Recomposition d'une structure nationale et structuration d'une puissance régionale
Emmanuel Boubacha, Chargé d'études AIVP
(extrait de Villes & Ports / Cities & Ports, N°21, juin 1998)
(extrait de Villes & Ports / Cities & Ports, N°21, juin 1998)
Depuis les changements politiques intervenus en 1994, l’Afrique du Sud est sortie de son isolement. Le secteur portuaire sud-africain, jusque-là organisé et contrôlé suivant une logique nationale, doit aujourd’hui faire face à une crise de croissance liée à l’ouverture internationale. Les transformations sont en route pour adapter le système portuaire à ce nouveau contexte et pour valoriser son rôle dans les nouvelles dynamiques de développement et d’intégration régionale.
Les sanctions internationales qui ont pesé sur l’Afrique du Sud jusqu’en 1994 nécessitaient d’organiser les secteurs économiques du pays de manière auto-suffisante vis-à-vis de l’extérieur. Le cantonnement des politiques publiques au sein d’un contexte géo-économique délimité, stable et protégé a facilité la multiplication des processus de planification et de contrôle de l’Etat sur les principales branches de l’économie. Ces deux aspects (fermeture et contrôle) se retrouvent notamment dans le secteur des transports, qui est encore contrôlé par une structure unique : Transnet. Il s’agit d’un holding à capitaux d’Etat qui est en charge du transport ferroviaire, des compagnies aériennes, des ports, des pipelines, du métro, et qui dispose de diverses filières spécialisées dans les agences de voyages, l’immobilier, l’ingénierie, les équipements, le bâtiment, etc. Ce géant, qui a un chiffre d’affaires d’environ 3,5 milliards de dollars et qui emploie 115 000 salariés, est l’un des principaux acteurs économiques du pays.
L’ouverture internationale de l’Afrique du Sud remet aujourd’hui en cause cette structure. L’arrivée d’acteurs extérieurs et le développement des échanges rompent les équilibres en place. Issu d’un contexte stable, Transnet se trouve confronté à un système économique ouvert en constante évolution et sur lequel les contrôles sont de moins en moins possibles. La structure doit aujourd’hui s’adapter car dans son état actuel, elle conduit à des situations pénalisantes pour l’Afrique du Sud. Elle ne peut guère accompagner efficacement le développement des échanges, mais tend plutôt à le freiner par sa rigidité et son manque de capacités à financer les grands projets et à améliorer la qualité des services. Dans ce contexte, une restructuration filiale par filiale de Transnet et une participation du secteur privé semblent nécessaires pour dégager une flexibilité et des capacités de financement adéquates. Une telle entreprise de recomposition s’avère néanmoins délicate, à cause de l’importance de Transnet et du fait que le gouvernement souhaite garder une certaine souveraineté sur un secteur du transport encore qualifié localement de " trésor de famille ".
L’ouverture internationale de l’Afrique du Sud remet aujourd’hui en cause cette structure. L’arrivée d’acteurs extérieurs et le développement des échanges rompent les équilibres en place. Issu d’un contexte stable, Transnet se trouve confronté à un système économique ouvert en constante évolution et sur lequel les contrôles sont de moins en moins possibles. La structure doit aujourd’hui s’adapter car dans son état actuel, elle conduit à des situations pénalisantes pour l’Afrique du Sud. Elle ne peut guère accompagner efficacement le développement des échanges, mais tend plutôt à le freiner par sa rigidité et son manque de capacités à financer les grands projets et à améliorer la qualité des services. Dans ce contexte, une restructuration filiale par filiale de Transnet et une participation du secteur privé semblent nécessaires pour dégager une flexibilité et des capacités de financement adéquates. Une telle entreprise de recomposition s’avère néanmoins délicate, à cause de l’importance de Transnet et du fait que le gouvernement souhaite garder une certaine souveraineté sur un secteur du transport encore qualifié localement de " trésor de famille ".
Le secteur portuaire sud-africain en crise de croissance
Portnet, filiale de Transnet, est responsable de tout ce qui concerne les sept ports maritimes d'Afrique du Sud. Les pouvoirs de cette structure sont très étendus : elle est affectataire du domaine portuaire, propriétaire des infrastructures, chargée de la gestion, de la réglementation, des tarifs, … et elle est de plus le principal opérateur portuaire. Même si certains opérateurs privés bénéficient tout de même de concessions pour certains terminaux de marchandises en vrac (charbon) ou spécialisées (sucre, agrumes, papier), Portnet dispose d'un monopole sur une grande partie des trafics et notamment pour le traitement du trafic conteneurisé. Portnet cumule ainsi des fonctions de gestion et des fonctions commerciales sans vraiment connaître les limites d'un organe régulateur.
Avec l'ouverture du pays et l'arrivée de clients étrangers, ce système est d'autant plus critiqué qu'il s'avère peu efficace pour répondre à la hausse des échanges maritimes. Durant les années 1970, la qualité et le relatif surdimensionnement des ports sud-africains laissaient penser qu'une croissance serait facilement absorbable. Mais l'ouverture du pays a engendré une croissance plus rapide que prévue, surtout pour les conteneurs (hausse de 25% entre 1994 et 1995). L'absence de réactions immédiates provoque aujourd'hui une saturation des ports, surtout à Durban (qui concentre les deux tiers du trafic conteneurs) et à Cape Town. Les délais ne peuvent être respectés, les postes à quai et les équipements ne peuvent être garantis même pour les lignes régulières, les armateurs et les chargeurs se plaignent du manque d'équipements et surtout de la faiblesse de la productivité. Pour les seules infrastructures portuaires, les besoins immédiats sont estimés à quelques 600 millions de dollars.
Vers une réforme de Portnet
Même si Portnet consent à des efforts d'investissements de plus en plus importants (36 millions de dollars en 1993/94, 280 millions en 97/98), ils ne peuvent suffire à eux-seuls. Une participation du secteur privé et une réforme complète de l'organisation des ports deviennent de plus en plus inévitables. Si le gouvernement semble d'accord sur le fond, la méthode n'est pas encore arrêtée. Le sujet est en effet extrêmement sensible, notamment sur le plan social, et suscite quelques divisions au sein même de l’ANC. Pour l'instant, le secteur est en attente de grandes décisions, surtout celles relatives à la construction d'un nouveau grand terminal à conteneurs (à Durban ou à Richards Bay). En attendant, des solutions provisoires sont mises en place pour pallier la congestion des ports : Portnet prend actuellement en charge une partie du coût du transport ferroviaire entre Port Elizabeth et le Gauteng, pour l’aligner sur les coûts via Durban, afin de décongestionner ce dernier. Certains armateurs auto-déchargent leurs porte-conteneurs faute de pouvoir disposer de leur propres terminaux grâce auxquels ils pourraient assurer à leurs clients des services efficaces et garantis.
Le projet de réforme, qui est en passe de voir le jour, pourrait prévoir la scission de Portnet en deux entités distinctes afin de séparer ses fonctions de gestion et ses fonctions opérationnelles. Une autorité portuaire (Port Management) aurait pour mission de gérer et développer les infrastructures, d'établir et de faire appliquer les réglementations ainsi que de promouvoir la concurrence entre des entreprises privés souhaitant proposer des services portuaires. Une autre entité, opérationnelle (Port Operations), serait créée et pourrait ainsi être mise en concurrence ou s'associer en joint-venture avec des entreprises commerciales. Cette compétition devrait provoquer l'amélioration de la compétitivité, de la qualité et de la gestion des services et permettre la construction de nouvelles infrastructures. La fonction de régulation serait, quant à elle, assurée par le Département National des Transports. Un tel projet permettrait une participation du secteur privé tout en permettant à l'Etat de garder un contrôle sur un secteur stratégique et rémunérateur (330 millions de dollars de bénéfices pour Portnet en 1996).
Structuration régionale de l'Afrique Australe
Outre la recomposition de Portnet, le système portuaire est également en pleine mutation en terme d'organisation territoriale. Pendant l'isolement politique du pays, la desserte du territoire national était segmentée, chaque port devant pouvoir écouler le trafic généré par son hinterland "naturel". Des schémas de desserte plus ou moins figés s’étaient mis en place pour chaque type de marchandises. Dans un contexte concurrentiel, de nouvelles stratégies et pratiques apparaissent et bouleversent l’approche sectorielle du transport de marchandises.
L'ouverture internationale confère aujourd'hui à l'Afrique du Sud une position de puissance régionale et de moteur économique dans une région du monde, qui est l’une des plus pauvres de la planète et au sein de laquelle sa prépondérance économique est écrasante. Son système portuaire s’inscrit à présent dans un contexte mondialisé au sein duquel les logiques économiques nationales sont transcendées au bénéfice d’une logique de marché raisonnant en terme de pôles régionaux. Les transports prennent ainsi un caractère stratégique évident afin de positionner l’Afrique du Sud au sein des échanges internationaux et de promouvoir le développement global de la région.
Portnet, filiale de Transnet, est responsable de tout ce qui concerne les sept ports maritimes d'Afrique du Sud. Les pouvoirs de cette structure sont très étendus : elle est affectataire du domaine portuaire, propriétaire des infrastructures, chargée de la gestion, de la réglementation, des tarifs, … et elle est de plus le principal opérateur portuaire. Même si certains opérateurs privés bénéficient tout de même de concessions pour certains terminaux de marchandises en vrac (charbon) ou spécialisées (sucre, agrumes, papier), Portnet dispose d'un monopole sur une grande partie des trafics et notamment pour le traitement du trafic conteneurisé. Portnet cumule ainsi des fonctions de gestion et des fonctions commerciales sans vraiment connaître les limites d'un organe régulateur.
Avec l'ouverture du pays et l'arrivée de clients étrangers, ce système est d'autant plus critiqué qu'il s'avère peu efficace pour répondre à la hausse des échanges maritimes. Durant les années 1970, la qualité et le relatif surdimensionnement des ports sud-africains laissaient penser qu'une croissance serait facilement absorbable. Mais l'ouverture du pays a engendré une croissance plus rapide que prévue, surtout pour les conteneurs (hausse de 25% entre 1994 et 1995). L'absence de réactions immédiates provoque aujourd'hui une saturation des ports, surtout à Durban (qui concentre les deux tiers du trafic conteneurs) et à Cape Town. Les délais ne peuvent être respectés, les postes à quai et les équipements ne peuvent être garantis même pour les lignes régulières, les armateurs et les chargeurs se plaignent du manque d'équipements et surtout de la faiblesse de la productivité. Pour les seules infrastructures portuaires, les besoins immédiats sont estimés à quelques 600 millions de dollars.
Vers une réforme de Portnet
Même si Portnet consent à des efforts d'investissements de plus en plus importants (36 millions de dollars en 1993/94, 280 millions en 97/98), ils ne peuvent suffire à eux-seuls. Une participation du secteur privé et une réforme complète de l'organisation des ports deviennent de plus en plus inévitables. Si le gouvernement semble d'accord sur le fond, la méthode n'est pas encore arrêtée. Le sujet est en effet extrêmement sensible, notamment sur le plan social, et suscite quelques divisions au sein même de l’ANC. Pour l'instant, le secteur est en attente de grandes décisions, surtout celles relatives à la construction d'un nouveau grand terminal à conteneurs (à Durban ou à Richards Bay). En attendant, des solutions provisoires sont mises en place pour pallier la congestion des ports : Portnet prend actuellement en charge une partie du coût du transport ferroviaire entre Port Elizabeth et le Gauteng, pour l’aligner sur les coûts via Durban, afin de décongestionner ce dernier. Certains armateurs auto-déchargent leurs porte-conteneurs faute de pouvoir disposer de leur propres terminaux grâce auxquels ils pourraient assurer à leurs clients des services efficaces et garantis.
Le projet de réforme, qui est en passe de voir le jour, pourrait prévoir la scission de Portnet en deux entités distinctes afin de séparer ses fonctions de gestion et ses fonctions opérationnelles. Une autorité portuaire (Port Management) aurait pour mission de gérer et développer les infrastructures, d'établir et de faire appliquer les réglementations ainsi que de promouvoir la concurrence entre des entreprises privés souhaitant proposer des services portuaires. Une autre entité, opérationnelle (Port Operations), serait créée et pourrait ainsi être mise en concurrence ou s'associer en joint-venture avec des entreprises commerciales. Cette compétition devrait provoquer l'amélioration de la compétitivité, de la qualité et de la gestion des services et permettre la construction de nouvelles infrastructures. La fonction de régulation serait, quant à elle, assurée par le Département National des Transports. Un tel projet permettrait une participation du secteur privé tout en permettant à l'Etat de garder un contrôle sur un secteur stratégique et rémunérateur (330 millions de dollars de bénéfices pour Portnet en 1996).
Structuration régionale de l'Afrique Australe
Outre la recomposition de Portnet, le système portuaire est également en pleine mutation en terme d'organisation territoriale. Pendant l'isolement politique du pays, la desserte du territoire national était segmentée, chaque port devant pouvoir écouler le trafic généré par son hinterland "naturel". Des schémas de desserte plus ou moins figés s’étaient mis en place pour chaque type de marchandises. Dans un contexte concurrentiel, de nouvelles stratégies et pratiques apparaissent et bouleversent l’approche sectorielle du transport de marchandises.
L'ouverture internationale confère aujourd'hui à l'Afrique du Sud une position de puissance régionale et de moteur économique dans une région du monde, qui est l’une des plus pauvres de la planète et au sein de laquelle sa prépondérance économique est écrasante. Son système portuaire s’inscrit à présent dans un contexte mondialisé au sein duquel les logiques économiques nationales sont transcendées au bénéfice d’une logique de marché raisonnant en terme de pôles régionaux. Les transports prennent ainsi un caractère stratégique évident afin de positionner l’Afrique du Sud au sein des échanges internationaux et de promouvoir le développement global de la région.
Alors que les échanges de l'Afrique du Sud se sont consolidés avec l’Europe et les Etats-Unis et qu’ils augmentent fortement avec l’Australie, l’Inde et l’Asie, le port de Durban entend développer une stratégie de hub pour desservir par feeder toute l’Afrique orientale. Cape Town veut faire de même pour la côte occidentale en essayant de valoriser sa position stratégique dans la circulation maritime. De tels projets, s’ils nécessitent une amélioration des services dans les ports, doivent également s’accompagner d’un processus d’intégration régionale avec les pays environnants dont le développement est nécessaire pour renforcer toute l'Afrique Australe et donc le rôle de l’Afrique du Sud en tant que puissance régionale. Ceci implique notamment que le transport soit abordé de manière transversale, ce qui cadre encore mal avec la segmentation provinciale du pays et l’organisation de Transnet au sein duquel les modes de transports sont plus gérés comme des filiales que comme des éléments complémentaires. L’Etat sud-africain, conscient de cet enjeu, a fait du secteur du transport l’une de ses priorités nationales et commence à mettre en œuvre des programmes de corridors de développement en collaboration avec ses voisins.
Le projet le plus avancé consiste à réhabiliter l’axe de transport entre Johannesburg et le port de Maputo, capitale du Mozambique, qui est le chemin le plus court pour la desserte maritime du Gauteng. En réhabilitant les infrastructures ferroviaires et routières, l’objectif est de constituer un véritable corridor de développement qui devrait à terme attirer quelques 5 milliards de dollars d’investissements du secteur privé. Ce plan devrait permettre de dynamiser un territoire défavorisé, d’assurer de meilleurs coûts de transport pour les marchandises mais également de soulager les ports sud-africains à la limite de leur capacité. Le port de Maputo va d’ores et déjà bénéficier d’un programme de redéveloppement de 80 millions de dollars en joint-venture avec des capitaux étrangers. Cependant, quelques critiques s’élèvent en Afrique du Sud contre ce projet, car s’il apparaît souhaitable à court terme, certains dénoncent à long terme le risque d’un affaiblissement du port de Durban par rapport à Maputo. Néanmoins, cette logique de corridor témoigne d’une vision élargie du gouvernement sud-africain, prenant en compte le nouveau rôle et la nouvelle dimension de l’Afrique du Sud qui offrent des perspectives de développement tout aussi nouvelles.
Le projet le plus avancé consiste à réhabiliter l’axe de transport entre Johannesburg et le port de Maputo, capitale du Mozambique, qui est le chemin le plus court pour la desserte maritime du Gauteng. En réhabilitant les infrastructures ferroviaires et routières, l’objectif est de constituer un véritable corridor de développement qui devrait à terme attirer quelques 5 milliards de dollars d’investissements du secteur privé. Ce plan devrait permettre de dynamiser un territoire défavorisé, d’assurer de meilleurs coûts de transport pour les marchandises mais également de soulager les ports sud-africains à la limite de leur capacité. Le port de Maputo va d’ores et déjà bénéficier d’un programme de redéveloppement de 80 millions de dollars en joint-venture avec des capitaux étrangers. Cependant, quelques critiques s’élèvent en Afrique du Sud contre ce projet, car s’il apparaît souhaitable à court terme, certains dénoncent à long terme le risque d’un affaiblissement du port de Durban par rapport à Maputo. Néanmoins, cette logique de corridor témoigne d’une vision élargie du gouvernement sud-africain, prenant en compte le nouveau rôle et la nouvelle dimension de l’Afrique du Sud qui offrent des perspectives de développement tout aussi nouvelles.
Emmanuel Boubacha © AIVP/IACP - 1998