Les friches portuaires à Nantes et à Bordeaux
PREMIÈRE PARTIE : Le phénomène des friches portuaires au cœur des relations ville / port
1.1 L'évolution des rapports ville /port
Pendant longtemps, la ville et le port ont presque toujours formé un tout, ils étaient imbriqués, leurs activités étaient complémentaires. Le couple était naturel, chacun tirait parti de la présence et de l'activité de l'autre. On ne peut dire lequel est antérieur à l'autre, leur naissance semble confondue. Ainsi, le thème des relations ville/port est récent. On commence à s'intéresser à ce couple et à ses rapports quand il commence à y avoir séparation. Face aux évolutions extérieures, chacun évolue différemment et retrouve peu à peu sa spécificité, ses exigences propres. Les différences de nature et de fonctionnement, qui formaient un système cohérent, apparaissent très nettement.
La ville et le port sont devenus, en l'espace de quelques décennies, des entités différentes, de moins en moins dépendantes et de plus en plus conflictuelles, des espaces construits et organisés différemment. Il convient donc d'expliquer les raisons de cette séparation et mettre à jour les facteurs et les évolutions qui ont abouti à cette situation.
Cette désorganisation de l'espace pose de nombreux problèmes. Le thème des relations ville/port est devenu un enjeu majeur de l'urbanisme. L'intérêt autour de ce thème est sans doute dû à l'ampleur du phénomène et à son caractère généralisé, même si la séparation ne se déroule pas partout de la même manière. Il y a quarante ans environ, les premières réflexions ont été menées sur les fronts d'eau de Boston et de Baltimore. Aujourd'hui le phénomène est global : il touche toutes les régions du monde et toutes les villes portuaires, aussi bien les grandes métropoles portuaires que les ports secondaires.
1.1.1. Les déterminants d'une désorganisation de l'espace urbano-portuaire
A partir des années 1950, en Amérique du Nord, des années 1960-1980 en Europe Occidentale, le système ville/port entre dans une phase de désorganisation. Elle n'est généralement pas due à une baisse du trafic maritime. De nombreux facteurs aboutissent au retrait progressif du port de la ville et au déséquilibrage du système urbano-portuaire, système socio-économique complexe qui assurait le développement des deux parties.
Ces facteurs de délaissement et de désorganisation sont assez bien identifiés. De nombreuses recherches ont été entreprises sur le sujet. D'ailleurs les relations ville / port ont longtemps été traitées dans la seule optique des changements des systèmes productifs et de leurs effets spatiaux. En conséquence, le sujet sera abordé brièvement, des auteurs comme Y. HAYUTH[1], D. HILLING[2] ou encore A. VIGARIE[3] ayant déjà exploré cette thématique et proposé des modèles.
1.1.1.1. Les évolutions technologiques
Les rapides progrès technologiques de la deuxième moitié du XXe siècle, qui ont touché le monde maritime, sont les facteurs les plus décisifs et les plus évidents.
- Tout d'abord, le bateau évolue considérablement. La propulsion à vapeur a tout d'abord permis le contrôle des distances et des durées de traversée et par là, le contrôle du coût du transport. De plus, la généralisation des coques métalliques a offert des possibilités dimensionnelles accrues. Par leur résistance, elles permettent l'allongement du navire et l'augmentation de sa capacité de charge. Ce qui ouvre la voie du gigantisme naval.
La ville et le port sont devenus, en l'espace de quelques décennies, des entités différentes, de moins en moins dépendantes et de plus en plus conflictuelles, des espaces construits et organisés différemment. Il convient donc d'expliquer les raisons de cette séparation et mettre à jour les facteurs et les évolutions qui ont abouti à cette situation.
Cette désorganisation de l'espace pose de nombreux problèmes. Le thème des relations ville/port est devenu un enjeu majeur de l'urbanisme. L'intérêt autour de ce thème est sans doute dû à l'ampleur du phénomène et à son caractère généralisé, même si la séparation ne se déroule pas partout de la même manière. Il y a quarante ans environ, les premières réflexions ont été menées sur les fronts d'eau de Boston et de Baltimore. Aujourd'hui le phénomène est global : il touche toutes les régions du monde et toutes les villes portuaires, aussi bien les grandes métropoles portuaires que les ports secondaires.
1.1.1. Les déterminants d'une désorganisation de l'espace urbano-portuaire
A partir des années 1950, en Amérique du Nord, des années 1960-1980 en Europe Occidentale, le système ville/port entre dans une phase de désorganisation. Elle n'est généralement pas due à une baisse du trafic maritime. De nombreux facteurs aboutissent au retrait progressif du port de la ville et au déséquilibrage du système urbano-portuaire, système socio-économique complexe qui assurait le développement des deux parties.
Ces facteurs de délaissement et de désorganisation sont assez bien identifiés. De nombreuses recherches ont été entreprises sur le sujet. D'ailleurs les relations ville / port ont longtemps été traitées dans la seule optique des changements des systèmes productifs et de leurs effets spatiaux. En conséquence, le sujet sera abordé brièvement, des auteurs comme Y. HAYUTH[1], D. HILLING[2] ou encore A. VIGARIE[3] ayant déjà exploré cette thématique et proposé des modèles.
1.1.1.1. Les évolutions technologiques
Les rapides progrès technologiques de la deuxième moitié du XXe siècle, qui ont touché le monde maritime, sont les facteurs les plus décisifs et les plus évidents.
- Tout d'abord, le bateau évolue considérablement. La propulsion à vapeur a tout d'abord permis le contrôle des distances et des durées de traversée et par là, le contrôle du coût du transport. De plus, la généralisation des coques métalliques a offert des possibilités dimensionnelles accrues. Par leur résistance, elles permettent l'allongement du navire et l'augmentation de sa capacité de charge. Ce qui ouvre la voie du gigantisme naval.
Figure n°2 : L'évolution de la taille des navires
Les tonnages croissent assez rapidement, et par là, les tirants d'eau nécessaires pour accueillir les navires aussi. Les anciens ports, et notamment les ports d'estuaire comme Nantes et Bordeaux disposant de profondeurs maximales d'environ 8 à 9 mètres, sont inadaptés et deviennent obsolètes (comparer avec fig. n°2). Pour survivre, les organismes doivent se délocaliser à la recherche d'eau profonde, en aval pour les sites estuariens.
- Les capacités de charge augmentant, les rythmes de manutention devaient suivre. Les progrès techniques ont aussi touché les installations portuaires. La mécanisation des engins de manutention permet bien sûr de plus grandes capacités de levage (portiques de 30 tonnes et plus de capacité) mais surtout des vitesses de transbordement beaucoup plus rapides (déchargement ou chargement en continu de vrac solides, rampes roll on / roll off...). Les quantités de marchandises traitées nécessitent en arrière des quais de vastes terre-pleins pour le stockage, le transit et les usines qui utilisent les matières débarquées. Ces grandes aires industrielles ne peuvent être en zone urbanisée pour des raisons d'espace, de cohabitation difficile et de sécurité.
- La cargaison devient de plus en plus rationalisée, pour être plus pratique et rapide à traiter. Les navires et les postes d'amarrages deviennent spécialisés. L'unitisation des marchandises générales, notamment sous la forme de conteneurs normalisés connaît peu à peu une généralisation progressive[4]. L'idée consiste à donner au fret une forme homogène et invariante pour toute la durée de son transport. Cela permet une utilisation rationnelle des cales du navire, une facilité de stockage (gerbage), le transport sur wagons plates-formes et une rapidité de transbordement avec une économie considérable de main-d'oeuvre car une seule boite remplace à elle seule plusieurs palanquées. De plus, ce système assure une sécurité quasi-totale contre les risques de vols et autres calamités. La conteneurisation a nécessité de renouveler les techniques de transport sur terre et sur mer. Les anciens quais et hangars proches des centres villes sont obsolètes pour les recevoir car trop étriqués et de plus les conteneurs n'ont plus besoin de bâtiments pour être stockés. Ils nécessitent des terminaux dégagés (Le Verdon, Montoir) de plusieurs dizaines d'hectares (en moyenne, un porte-conteneurs de la troisième génération, demande 8 à 9 hectares en arrière du quai).
- Bien qu'il reste le mode de transport le plus économique, le transport maritime n'est plus aussi privilégié. Avec le développement du chemin de fer, le couple train/bateau a longtemps constitué le mode de transport caractéristique pendant la période industrielle du XIXe siècle et du début du XXe. Aujourd'hui, le transport de marchandises par camions est très utilisé car plus rapide et plus flexible. Les grandes aires ferroviaires le plus souvent liées au port sont elles aussi de plus en plus délaissées (Gare d'Orléans à Bordeaux, Gare de l'Etat à Nantes). Pour les passagers, la route mais aussi, pour les longues distances, les transports aériens ont engendré un effondrement des trafics passagers à longue distance et notamment des traversées transatlantiques (disparition des cargos de ligne en 1965 à Bordeaux), ce qui rend obsolète les anciennes gares maritimes de Nantes et surtout de Bordeaux.
Tous ces facteurs d'ordre technique ne se sont pas mis en place naturellement. L'existence de moyens ne suffit pas, il a fallu qu'ils soient conçus, adoptés et améliorés en fonction d'impératifs d'ordre économique. Tout cela a des répercussions sur l'organisme portuaire, qui est modelé par une logique technique requise par des exigences économiques. On recherche l'efficacité technique maximale, afin de baisser au maximum la distance/temps et la distance/coût. Le port doit répondre aux exigences de la marchandise.
1.1.1.2. Nouvelles exigences économiques
Certaines évolutions plus globales, parfois moins spécifiquement liées au monde maritime, sont lourdes de conséquences. Le fonctionnement des ports est directement influencé par le contexte économique.
- Depuis les années 1970, une nouvelle ère économique a débuté : celle d'une période de stagnation voire de crise mais aussi celle du libre-échangisme et de la mondialisation des échanges, facilités par la révolution des transports. Tout d'abord, c'est la fin de la prédominance européenne et atlantique, de nouveaux pôles très puissants voient le jour du côté du Pacifique. Les routes maritimes se modifient, les relations privilégiées des ports évoluent, ceux-ci perdent peu à peu le contrôle sur leurs trafics. Les stratégies économiques sont pensées à l'échelle planétaire, les décisions ne sont plus prises au niveau local. Le port, porte ouverte sur le monde, est directement mis en concurrence avec celui-ci.
Dans les pays développés, ce contexte économique s'est accompagné d'une tendance lourde à la désindustrialisation. Au niveau mondial, c'est l'éclatement de l'espace industriel et la concentration des places financières. Dans les pays développés, c'est l'hégémonie du secteur tertiaire, l'ère des services et de l'information qui produisent plus de richesses que la production industrielle. Le déclin du secteur secondaire s'accompagne de nombreuses fermetures d'usines. Les industries doivent s'adapter à de nouvelles concurrences (pays en développement où la production coûte moins cher), à de nouvelles demandes et à une lourde crise. A Nantes et Bordeaux, de nombreuses industries ont disparu, après de nombreuses réadaptations et restructurations : chantiers navals, métallurgie... L'économie des villes portuaires se tourne plus vers le secteur tertiaire, celles-ci sont moins dépendantes de l'activité portuaire et se tournent plutôt vers l'intérieur où elles sont intégrées dans un réseau "continental" (Région, Etat, Europe) où elles doivent se positionner et asseoir leur zone d'influence.
- L'énormité du prix des nouveaux navires conduit à des dépenses colossales. Les armements, en raison de la lourdeur des investissements, sont de plus en plus souvent contrôlés par des holdings financiers puissants, qui recherchent le profit donc la productivité. Les exigences du navire grandissent, du fait de son coût : un méthanier peut coûter 100.000 francs de l'heure à son armateur. Le temps de passage à quai, où le navire ne rapporte rien, doit donc être réduit au minimum. Il s'ensuit une pression sur tout le monde maritime et en particulier sur les ports qui, par le jeu de la concurrence, doivent investir massivement pour être les plus rentables et les plus rapides. Le port ne peut plus se reposer sur sa situation pour attirer les trafics, il doit aussi coûter le moins d'argent possible à ses utilisateurs. Il s'ensuit une course à la productivité dictée par les exigences économiques. Le nombre de ports d'escales diminue pour gagner du temps, les ports secondaires ont du mal à attirer les trafics importants et sont de plus en plus destinés au feedering.
- Une modification de la logistique est entraînée à la fois par l'unitisation, les intérêts économiques et la révolution des moyens de communication. On assiste à une régression de la fonction d'entrepôt dans les ports car maintenant les dessertes et les commandes ne sont plus aléatoires ni irrégulières. Aujourd'hui les ports sont un maillon parmi d'autres dans une chaîne logistique de transport plus globale. L'objectif est de transporter les marchandises d'un point à un autre, dans un flot continu, le plus vite et le moins cher possible. Avant, les marchandises étaient engrangées, revendues et redistribuées, le facteur temps ne comptait pratiquement pas, l'entrepôt était la fonction portuaire par excellence. Pour caricaturer, du "port-entrepôt", on dérive vers le "port-couloir" où les cargaisons ne font que passer, et le plus vite possible, au détriment des services autrefois requis par les "divers" (VIGARIE, 1991). De plus, le phénomène est accentué par les technologies nouvelles de gestion de l'information. Les systèmes de contrôle d'acheminement des marchandises sont de plus en plus perfectionnés et proches du temps réel, ce qui diminue le stationnement dans le port donc la valeur ajoutée produite. Cette tendance produit des changements d'organisations et des nouvelles fonctions à assumer pour le port : celui-ci doit privilégier les fonctions dynamiques, transbordement et manutention, liées à un principe d'écoulement permanent de la marchandise, ce qui ne peut se faire en milieu urbain, espace dense et congestionné.
- Les villes ont peu été abordées jusque-là. Cela est dû au fait que, par leur nature et leur structure, elles sont plus complexes et plus longues à réagir aux évolutions extérieures. Le port, plus "plastique", a vu ses activités et ses installations évoluer avec une étonnante rapidité. Mais la ville connaît tout de même de profondes mutations. Les industries ont acquis une nouvelle logique de localisation plus éloignée des centres, indépendamment de l'évolution des transports maritimes. Les anciens quartiers industriels du XIXe et du début du XXe siècle tombent en désuétude, ce processus étant accéléré par la crise économique et la fermeture de nombreux établissements. Des zones industrielles se constituent en dehors des villes (moindre prix du sol, plus d'espace, moins de contraintes). Un net déphasage apparaît entre les zones industrielles (lieu de travail) et les zones d'urbanisation (lieu d'habitat). La tendance générale des villes va vers une ségrégation spatiale de fonctions, une spécialisation et une zonation fonctionnelles.
- Dans les déterminants concourant à la séparation ville/port, Y. HAYUTH prend en compte la pression des populations pour reconquérir l'accès aux berges, motivée par des aspects esthétiques et environnementaux. A Nantes et à Bordeaux, on peut noter l'absence de pression des citoyens en faveur de la délocalisation du port, les deux villes disposant de communautés attachées à leur port et à la grandeur passée. De plus, le phénomène des friches portuaires, contrairement à d'autres pays, apparaît assez tardivement dans un contexte de crise, où l'on essaye de maintenir toute activité économique.
Il s'agit là d'évolutions essentiellement technologiques et économiques, mais lourdes de conséquences spatiales puisque, en quelques dizaines d'années, elles ont engendré l'abandon définitif d'équipements et d'emprises portuaires et industrielles plus ou moins considérables. Les innovations technologiques commandent, pour bon nombre de chercheurs, les grands rythmes de l'histoire économique (cycles de SCHUMPETER, de KONDRATIEFF). Elles sont lisibles dans l'évolution urbaine, chaque phase valorisant des espaces, en dévalorisant d'autres. Il convient, à présent, d'observer les effets de ces processus et comment ils s'expriment dans la réalité, notamment pour Nantes et Bordeaux.
1.1.2. Décrochage progressif de la ville et du port
Il apparaît que le port a de moins en moins besoin de la ville : au regard des impératifs auxquels il doit se soumettre, la ville apparaît comme un obstacle, un foyer d'encombrements. Certains même pensent qu'elle s'avère inutile.
Tous les déterminants précédemment cités conduisent à une progressive ségrégation des organismes urbains et portuaires avec des divergences à plusieurs niveaux : ségrégation spatiale, divergences économiques, fonctionnelles... Partout, le processus, même s'il varie d'un cas à l'autre, est déclenché par des impératifs de nature technologique et économique. Cette délocalisation rompt les équilibres socio-économiques en présence. L'espace devient peu à peu délaissé par les activités portuaires, ce qui laisse un grand vide. L'espace n'a plus de fonction, il n'y a plus de système en présence.
1.1.2.1. Schémas d'évolution spatiale
La délocalisation spatiale des ports, à la recherche d'espace et d'eau profonde, est un phénomène bien connu et il a fait l'objet de nombreuses modélisations.
> L'un des premiers modèles et des plus connus est celui de J. BIRD[5] (1963) qui a construit à partir des ports britanniques, un "modèle" d'évolution qui est devenu classique. Le modèle 'Anyport' prend comme base un estuaire (comme Nantes et Bordeaux) et découpe en six phases l'évolution physique des équipements portuaires. Le port primitif, l'étalement sur une simple ligne de quai (Fosse, Chartrons), la construction de quais marginaux (Prairie au Duc, Queyries), la création de bassin (Bordeaux, Saint-Nazaire), la migration des quais avec postes pétroliers (Donges, Ambès), les terminaux spécialisés (Montoir, Bassens). BIRD n'envisage pas encore le délaissement des équipements et le redéveloppement, mais il remarque que l'adaptation des vieilles installations aux usages modernes pose de gros problèmes.
> B. HOYLE (1988) propose un modèle d'évolution, qui contrairement au précédent est basé sur les relations historiques de la ville et du port (cf. fig. n°3). Deux nouvelles phases apparaissent : celle du retrait du port de la ville et celle du réaménagement de l'interface.
> J. CHARLIER (1992) s'inspirant des deux modèles précédents propose un modèle chrono-spatial de cycle de vie portuaire (cf. fig n°4). Chaque équipement portuaire a une durée de vie au-delà de laquelle il devient inadapté. Ainsi, un équipement donné évoluera en plusieurs étapes: la croissance (création et expansion des équipements), la maturité (le potentiel maximal est atteint), l'obsolescence (on se tourne vers des équipements plus modernes, plus performants avec une meilleure situation), le délaissement (une fois que l'activité portuaire a disparu), le redéveloppement (qui signale le début d'un nouveau cycle économique). Le modèle, détaille les étapes pour cinq localisations (Land) de l'amont vers l'aval et cinq périodes (Time). L'avantage de ce modèle est qu'il est applicable à n'importe quel port car il ne fixe pas de cadre spatial et temporel fixes. L1 correspond à l'évolution du port historique en ville.
- Les capacités de charge augmentant, les rythmes de manutention devaient suivre. Les progrès techniques ont aussi touché les installations portuaires. La mécanisation des engins de manutention permet bien sûr de plus grandes capacités de levage (portiques de 30 tonnes et plus de capacité) mais surtout des vitesses de transbordement beaucoup plus rapides (déchargement ou chargement en continu de vrac solides, rampes roll on / roll off...). Les quantités de marchandises traitées nécessitent en arrière des quais de vastes terre-pleins pour le stockage, le transit et les usines qui utilisent les matières débarquées. Ces grandes aires industrielles ne peuvent être en zone urbanisée pour des raisons d'espace, de cohabitation difficile et de sécurité.
- La cargaison devient de plus en plus rationalisée, pour être plus pratique et rapide à traiter. Les navires et les postes d'amarrages deviennent spécialisés. L'unitisation des marchandises générales, notamment sous la forme de conteneurs normalisés connaît peu à peu une généralisation progressive[4]. L'idée consiste à donner au fret une forme homogène et invariante pour toute la durée de son transport. Cela permet une utilisation rationnelle des cales du navire, une facilité de stockage (gerbage), le transport sur wagons plates-formes et une rapidité de transbordement avec une économie considérable de main-d'oeuvre car une seule boite remplace à elle seule plusieurs palanquées. De plus, ce système assure une sécurité quasi-totale contre les risques de vols et autres calamités. La conteneurisation a nécessité de renouveler les techniques de transport sur terre et sur mer. Les anciens quais et hangars proches des centres villes sont obsolètes pour les recevoir car trop étriqués et de plus les conteneurs n'ont plus besoin de bâtiments pour être stockés. Ils nécessitent des terminaux dégagés (Le Verdon, Montoir) de plusieurs dizaines d'hectares (en moyenne, un porte-conteneurs de la troisième génération, demande 8 à 9 hectares en arrière du quai).
- Bien qu'il reste le mode de transport le plus économique, le transport maritime n'est plus aussi privilégié. Avec le développement du chemin de fer, le couple train/bateau a longtemps constitué le mode de transport caractéristique pendant la période industrielle du XIXe siècle et du début du XXe. Aujourd'hui, le transport de marchandises par camions est très utilisé car plus rapide et plus flexible. Les grandes aires ferroviaires le plus souvent liées au port sont elles aussi de plus en plus délaissées (Gare d'Orléans à Bordeaux, Gare de l'Etat à Nantes). Pour les passagers, la route mais aussi, pour les longues distances, les transports aériens ont engendré un effondrement des trafics passagers à longue distance et notamment des traversées transatlantiques (disparition des cargos de ligne en 1965 à Bordeaux), ce qui rend obsolète les anciennes gares maritimes de Nantes et surtout de Bordeaux.
Tous ces facteurs d'ordre technique ne se sont pas mis en place naturellement. L'existence de moyens ne suffit pas, il a fallu qu'ils soient conçus, adoptés et améliorés en fonction d'impératifs d'ordre économique. Tout cela a des répercussions sur l'organisme portuaire, qui est modelé par une logique technique requise par des exigences économiques. On recherche l'efficacité technique maximale, afin de baisser au maximum la distance/temps et la distance/coût. Le port doit répondre aux exigences de la marchandise.
1.1.1.2. Nouvelles exigences économiques
Certaines évolutions plus globales, parfois moins spécifiquement liées au monde maritime, sont lourdes de conséquences. Le fonctionnement des ports est directement influencé par le contexte économique.
- Depuis les années 1970, une nouvelle ère économique a débuté : celle d'une période de stagnation voire de crise mais aussi celle du libre-échangisme et de la mondialisation des échanges, facilités par la révolution des transports. Tout d'abord, c'est la fin de la prédominance européenne et atlantique, de nouveaux pôles très puissants voient le jour du côté du Pacifique. Les routes maritimes se modifient, les relations privilégiées des ports évoluent, ceux-ci perdent peu à peu le contrôle sur leurs trafics. Les stratégies économiques sont pensées à l'échelle planétaire, les décisions ne sont plus prises au niveau local. Le port, porte ouverte sur le monde, est directement mis en concurrence avec celui-ci.
Dans les pays développés, ce contexte économique s'est accompagné d'une tendance lourde à la désindustrialisation. Au niveau mondial, c'est l'éclatement de l'espace industriel et la concentration des places financières. Dans les pays développés, c'est l'hégémonie du secteur tertiaire, l'ère des services et de l'information qui produisent plus de richesses que la production industrielle. Le déclin du secteur secondaire s'accompagne de nombreuses fermetures d'usines. Les industries doivent s'adapter à de nouvelles concurrences (pays en développement où la production coûte moins cher), à de nouvelles demandes et à une lourde crise. A Nantes et Bordeaux, de nombreuses industries ont disparu, après de nombreuses réadaptations et restructurations : chantiers navals, métallurgie... L'économie des villes portuaires se tourne plus vers le secteur tertiaire, celles-ci sont moins dépendantes de l'activité portuaire et se tournent plutôt vers l'intérieur où elles sont intégrées dans un réseau "continental" (Région, Etat, Europe) où elles doivent se positionner et asseoir leur zone d'influence.
- L'énormité du prix des nouveaux navires conduit à des dépenses colossales. Les armements, en raison de la lourdeur des investissements, sont de plus en plus souvent contrôlés par des holdings financiers puissants, qui recherchent le profit donc la productivité. Les exigences du navire grandissent, du fait de son coût : un méthanier peut coûter 100.000 francs de l'heure à son armateur. Le temps de passage à quai, où le navire ne rapporte rien, doit donc être réduit au minimum. Il s'ensuit une pression sur tout le monde maritime et en particulier sur les ports qui, par le jeu de la concurrence, doivent investir massivement pour être les plus rentables et les plus rapides. Le port ne peut plus se reposer sur sa situation pour attirer les trafics, il doit aussi coûter le moins d'argent possible à ses utilisateurs. Il s'ensuit une course à la productivité dictée par les exigences économiques. Le nombre de ports d'escales diminue pour gagner du temps, les ports secondaires ont du mal à attirer les trafics importants et sont de plus en plus destinés au feedering.
- Une modification de la logistique est entraînée à la fois par l'unitisation, les intérêts économiques et la révolution des moyens de communication. On assiste à une régression de la fonction d'entrepôt dans les ports car maintenant les dessertes et les commandes ne sont plus aléatoires ni irrégulières. Aujourd'hui les ports sont un maillon parmi d'autres dans une chaîne logistique de transport plus globale. L'objectif est de transporter les marchandises d'un point à un autre, dans un flot continu, le plus vite et le moins cher possible. Avant, les marchandises étaient engrangées, revendues et redistribuées, le facteur temps ne comptait pratiquement pas, l'entrepôt était la fonction portuaire par excellence. Pour caricaturer, du "port-entrepôt", on dérive vers le "port-couloir" où les cargaisons ne font que passer, et le plus vite possible, au détriment des services autrefois requis par les "divers" (VIGARIE, 1991). De plus, le phénomène est accentué par les technologies nouvelles de gestion de l'information. Les systèmes de contrôle d'acheminement des marchandises sont de plus en plus perfectionnés et proches du temps réel, ce qui diminue le stationnement dans le port donc la valeur ajoutée produite. Cette tendance produit des changements d'organisations et des nouvelles fonctions à assumer pour le port : celui-ci doit privilégier les fonctions dynamiques, transbordement et manutention, liées à un principe d'écoulement permanent de la marchandise, ce qui ne peut se faire en milieu urbain, espace dense et congestionné.
- Les villes ont peu été abordées jusque-là. Cela est dû au fait que, par leur nature et leur structure, elles sont plus complexes et plus longues à réagir aux évolutions extérieures. Le port, plus "plastique", a vu ses activités et ses installations évoluer avec une étonnante rapidité. Mais la ville connaît tout de même de profondes mutations. Les industries ont acquis une nouvelle logique de localisation plus éloignée des centres, indépendamment de l'évolution des transports maritimes. Les anciens quartiers industriels du XIXe et du début du XXe siècle tombent en désuétude, ce processus étant accéléré par la crise économique et la fermeture de nombreux établissements. Des zones industrielles se constituent en dehors des villes (moindre prix du sol, plus d'espace, moins de contraintes). Un net déphasage apparaît entre les zones industrielles (lieu de travail) et les zones d'urbanisation (lieu d'habitat). La tendance générale des villes va vers une ségrégation spatiale de fonctions, une spécialisation et une zonation fonctionnelles.
- Dans les déterminants concourant à la séparation ville/port, Y. HAYUTH prend en compte la pression des populations pour reconquérir l'accès aux berges, motivée par des aspects esthétiques et environnementaux. A Nantes et à Bordeaux, on peut noter l'absence de pression des citoyens en faveur de la délocalisation du port, les deux villes disposant de communautés attachées à leur port et à la grandeur passée. De plus, le phénomène des friches portuaires, contrairement à d'autres pays, apparaît assez tardivement dans un contexte de crise, où l'on essaye de maintenir toute activité économique.
Il s'agit là d'évolutions essentiellement technologiques et économiques, mais lourdes de conséquences spatiales puisque, en quelques dizaines d'années, elles ont engendré l'abandon définitif d'équipements et d'emprises portuaires et industrielles plus ou moins considérables. Les innovations technologiques commandent, pour bon nombre de chercheurs, les grands rythmes de l'histoire économique (cycles de SCHUMPETER, de KONDRATIEFF). Elles sont lisibles dans l'évolution urbaine, chaque phase valorisant des espaces, en dévalorisant d'autres. Il convient, à présent, d'observer les effets de ces processus et comment ils s'expriment dans la réalité, notamment pour Nantes et Bordeaux.
1.1.2. Décrochage progressif de la ville et du port
Il apparaît que le port a de moins en moins besoin de la ville : au regard des impératifs auxquels il doit se soumettre, la ville apparaît comme un obstacle, un foyer d'encombrements. Certains même pensent qu'elle s'avère inutile.
Tous les déterminants précédemment cités conduisent à une progressive ségrégation des organismes urbains et portuaires avec des divergences à plusieurs niveaux : ségrégation spatiale, divergences économiques, fonctionnelles... Partout, le processus, même s'il varie d'un cas à l'autre, est déclenché par des impératifs de nature technologique et économique. Cette délocalisation rompt les équilibres socio-économiques en présence. L'espace devient peu à peu délaissé par les activités portuaires, ce qui laisse un grand vide. L'espace n'a plus de fonction, il n'y a plus de système en présence.
1.1.2.1. Schémas d'évolution spatiale
La délocalisation spatiale des ports, à la recherche d'espace et d'eau profonde, est un phénomène bien connu et il a fait l'objet de nombreuses modélisations.
> L'un des premiers modèles et des plus connus est celui de J. BIRD[5] (1963) qui a construit à partir des ports britanniques, un "modèle" d'évolution qui est devenu classique. Le modèle 'Anyport' prend comme base un estuaire (comme Nantes et Bordeaux) et découpe en six phases l'évolution physique des équipements portuaires. Le port primitif, l'étalement sur une simple ligne de quai (Fosse, Chartrons), la construction de quais marginaux (Prairie au Duc, Queyries), la création de bassin (Bordeaux, Saint-Nazaire), la migration des quais avec postes pétroliers (Donges, Ambès), les terminaux spécialisés (Montoir, Bassens). BIRD n'envisage pas encore le délaissement des équipements et le redéveloppement, mais il remarque que l'adaptation des vieilles installations aux usages modernes pose de gros problèmes.
> B. HOYLE (1988) propose un modèle d'évolution, qui contrairement au précédent est basé sur les relations historiques de la ville et du port (cf. fig. n°3). Deux nouvelles phases apparaissent : celle du retrait du port de la ville et celle du réaménagement de l'interface.
> J. CHARLIER (1992) s'inspirant des deux modèles précédents propose un modèle chrono-spatial de cycle de vie portuaire (cf. fig n°4). Chaque équipement portuaire a une durée de vie au-delà de laquelle il devient inadapté. Ainsi, un équipement donné évoluera en plusieurs étapes: la croissance (création et expansion des équipements), la maturité (le potentiel maximal est atteint), l'obsolescence (on se tourne vers des équipements plus modernes, plus performants avec une meilleure situation), le délaissement (une fois que l'activité portuaire a disparu), le redéveloppement (qui signale le début d'un nouveau cycle économique). Le modèle, détaille les étapes pour cinq localisations (Land) de l'amont vers l'aval et cinq périodes (Time). L'avantage de ce modèle est qu'il est applicable à n'importe quel port car il ne fixe pas de cadre spatial et temporel fixes. L1 correspond à l'évolution du port historique en ville.
Figure n°3 : Modèle d'évolution de B. HOYLE
Figure n°4 : modèle chrono-spatial de cycle de vie portuaire de J. CHARLIER
Ces modèles, appliqués aux ports de Nantes et de Bordeaux, vont permettre l'étude de leurs différentes étapes d'évolution et leur progressive délocalisation en aval.
- Le port primitif : Le port est né avec la ville, il ne pouvait exister l'un sans l'autre. Le noyau portuaire était confondu avec le centre-ville. Nantes et Bordeaux se sont développées en relation directe avec le trafic fluvial et maritime. Avec le développement des activités, le port s'étale hors des enceintes de la ville : c'est le quai de la Fosse à Nantes et des Chartrons à Bordeaux qui connaîtront leur heure de gloire au XVIIIe siècle, époque où les deux ports ont connu une activité intense, se répercutant sur le développement urbain. A Bordeaux, l'intensité du trafic avait étonné STENDHAL: "Il eut été impossible de tendre une corde d'un bout à l'autre sans passer sur un navire". Sur ces quais, on trouve les hôtels d'armateurs et le quartier maritime populaire. L'activité de la ville était intimement liée au port. Cette grandeur est aujourd'hui nostalgique.
- La poussée industrielle du XIXe siècle : Les ports connaissent peu à peu le développement des activités industrielles. Il faut de nouveaux espaces, on construit donc de nouveaux quais. A Nantes, l'activité atteint peu à peu le prolongement de la Fosse vers Chantenay. Au XIXe siècle, c'est là que se développent les industries en liaison avec le trafic maritime. En 1793, c'est le point de départ avec les Chantiers Crucy, et en 1830, on y compte déjà quatorze chantiers de construction navale puis viendront des conserveries, des rizeries, des raffineries de sucre, etc. Mais, cela devient vite insuffisant et on s'intéresse aussi aux espaces libres de l'autre côté du bras de la Madeleine : la Prairie au Duc. Le projet envisagé en 1720, maintes fois repris et abandonné, ne voit le jour qu'en 1842 grâce à l'armateur PELLOUTIER qui crée une voie fluviale privée dans ses terrains. Le canal alimente des bâtiments industriels tels que la fonderie Voruz, les entrepôts à engrais. De nombreux chantiers navals vont profiter de l'espace offert pour construire leurs cales de lancement. A Bordeaux, on regarde vers la rive droite. Le Pont de Pierre est achevé en 1822, le faubourg industriel de la Bastide se développe peu à peu. En 1864, les docks Sursol s'installent sur la rive droite, puis en 1888, la Chambre de Commerce construit une estacade. C'est là que se fixent des usines chimiques et l'essentiel de l'activité charbonnière.
Outre les contraintes spatiales, une autre difficulté est celle de l'accès au port, qui dès le XIXe siècle pose des problèmes. En 1856, c'est la création d'un bassin à flot à Saint-Nazaire, transformé en port de vitesse, ce qui sanctionne le handicap du port de Nantes. Pour les deux ports, des projets de canaux (de Grattequina à Bordeaux, de la Martinière à Nantes) et de bassins à flots (T. DOBREE à Nantes) sont proposés pour remédier au problème. A Bordeaux, un bassin à flot sera inauguré en 1879, puis un autre en 1912, un peu en aval des quais sur la rive gauche.
- Le début de l'obsolescence et la migration vers l'aval : Les accès aux ports posent de plus en plus de problèmes, après l'échec ou l'abandon des projets de canaux, on cherche à améliorer les chenaux fluviaux au moyen de dragages. A Nantes, la baisse du niveau d'étiage engendrée a des effets sur les fondations des quais : en 1911, une partie du quai Ernest Renaud s'effondre, puis le quai Magellan en 1923. A partir de 1926, ce sera le comblement d'une partie des bras de la Loire et de l'Erdre. Sous les pressions extérieures, le port s'éloigne de plus en plus de la ville. Il migre vers l'aval, mais aussi se coupe du tissu urbain. Les rapports ville/port commencent déjà à devenir de plus en plus tendus. Notamment à Bordeaux, où dès 1924, le Port devient Autonome, échappant à la tutelle de la Chambre de Commerce, et décide la construction de hangars et l'installation de grilles, pour des raisons douanières et sécuritaires, sur les quais de la rive gauche. Le mécontentement se fait sentir, les hangars sont accusés de défigurer la façade des Chartrons. La coupure ville/port est amorcée. Julien GRACQ, qui avait gardé la vision du port de Nantes des années 1920, en témoigne :
"Tout de suite après le nouveau pont Anne de Bretagne, commence le port. Il était autrefois d'un accès plus facile pour le piéton, et, me semble-t-il, beaucoup plus directement lié à la vie de la cité. Passé la ligne de chemin de fer, la promenade sur les pavés inégaux du quai de la Fosse, entre les rails des grues mobiles, était une excursion exotique, odorante, parmi les bois coloniaux, les régimes de bananes, les sacs de café, de sucre et de cacao. Tout cet ancien trafic à l'air libre se cache maintenant derrière des parois de tôle, dans un foisonnement de hangars et de magasins qui bordent directement le fleuve et en barrent l'accès[6]".
Parallèlement, les installations se développent en aval. Entre les deux guerres, elles resteront minimes. Pendant les années 1930, c'est la construction d'un môle d'escale au Verdon, d'une petite raffinerie à Donges et à Ambès (respectivement 140.000 et 250.000 t/an de capacité), d'un parc à bois à Bassens... Après la guerre, le redémarrage économique, les évolutions techniques motivent le développement en aval. Le gigantisme naval a entraîné l'effondrement du coût de transport des matières premières et énergétiques ce qui a provoqué une poussée d'industrialisation littorale. Les années 1960 marquent la création des Zones industrialo-portuaires (Z.I.P.), qui en France, ont essentiellement un rôle national d'approvisionnement énergétique. Celles-ci ont besoin d'espaces énormes et d'eau profonde, on recherche le contact direct du bateau avec l'usine. Donges et Ambès sont destinés au pétrole et au raffinage (à Donges 10 MT/an de capacité de raffinage). Dans les années 1970, le C.I.A.T.[7] décide la construction d'installations à Montoir, qui va abriter des terminaux performants : terminal méthanier, conteneurs... Au Verdon, un quai à conteneurs ouvre en 1976.
Cette forte mobilisation des ressources et des énergies autour de ces projets de Z.I.P. a eu pour conséquence directe un manque d'attention envers les parties les plus anciennes, ce qui accélère encore plus leur déclin.
- Le port actuel et son progressif retrait des villes : Les installations continuent de se développer et de se moderniser en aval. A Nantes, les anciens équipements dans le bras de la Madeleine sont peu à peu délaissés, les chantiers navals ferment en 1987, de nombreux quais sont hors-service, mais des zones actives subsistent encore. A Bordeaux, le retrait est beaucoup plus prononcé. Dans les années 1980, la zone portuaire de la rive gauche est déclassée par tranches : les bassins à flot en 1982, les quais jusqu'au hangar 15 inclus en 1984, jusqu'à l'abandon ultime : le dernier navire de ligne à y faire escale sera le Yopougon le 9 avril 1987. L'outillage, les grues, les installations électriques sont enlevés. Plus rien n'est entretenu, car l'utilité a disparu. Le paysage commence à en souffrir, les bâtiments commencent à rouiller, c'est l'apparition des friches portuaires.
Mais les ports n'ont pas complètement déserté les villes. Cette délocalisation est à pondérer. En ce qui concerne les activités tertiaires liées au port, on observe qu'elles restent souvent en place et sont peu délocalisées. Bien sûr certains services, qui doivent être près des marchandises (douanes, transitaires...) sont contraints à la suivre. Mais pour le reste (direction des ports, compagnies...) le maintien en milieu urbain semble être la règle, comme le remarque, L. SEASSARO[8] qui établit une distinction entre des fonctions matérielles "hard" de l'activité portuaire, se délocalisant et des fonctions immatérielles "soft" constituant le "tertiaire portuaire", qui restent liées à un environnement "continental" comme le secteur bancaire et les assurances. Ainsi, Bordeaux abrite la direction du P.A.B. et la capitainerie; à Nantes, le bras de la Madeleine concentre encore le siège du Port Autonome, des bureaux de sociétés portuaires, l'Ecole Nationale de la Marine Marchande.
Il faut donc nuancer la rupture entre le port et la ville, d'autant que l'activité existe toujours, notamment à Nantes dont le chenal d'accès est entretenu et permet à des navires calant jusqu'à 9 mètres (25.000 TPL) d'arriver dans la ville. L'attitude du Port autonome est de conserver sur Nantes les trafics compatibles avec les possibilités de calaison et les structures économiques nantaises. Les sites ont changé et se trouvent surtout dans la partie Ouest (Cheviré, Roche-Maurice) mais le quai Wilson, en plein centre d'agglomération, abrite toujours un petit trafic (cf. § 1.3.2.2. p:56). Nantes représente environ 10 % du total en poids du Port Autonome avec un tonnage qui se stabilise autour de 2,5 M.T., dont une forte proportion de divers. En 1995, Nantes a reçu 537 navires. A Bordeaux, l'activité est quasiment inexistante. Sur la rive droite le quai des Queyries conserve un petit trafic et sur la rive gauche, seuls restent actifs quatre postes à quai, à l'amont, entre la place des Quinconces et le Pont de Pierre car le tirant d'eau y est meilleur du fait de l'autocurage du lit. Cette zone est utilisée pour des activités maritimes épisodiques notamment la croisière (cf. § 1.3.2.2. p:54).
1.1.2.2. Divergences fonctionnelles
Le décrochage de la ville et du port n'est pas uniquement d'ordre spatial. Les facteurs technologiques et économiques ont aussi entraîné des divergences de fonctionnement, d'organisation. Celles-ci n'ont pas d'effets spatiaux directs, mais ont tout de même leur importance puisqu'elles ont parfois accéléré le retrait du port et provoqué la défaillance du système. De plus, elles sont à signaler puisqu'elles ont une influence sur la probable réappropriation de ces espaces.
- Les fonctions portuaires et les fonctions urbaines ont longtemps cohabité sans problème. Le commerce et le négoce s'intégraient bien dans la ville. Au XIXe siècle, le progrès de la fonction industrielle du port a provoqué une première scission fonctionnelle. Mais le port constituait encore un espace multi-fonctionnel de négoce, de transport, de production en accord avec la ville. Plus récemment, les exigences logistiques ont mis le port face à de nouvelles fonctions. Des efforts ont été entrepris pour réduire le temps et les coûts de passage. Le port doit tendre à devenir l'équivalent d'un pont ou d'une route et de moins en moins un centre d'activités (HOYLE, 1988). Cette simplification dans la chaîne logistique accentue la fonction de transport et en fait une fonction dominante, quasi-unique ce qui l'éloigne encore plus de la ville. L'espace portuaire tend à devenir homogène et technique et ainsi entre en opposition avec la diversité et le "désordre" de l'espace urbain.
- Le port joue un rôle moindre dans le fonctionnement économique de la ville : la réduction des activités traditionnelles comme l'entrepôt et la course à la productivité ont engendré une réduction de la force de travail. Y. HAYUTH souligne cette tendance : "The great increases (...) to port productivity turned port operation from a labour-intensive venture to a capital-intensive industry[9]". Dans les années 1920, on estime que le port et les chantiers navals à Nantes employaient environ 40.000 personnes. En 1988, il n'y avait environ que 1.700 emplois directs dans tout l'estuaire de la Loire (soit moins de 1% de la population active). Mais l'impact économique de la présence du Port Autonome se ressent tout de même par un effet indirect d'entraînement sur l'industrie et les services locaux. En 1988, cela pouvait se traduire par 8 milliards de francs de valeur ajoutée (dont 6.7 milliards provenant des retombées industrielles) et autour de 15.000 emplois induits[10]. Pour Bordeaux, on estime que le port génère directement et surtout indirectement, 8% du bassin d'emploi bordelais[11].
Le port est tourné vers la mer, l'international, tandis que la ville s'en est détournée pour regarder son territoire et le gérer selon des intérêts locaux. L'économie des villes est plus orientée vers le secteur tertiaire, le nombre d'entreprises dépendantes de l'activité maritime a diminué. Le port qui était avant le moteur du développement économique de la cité, n'est devenu qu'un élément parmi d'autres. Aujourd'hui, le développement de la ville dépend moins de ses liens maritimes que de sa place dans une économie régionale ou nationale.
- D'un point de vue institutionnel, en France, la tendance majeure a été une intervention quasi-absolue de l'Etat. La loi "Laval" du 29 juin 1965 débouche sur la création des Ports Autonomes. Ce statut a engendré une rupture avec les autorités locales et un désintérêt des milieux financiers locaux. Avec les Ports Autonomes, l'Etat dépossède la ville de la maîtrise de son développement maritime. L'Etat a le contrôle des investissements et de la politique portuaire qui dépendent plus d'intérêts nationaux que locaux, et a tendance à assigner les ports a un rôle d'approvisionnement qui freine toute perspective commerciale. Les acteurs économiques privés et urbains n'influent plus directement sur le port, les bourgeoisies locales qui, dans le passé, animaient les flottes et les marchés ont disparu. Les sociétés d'armement et les opérateurs de transport s'imposent et les contrôles étatiques dépersonnalisent les capitaux et rompent les rapports avec la ville.
1.1.2.3. Image mentale
La délocalisation spatiale et les rapides changements dans le fonctionnement des ports ont provoqué une rupture dans la perception de l'activité portuaire par les habitants de la ville, notamment les plus âgés, qui ont conservé une image du passé, entretenue par la littérature, la photographie et le cinéma qui portent des images dépassées. Aujourd'hui, le port est souvent considéré en déclin voire comme mort (cf. fig. n°5). L'image portuaire qu'ils ont sous les yeux se résume le plus souvent à des friches, à des quais désertés en ruines. Les habitants ont peu conscience du fonctionnement des ports actuels. Les bateaux se font de plus en plus rares (ils restent moins longtemps à quais), les Z.I.P. et les nouveaux terminaux sont éloignés et inaccessibles. Les ports pendant longtemps n'ont fait aucun effort pour faire comprendre aux populations leur fonctionnement, notamment en France, où ceux-ci constituaient une affaire d'Etat sans lien avec le public (certains Nantais passant près des ferrailles entreposées quai Wilson croient que c'est une décharge à ordures !).
- Le port primitif : Le port est né avec la ville, il ne pouvait exister l'un sans l'autre. Le noyau portuaire était confondu avec le centre-ville. Nantes et Bordeaux se sont développées en relation directe avec le trafic fluvial et maritime. Avec le développement des activités, le port s'étale hors des enceintes de la ville : c'est le quai de la Fosse à Nantes et des Chartrons à Bordeaux qui connaîtront leur heure de gloire au XVIIIe siècle, époque où les deux ports ont connu une activité intense, se répercutant sur le développement urbain. A Bordeaux, l'intensité du trafic avait étonné STENDHAL: "Il eut été impossible de tendre une corde d'un bout à l'autre sans passer sur un navire". Sur ces quais, on trouve les hôtels d'armateurs et le quartier maritime populaire. L'activité de la ville était intimement liée au port. Cette grandeur est aujourd'hui nostalgique.
- La poussée industrielle du XIXe siècle : Les ports connaissent peu à peu le développement des activités industrielles. Il faut de nouveaux espaces, on construit donc de nouveaux quais. A Nantes, l'activité atteint peu à peu le prolongement de la Fosse vers Chantenay. Au XIXe siècle, c'est là que se développent les industries en liaison avec le trafic maritime. En 1793, c'est le point de départ avec les Chantiers Crucy, et en 1830, on y compte déjà quatorze chantiers de construction navale puis viendront des conserveries, des rizeries, des raffineries de sucre, etc. Mais, cela devient vite insuffisant et on s'intéresse aussi aux espaces libres de l'autre côté du bras de la Madeleine : la Prairie au Duc. Le projet envisagé en 1720, maintes fois repris et abandonné, ne voit le jour qu'en 1842 grâce à l'armateur PELLOUTIER qui crée une voie fluviale privée dans ses terrains. Le canal alimente des bâtiments industriels tels que la fonderie Voruz, les entrepôts à engrais. De nombreux chantiers navals vont profiter de l'espace offert pour construire leurs cales de lancement. A Bordeaux, on regarde vers la rive droite. Le Pont de Pierre est achevé en 1822, le faubourg industriel de la Bastide se développe peu à peu. En 1864, les docks Sursol s'installent sur la rive droite, puis en 1888, la Chambre de Commerce construit une estacade. C'est là que se fixent des usines chimiques et l'essentiel de l'activité charbonnière.
Outre les contraintes spatiales, une autre difficulté est celle de l'accès au port, qui dès le XIXe siècle pose des problèmes. En 1856, c'est la création d'un bassin à flot à Saint-Nazaire, transformé en port de vitesse, ce qui sanctionne le handicap du port de Nantes. Pour les deux ports, des projets de canaux (de Grattequina à Bordeaux, de la Martinière à Nantes) et de bassins à flots (T. DOBREE à Nantes) sont proposés pour remédier au problème. A Bordeaux, un bassin à flot sera inauguré en 1879, puis un autre en 1912, un peu en aval des quais sur la rive gauche.
- Le début de l'obsolescence et la migration vers l'aval : Les accès aux ports posent de plus en plus de problèmes, après l'échec ou l'abandon des projets de canaux, on cherche à améliorer les chenaux fluviaux au moyen de dragages. A Nantes, la baisse du niveau d'étiage engendrée a des effets sur les fondations des quais : en 1911, une partie du quai Ernest Renaud s'effondre, puis le quai Magellan en 1923. A partir de 1926, ce sera le comblement d'une partie des bras de la Loire et de l'Erdre. Sous les pressions extérieures, le port s'éloigne de plus en plus de la ville. Il migre vers l'aval, mais aussi se coupe du tissu urbain. Les rapports ville/port commencent déjà à devenir de plus en plus tendus. Notamment à Bordeaux, où dès 1924, le Port devient Autonome, échappant à la tutelle de la Chambre de Commerce, et décide la construction de hangars et l'installation de grilles, pour des raisons douanières et sécuritaires, sur les quais de la rive gauche. Le mécontentement se fait sentir, les hangars sont accusés de défigurer la façade des Chartrons. La coupure ville/port est amorcée. Julien GRACQ, qui avait gardé la vision du port de Nantes des années 1920, en témoigne :
"Tout de suite après le nouveau pont Anne de Bretagne, commence le port. Il était autrefois d'un accès plus facile pour le piéton, et, me semble-t-il, beaucoup plus directement lié à la vie de la cité. Passé la ligne de chemin de fer, la promenade sur les pavés inégaux du quai de la Fosse, entre les rails des grues mobiles, était une excursion exotique, odorante, parmi les bois coloniaux, les régimes de bananes, les sacs de café, de sucre et de cacao. Tout cet ancien trafic à l'air libre se cache maintenant derrière des parois de tôle, dans un foisonnement de hangars et de magasins qui bordent directement le fleuve et en barrent l'accès[6]".
Parallèlement, les installations se développent en aval. Entre les deux guerres, elles resteront minimes. Pendant les années 1930, c'est la construction d'un môle d'escale au Verdon, d'une petite raffinerie à Donges et à Ambès (respectivement 140.000 et 250.000 t/an de capacité), d'un parc à bois à Bassens... Après la guerre, le redémarrage économique, les évolutions techniques motivent le développement en aval. Le gigantisme naval a entraîné l'effondrement du coût de transport des matières premières et énergétiques ce qui a provoqué une poussée d'industrialisation littorale. Les années 1960 marquent la création des Zones industrialo-portuaires (Z.I.P.), qui en France, ont essentiellement un rôle national d'approvisionnement énergétique. Celles-ci ont besoin d'espaces énormes et d'eau profonde, on recherche le contact direct du bateau avec l'usine. Donges et Ambès sont destinés au pétrole et au raffinage (à Donges 10 MT/an de capacité de raffinage). Dans les années 1970, le C.I.A.T.[7] décide la construction d'installations à Montoir, qui va abriter des terminaux performants : terminal méthanier, conteneurs... Au Verdon, un quai à conteneurs ouvre en 1976.
Cette forte mobilisation des ressources et des énergies autour de ces projets de Z.I.P. a eu pour conséquence directe un manque d'attention envers les parties les plus anciennes, ce qui accélère encore plus leur déclin.
- Le port actuel et son progressif retrait des villes : Les installations continuent de se développer et de se moderniser en aval. A Nantes, les anciens équipements dans le bras de la Madeleine sont peu à peu délaissés, les chantiers navals ferment en 1987, de nombreux quais sont hors-service, mais des zones actives subsistent encore. A Bordeaux, le retrait est beaucoup plus prononcé. Dans les années 1980, la zone portuaire de la rive gauche est déclassée par tranches : les bassins à flot en 1982, les quais jusqu'au hangar 15 inclus en 1984, jusqu'à l'abandon ultime : le dernier navire de ligne à y faire escale sera le Yopougon le 9 avril 1987. L'outillage, les grues, les installations électriques sont enlevés. Plus rien n'est entretenu, car l'utilité a disparu. Le paysage commence à en souffrir, les bâtiments commencent à rouiller, c'est l'apparition des friches portuaires.
Mais les ports n'ont pas complètement déserté les villes. Cette délocalisation est à pondérer. En ce qui concerne les activités tertiaires liées au port, on observe qu'elles restent souvent en place et sont peu délocalisées. Bien sûr certains services, qui doivent être près des marchandises (douanes, transitaires...) sont contraints à la suivre. Mais pour le reste (direction des ports, compagnies...) le maintien en milieu urbain semble être la règle, comme le remarque, L. SEASSARO[8] qui établit une distinction entre des fonctions matérielles "hard" de l'activité portuaire, se délocalisant et des fonctions immatérielles "soft" constituant le "tertiaire portuaire", qui restent liées à un environnement "continental" comme le secteur bancaire et les assurances. Ainsi, Bordeaux abrite la direction du P.A.B. et la capitainerie; à Nantes, le bras de la Madeleine concentre encore le siège du Port Autonome, des bureaux de sociétés portuaires, l'Ecole Nationale de la Marine Marchande.
Il faut donc nuancer la rupture entre le port et la ville, d'autant que l'activité existe toujours, notamment à Nantes dont le chenal d'accès est entretenu et permet à des navires calant jusqu'à 9 mètres (25.000 TPL) d'arriver dans la ville. L'attitude du Port autonome est de conserver sur Nantes les trafics compatibles avec les possibilités de calaison et les structures économiques nantaises. Les sites ont changé et se trouvent surtout dans la partie Ouest (Cheviré, Roche-Maurice) mais le quai Wilson, en plein centre d'agglomération, abrite toujours un petit trafic (cf. § 1.3.2.2. p:56). Nantes représente environ 10 % du total en poids du Port Autonome avec un tonnage qui se stabilise autour de 2,5 M.T., dont une forte proportion de divers. En 1995, Nantes a reçu 537 navires. A Bordeaux, l'activité est quasiment inexistante. Sur la rive droite le quai des Queyries conserve un petit trafic et sur la rive gauche, seuls restent actifs quatre postes à quai, à l'amont, entre la place des Quinconces et le Pont de Pierre car le tirant d'eau y est meilleur du fait de l'autocurage du lit. Cette zone est utilisée pour des activités maritimes épisodiques notamment la croisière (cf. § 1.3.2.2. p:54).
1.1.2.2. Divergences fonctionnelles
Le décrochage de la ville et du port n'est pas uniquement d'ordre spatial. Les facteurs technologiques et économiques ont aussi entraîné des divergences de fonctionnement, d'organisation. Celles-ci n'ont pas d'effets spatiaux directs, mais ont tout de même leur importance puisqu'elles ont parfois accéléré le retrait du port et provoqué la défaillance du système. De plus, elles sont à signaler puisqu'elles ont une influence sur la probable réappropriation de ces espaces.
- Les fonctions portuaires et les fonctions urbaines ont longtemps cohabité sans problème. Le commerce et le négoce s'intégraient bien dans la ville. Au XIXe siècle, le progrès de la fonction industrielle du port a provoqué une première scission fonctionnelle. Mais le port constituait encore un espace multi-fonctionnel de négoce, de transport, de production en accord avec la ville. Plus récemment, les exigences logistiques ont mis le port face à de nouvelles fonctions. Des efforts ont été entrepris pour réduire le temps et les coûts de passage. Le port doit tendre à devenir l'équivalent d'un pont ou d'une route et de moins en moins un centre d'activités (HOYLE, 1988). Cette simplification dans la chaîne logistique accentue la fonction de transport et en fait une fonction dominante, quasi-unique ce qui l'éloigne encore plus de la ville. L'espace portuaire tend à devenir homogène et technique et ainsi entre en opposition avec la diversité et le "désordre" de l'espace urbain.
- Le port joue un rôle moindre dans le fonctionnement économique de la ville : la réduction des activités traditionnelles comme l'entrepôt et la course à la productivité ont engendré une réduction de la force de travail. Y. HAYUTH souligne cette tendance : "The great increases (...) to port productivity turned port operation from a labour-intensive venture to a capital-intensive industry[9]". Dans les années 1920, on estime que le port et les chantiers navals à Nantes employaient environ 40.000 personnes. En 1988, il n'y avait environ que 1.700 emplois directs dans tout l'estuaire de la Loire (soit moins de 1% de la population active). Mais l'impact économique de la présence du Port Autonome se ressent tout de même par un effet indirect d'entraînement sur l'industrie et les services locaux. En 1988, cela pouvait se traduire par 8 milliards de francs de valeur ajoutée (dont 6.7 milliards provenant des retombées industrielles) et autour de 15.000 emplois induits[10]. Pour Bordeaux, on estime que le port génère directement et surtout indirectement, 8% du bassin d'emploi bordelais[11].
Le port est tourné vers la mer, l'international, tandis que la ville s'en est détournée pour regarder son territoire et le gérer selon des intérêts locaux. L'économie des villes est plus orientée vers le secteur tertiaire, le nombre d'entreprises dépendantes de l'activité maritime a diminué. Le port qui était avant le moteur du développement économique de la cité, n'est devenu qu'un élément parmi d'autres. Aujourd'hui, le développement de la ville dépend moins de ses liens maritimes que de sa place dans une économie régionale ou nationale.
- D'un point de vue institutionnel, en France, la tendance majeure a été une intervention quasi-absolue de l'Etat. La loi "Laval" du 29 juin 1965 débouche sur la création des Ports Autonomes. Ce statut a engendré une rupture avec les autorités locales et un désintérêt des milieux financiers locaux. Avec les Ports Autonomes, l'Etat dépossède la ville de la maîtrise de son développement maritime. L'Etat a le contrôle des investissements et de la politique portuaire qui dépendent plus d'intérêts nationaux que locaux, et a tendance à assigner les ports a un rôle d'approvisionnement qui freine toute perspective commerciale. Les acteurs économiques privés et urbains n'influent plus directement sur le port, les bourgeoisies locales qui, dans le passé, animaient les flottes et les marchés ont disparu. Les sociétés d'armement et les opérateurs de transport s'imposent et les contrôles étatiques dépersonnalisent les capitaux et rompent les rapports avec la ville.
1.1.2.3. Image mentale
La délocalisation spatiale et les rapides changements dans le fonctionnement des ports ont provoqué une rupture dans la perception de l'activité portuaire par les habitants de la ville, notamment les plus âgés, qui ont conservé une image du passé, entretenue par la littérature, la photographie et le cinéma qui portent des images dépassées. Aujourd'hui, le port est souvent considéré en déclin voire comme mort (cf. fig. n°5). L'image portuaire qu'ils ont sous les yeux se résume le plus souvent à des friches, à des quais désertés en ruines. Les habitants ont peu conscience du fonctionnement des ports actuels. Les bateaux se font de plus en plus rares (ils restent moins longtemps à quais), les Z.I.P. et les nouveaux terminaux sont éloignés et inaccessibles. Les ports pendant longtemps n'ont fait aucun effort pour faire comprendre aux populations leur fonctionnement, notamment en France, où ceux-ci constituaient une affaire d'Etat sans lien avec le public (certains Nantais passant près des ferrailles entreposées quai Wilson croient que c'est une décharge à ordures !).
Figure n°5 : perception de l'activité portuaire à Nantes
La rupture est d'autant plus marquée que l'activité portuaire, à Nantes et à Bordeaux, n'était pas une activité économique comme les autres. Elle a forgé, dans le passé, une morphologie urbaine, une culture, un mode de vie, des liens avec le monde. Le port était une source d'animation. La main d'œuvre était importante et peuplait les quartiers qualifiés de "maritimes". De plus, le nombre d'hommes d'équipage à débarquer était important et ils restaient assez longtemps à quai pour entretenir dans ces quartiers toute une activité "ludique" de services (bars, restaurants, avitailleurs, prostitution). Toute cette agitation est en contraste total avec les vastes étendues désertes actuelles.
Les friches qui constituent fréquemment un no man's land, représentent dans le mental des populations, une barrière. Mais elles représentent aussi une trace, un témoignage de l'activité portuaire, de l'ancien couple ville/port si uni. On a vu que la rupture entre la ville et le port est bien prononcée, mais qu'il n'y a peut-être pas encore divorce, les deux entités ne sont pas complètement indépendantes et divergentes. Si l'on veut rétablir un système ou une relation, quelle que soit sa nature, entre la ville et le port, les friches portuaires apparaissent comme un support incontournable pour l'amorcer.
Les friches qui constituent fréquemment un no man's land, représentent dans le mental des populations, une barrière. Mais elles représentent aussi une trace, un témoignage de l'activité portuaire, de l'ancien couple ville/port si uni. On a vu que la rupture entre la ville et le port est bien prononcée, mais qu'il n'y a peut-être pas encore divorce, les deux entités ne sont pas complètement indépendantes et divergentes. Si l'on veut rétablir un système ou une relation, quelle que soit sa nature, entre la ville et le port, les friches portuaires apparaissent comme un support incontournable pour l'amorcer.
[1] HAYUTH, Y (1988) "Changes on the waterfront : a model-based approach" in Revitalising the waterfront, Belhaven Press; London; p:52-64
[2] HAYUTH, Y & HILLING, D (1992) "Technological change and seaport development" in European port cities in transition; Belhaven Press; London; p:40-58
[3] VIGARIE, A (1991) "Villes portuaires et changements économiques" in Proceedings (3rd International Conference "Cities & Ports" nov 91 Genoa); Gênes; p:44-52
[4] L'invention du conteneur date de 1952 par l'Américain MacLean. Le début de la conteneurisation se situe véritablement en 1965 avec la bataille de l'Atlantique, par laquelle les armateurs américains ont cherché à l'imposer à leur profit.
[5] BIRD, J (1963) "The development of 'Anyport'" in The major seaports of the United Kingdom; Hutchinson & Co.; Londres; p:21-35
[6] GRACQ, J (1985) La Forme d'une Ville; éd. José Corti; 213 p.
[7] Comité interministériel d'aménagement du territoire
[8] SEASSARO, L (1993) Annales de la Recherche Urbaine n°55-56, cité par CHALINE (1993)
[9] L'augmentation de la productivité a fait passé le fonctionnement portuaire d'une entreprise basée sur la main d'oeuvre à une industrie nécessitant un fort capital financier - HAYUTH, Y (1988) "Changes on the waterfront: a model-based approach" in Revitalising the waterfront; Belhaven Press; Londres; p:52-64
[10] Journal de la Marine Marchande du 10 septembre 1993, selon une étude du CERCORE publiée en 1991
[11] idem, selon une étude de l'Institut d'Economie Régionale du Sud-Ouest et du Comité d'Expansion Aquitaine
[2] HAYUTH, Y & HILLING, D (1992) "Technological change and seaport development" in European port cities in transition; Belhaven Press; London; p:40-58
[3] VIGARIE, A (1991) "Villes portuaires et changements économiques" in Proceedings (3rd International Conference "Cities & Ports" nov 91 Genoa); Gênes; p:44-52
[4] L'invention du conteneur date de 1952 par l'Américain MacLean. Le début de la conteneurisation se situe véritablement en 1965 avec la bataille de l'Atlantique, par laquelle les armateurs américains ont cherché à l'imposer à leur profit.
[5] BIRD, J (1963) "The development of 'Anyport'" in The major seaports of the United Kingdom; Hutchinson & Co.; Londres; p:21-35
[6] GRACQ, J (1985) La Forme d'une Ville; éd. José Corti; 213 p.
[7] Comité interministériel d'aménagement du territoire
[8] SEASSARO, L (1993) Annales de la Recherche Urbaine n°55-56, cité par CHALINE (1993)
[9] L'augmentation de la productivité a fait passé le fonctionnement portuaire d'une entreprise basée sur la main d'oeuvre à une industrie nécessitant un fort capital financier - HAYUTH, Y (1988) "Changes on the waterfront: a model-based approach" in Revitalising the waterfront; Belhaven Press; Londres; p:52-64
[10] Journal de la Marine Marchande du 10 septembre 1993, selon une étude du CERCORE publiée en 1991
[11] idem, selon une étude de l'Institut d'Economie Régionale du Sud-Ouest et du Comité d'Expansion Aquitaine