonté politique, des moyens financiers, des problèmes juridiques; mais aussi de la qualité de la réflexion qui s'engage, ce qui se traduit par de grandes options de réaménagement et par de nombreux projets.
- Pont des Trois Continents : Ce pont routier à faible tirant d'air a été mis en service au printemps 1995. Il a coûté 96 M.F. La ville veut en faire un point de passage privilégié entre Rezé et le centre ville par le pont Anne de Bretagne, c'est-à-dire en traversant les friches portuaires, ce qui apporterait de la fréquentation. Mais, en décembre 1995, le Port Autonome veut interdire ou plutôt dissuader le trafic automobile de transit à travers la zone portuaire et il prévoit des travaux pour marquer clairement l'entrée du port aux abords du quai Wilson. Cette volonté du port, même si elle n'est pas respectée, va à l'encontre du projet de faire de l'île Sainte-Anne, un espace intégré au tissu urbain traditionnel. En faisant cela, le port maintient cet espace dans un cul-de-sac, mais il a compétence pour intervenir sur une bande de 300 mètres de large le long du quai Wilson, jusqu'à la limite de l'emprise SNCF.
- Une vision sur les anciens chantiers : la ville crée en 1994, un parc minéral artistique place du Commandant L'Herminier, juste en face des anciens chantiers navals. Ce "Nouveau labyrinthe pour Nantes", imaginé par l'Américain Dan GRAHAM, est une plate-forme permettant de prendre de la hauteur. Des miroirs double-face et des grillages créent des effets d'optique et de transparence. Ce jeu visuel permet de se mettre en scène dans la ville et de créer de l'imaginaire sur le devenir du site. Seulement, il est peu fréquenté par les nantais qui ne savent pas ce que c'est.
- Future destruction des hangars du quai de la Fosse n°6 à 9. A l'occasion du centenaire du Belem, ces hangars sont apparus inesthétiques et encombrants aux organisateurs. La ville a demandé au port de raser les quatre hangars. Le port est d'accord et a déposé un permis de démolir. Pour l'instant, il faut attendre les délais de procédure, mais la destruction semble certaine. La ville, qui veut ensuite acquérir les quais, envisage un cheminement verdoyant le long du fleuve, puisque leur état ne permet pas pour l'instant d'aménagement conséquent.
Malgré cette prise en compte, les réalisations concrètes sont sommaires et longues à venir. La durée des friches dépend de la volonté politique, des moyens financiers, des problèmes juridiques; mais aussi de la qualité de la réflexion qui s'engage, ce qui se traduit par de grandes options de réaménagement et par de nombreux projets.
[22] Journal de la Marine Marchande du 18 juin 1993
[23] Journal de la Marine Marchande du 27 mai 1994
[24] CHOTARD, Y (1993) "Nantes reste un port" in Le port cadre de ville; éd. L'Harmattan; p: 49-59
[25] MARCHAND, Y (1993) "Enjeu financier lié à la réhabilitation des friches portuaires et à la réforme de la domanialité publique" in Le port cadre de ville; éd. L'Harmattan; Paris; p: 215-225
[26] Ouest-France du 27 nov. 1990
[27] Entretien avec un ancien salarié des Chantiers Dubigeon, 1995
[28] Diabolo Nantes n°5; fév. 1990
[29] Presse-Océan du 15 nov. 1995
[30] Sud-Ouest du 25 juil. 1992
[31] Sud-Ouest du 18 déc. 1995
[32] Sud-Ouest du 20 déc. 1995
[33] idem
[34] Sud-Ouest du 2 déc. 1995
[35] Sud-Ouest du 23 déc. 1995
[23] Journal de la Marine Marchande du 27 mai 1994
[24] CHOTARD, Y (1993) "Nantes reste un port" in Le port cadre de ville; éd. L'Harmattan; p: 49-59
[25] MARCHAND, Y (1993) "Enjeu financier lié à la réhabilitation des friches portuaires et à la réforme de la domanialité publique" in Le port cadre de ville; éd. L'Harmattan; Paris; p: 215-225
[26] Ouest-France du 27 nov. 1990
[27] Entretien avec un ancien salarié des Chantiers Dubigeon, 1995
[28] Diabolo Nantes n°5; fév. 1990
[29] Presse-Océan du 15 nov. 1995
[30] Sud-Ouest du 25 juil. 1992
[31] Sud-Ouest du 18 déc. 1995
[32] Sud-Ouest du 20 déc. 1995
[33] idem
[34] Sud-Ouest du 2 déc. 1995
[35] Sud-Ouest du 23 déc. 1995